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Ombres : I - Jade

Premier


Ma chambre s'est assombrie et ses murs sont devenus très pâles depuis l'accident. Ses couleurs ont terni, les magnifiques meubles en bois sculptés par notre artisan se sont recouverts d'une fine couche de poussière, mon horloge à coucou refuse de me saluer désormais car elle avait peur de cette nouvelle atmosphère putride, les domestiques courageux la craignent aussi, plus ils essayaient de chasser les traces d'une mélancolie aberrante, plus la poussière revenait pourrir mes appartements. Mère devait être dans le même état en ce moment dans son cercueil fabriqué dans le même bois que tous mes meubles. La poussière est là pour me rappeler que ma mère se décompose lentement, se liquéfie sous le poids d'un quelconque péché et deviendra un tas de miettes microscopiques. Je souris car je ne dois pas penser toutes ces choses, c'était un péché de penser pour une femme. Si mon père m'entendait, il me ferait châtier sur le champ au milieu de la poussière qui s'épaissirait pour me rendre justice et l'étouffer jusqu'à l'agonie. Le trépas est un si joli mot, lorsque je l'évoque, la poussière semble ronfler, elle est joyeuse et se balade à travers la pièce pour m'écouter faire l'éloge du trépas.
Dans ce royaume comme dans tous les autres sans doute, les femmes n'ont aucun droit si ce n'est celui de respirer et de tout faire pour rester jeune et belle. Nous sommes une riche famille habitant au pied de la Forteresse de Bran, au sud de Brasov. Le roi de Hongrie s'était approprié la Transylvanie, et notre famille était venue s'installer ici, et dès que j'avais posé mon regard sur cette étendue sauvage et enivrante, j'ai su que ce lieu ne me plairait pas.
Les femmes hongroises étaient soumises, tout nous était restreint mise à part peut être le désir de la connaissance, mais peu d'entre nous avaient le courage de changer, cependant nous ne devions en aucun cas essayer d'égaler l'homme. Cette situation ne semblait pas froisser le moins du monde ma soeur cadette Kidja, qui se complaisait de façon grotesque dans tout ce luxe gratuit et malsain. Je l'enviais souvent d'être si belle, avec ses longs cheveux blonds aux boucles chatoyantes et de ses grands yeux verts pétillants, elle croquait les âmes pour les réduirent en morceaux, les hommes de la Cour se précipitaient comme de vrais enfants pour lui plaire. Cependant, Kidja était dangereuse, plus encore qu'un serpent. Avant l'accident, je lisais de la rancoeur dans ses beaux yeux, maintenant, je ne vois que de la pitié, celle qui se transforme quelque fois en haine. Pourtant, je ne voyais pas ce qu'elle pouvait me reprocher, mon père est aux petits soins pour elle et moi je n'étais qu'une source de problème pour lui, il me blessait parfois lorsqu'il posait doucement ses yeux froids sur moi, je parlais trop, je n'étais pas digne, Kidja était belle et traditionnelle.
Je me qualifie d'âme sans saveur car je n'ai envie de rien, plus rien ne me ravit, seule la connaissance me rassasie, derrière ce voile qui me cache on peut lire le chagrin d'une petite fille seule, et lorsque mon père me regarde dans cet état, quand dépourvu de raison, j'oscille entre la vie et la mort, il se détourne de moi et porte toute son attention sur Kidja.
C'était l'accident le responsable, tout avait changé après cela. Je m'étais enfermée dans ma chambre qui avait commencé à me soutenir dans mon état pathologique, elle est devenue noire et confuse comme mon esprit. Et j'y suis restée pendant des jours à faire pâlir de peur mon père qui s'inquiétait de ce que les domestiques iraient raconter autour d'elles : Vous savez qu'elle ne dort plus et qu'elle ne mange plus ! Elle devient maigre et pâle, son père n'intervient même pas ! On dirait que la mort a investi les lieux, serait-elle encore plus démente que sa pauvre mère ? Pauvre petite!
J'avais déteint sur l'atmosphère de ma chambre, et elle en avait fait de même, j'écrivais alors des insanités pour me plaindre, avec ces mots interdits qui ferait pendre au gibet le plus noble des chevaliers, des mots que mon instructeur - homme de foi - qualifieraient de dément, j'avais rejeté l'idée que Dieu puisse exister après l'accident et je le taisais pour ne pas effrayer encore plus l'opinion publique. Je n'aimais plus Dieu car je pensais que c'était pure méchanceté que d'enlever à une petite fille sa mère. Alors l'encre noire avait fini par se répandre sur le papier blanc, et d'une main vindicative, j'ai écrit des mots doux à la mort pour la faire enrager. La mort aime qu'on la méprise.


Deuxième


Notre demeure était si vaste, alors pourquoi, méchant hasard me renvoyer ma soeur dans cette partie ci du royaume ? J'ai croisé ma soeur, moi qui m'empressais d'aller retrouver mon instructeur. Elle souriait à pleines dents en me tournant autour comme si elle était redevenue une petite fille, comme une enfant qui s'amusait à faire des ronds pour arrêter le temps et ne plus jamais grandir. Kidja fait tournoyer en même temps sa merveilleuse robe rose en mousseline.
- Que t'arrive t-il ? lui ai je demandé finalement agacée par ce manège.
- Père reçoit des invités ce soir.
- Qui donc ?
Cet air surexcité lui plaisait, je tombais des nues face à elle dans ces moments là, je prouvais ainsi que j'étais bien une stupide femme à sa hauteur.
- Des courtisans, répondit-elle.
- Des courtisans ?! ai je répété très étonnée, mais pourquoi ?
Kidja soupira longuement, j'étais un cas désespéré au delà de sa science.
- On ne t'apprend donc rien d'intéressant à tes cours ? Dans tes livres ? se moquait t-elle, des hommes ! Les courtisans sont des hommes, des riches gentilshommes vont venir pour mander nos mains auprès de père.
Je ne bougeais plus, elle a dû comprendre que je ne comprenais vraiment rien ou que j'étais ailleurs car elle cessa de rayonner.
- Tu es devenue si terne. Où sont passées tes émotions ? me demanda t-elle.
- Je ne sais pas. Peut-être que tu pourrais me répondre, toi qui est si futée.
Kidja s'est pincée les lèvres, j'imaginais que du pus jaillisse, dégouline de sa belle bouche rosée, puis elle s'est retournée agacée, elle a continué sa route et je me suis réveillée, avant de m'en aller à mon tour, mon instructeur devait s'impatienter.
Cet automate ne voulait pas en démordre, nous resterons sur les mêmes leçons encore et encore et encore jusqu'à ce qu'il meure et que ses orbites se transforment en trou, et dans les cavités, il y aura des vers, des vers pour le dévorer. Cela devenait frustrant pour moi qui voulais avancer, de rester sur place.
- Je veux en savoir plus, avais je commandé un jour.
Il avait enlevé ses verres, très gêné.
- Vous savez déjà tout ce qu'une femme de votre rang doit savoir.
Autant dire que j'étais cette stupide femelle dont on avait accordé l'instruction minimum au moins pour lui donner l'illusion d'une vague liberté. Tant pis, à partir d'aujourd'hui, je ne l'écouterai plus. Je me mettais donc à rêvasser, mon regard se perdait au delà de la fenêtre, je voudrais que tout se meure, la beauté de ce paysage est là pour cacher ces misères passées et futures, c'est un vilain procédé que l'homme a créé pour faire croire à Dieu que tout allait bien. Ma mère aussi me faisait croire que tout allait bien, elle était belle et douce comme ce miel si sucré que je m'aventurais à dévorer son sein étant enfant. Puis plus rien, je n'avais plus que des souvenirs sombres parce que mère s'était éloignée de moi et la lumière était partie avec elle, si sublime.
- Dans mon Monde, il y a des pluies de sang, des larmes au goût amer et des rivières sans arc-en-ciel. Mon soleil n'a plus de chaleur et se décroche peu à peu du ciel. Dans mon Monde, je fais rire l'Archange, lorsque poussée par la haine, je fais saigner l'amour.
Je n'entendais plus l'instructeur, il ne respirait même plus. Alors je me suis tournée vers lui, ce bonhomme si hébété qui me regardait fixement.
- Que vous arrive t-il ? lui ai je demandé.
- Moi... Je n'ai rien mademoiselle. Mais... Vous, que venez vous de proférer ?
Je ne comprenais pas.
- Mais voyons, je n'ai rien dit.
- Bien... Bien sûr, balbutia t-il, si, à l'instant.
La rage, Jade, c'est de la rage qu'un jour tu as reçu la vie, lève toi !
Je me suis levée très remontée.
- Ane bâté ! ai je commencé sur un ton sec.
- Plaît-il?!
- Vieux débris ! ai je tonné.
- Que... Qu'avez vous donc ?!
- J'ose enfin hurler. Votre enseignement m'ennuie profondément. Vous ne savez rien faire. Tout m'exaspère chez vous, votre prétention, votre soi disant savoir, vous n'êtes bon qu'à traire les vaches.
Et sans que je le fasse intentionnellement, toutes mes feuilles de notes sont parties en éclat, et tandis que l'instructeur se pressait à les ramasser, je dérobais discrètement la bouteille d'encre précieuse sur le bureau, et je pris la fuite.
Je ne suis pas aller à l'encontre de mes courtisans, je me suis cachée dans l'endroit le plus noir que je connaisse, les caves les plus effrayantes que puisse regorgé la demeure.


Troisième


Je suis sortie de mon repère les lèvres sèches et le ventre vide, je pensais au désespoir de mon père et à la joie de ma soeur. C'est vrai après tout, j'étais une grande héritière qui avait déjà violé tellement de lois. Quelle fureur lui prend ? A t-elle hérité de la folie de sa défunte mère ?
Je marchais lentement à travers les couloirs aux murs parsemés de tableaux et de miroirs, c'est effrayant, car j'ai une impression de malaise, j'entends ces bruits doux puis énormes qui semblent vouloir sortir des tableaux, qui ronflent la toile, la gonflent pour la faire éclater et être libre. Je marche plus vite, les yeux clos, j'ai peur.
Jade !
Je m'arrête, c'était un souffle léger qui provenait d'un grand tableau, celui où ma grand mère était installée sur une chaise dans un jardin, cette femme avait toujours eu ce visage dur et ridé, elle était mauvaise, et père la méprisait, c'est pour cela que le tableau pendait lamentablement au mur, sale et vieux, on ne voulait pas la restaurer. C'était grand mère qui avait rendue mère complètement folle, et père avait eu pitié d'elle et l'avait épousée pour l'éloigner de ce monstre. Mais mère avait déjà un pied dans la tombe.
Jade !
Je recule, effrayée, les lèvres du portrait viennent de remuer pour prononcer mon nom. Et ce rictus hideux s'était installé sur son visage. Les feuilles des arbres, l'herbe, les fleurs autour d'elle prenaient vie, ils remuaient car le vent à l'intérieur de cette horreur les taquinait.
Jade!
Je m'enfuis, je cours le plus vite possible pour retrouver ma chambre, mon confort, mais une autre surprise m'y attendait. On avait touché à mes écrits, on avait forcé la serrure de mon coffre pour voir ce que j'y transposais. C'était mon père le coupable. Il était entré dans ma chambre, lui qui en avait peur.
- Ce que vous faites en ces lieux me déplaît fortement, commença t-il sur un ton froid.
J'écoutais ses reproches docilement, la scène du tableau m'avait véritablement perturbée.
Père me priait de ne plus écrire ni même penser à ces choses horribles et mauvaises qui hantent mon esprit, car cela lui faisait du mal et que cela pouvait entacher la réputation de notre famille. Je lui promis de retrouver mes esprits... Un mensonge.
- Bien... J'étais venu aussi dans l'intention de vous avertir pour ce soir. Nous avons un invité, m'annonça t-il gaiement.
- Qui ? Puis-je le savoir ?
- Un gentilhomme de très bonne caste, un de vos prétendants, qui a bien réussi, je vous l'avoue, à m'amadouer avec talent.
Je suis frustrée et je n'aime pas cela. Mon père me voit bouillonner, il recule, effrayé. Je change immédiatement de comportement, je lui souris, c'était la première fois depuis bien longtemps, il en est encore plus horrifié.
- Quand viendra t-il ? ai je demandé.
- Ce soir.
- Je serais prête père.
Puis il s'en est allé très vite, il me fuyait désespérément comme je fuyais le souvenir de mère.
Je soupire, j'allais devoir me préparer pour un autre homme complètement stupide qui ne me comprendrait pas et aura sans doute peur de moi lui aussi.


Quatrième


J'ai essayé de faire plaisir à mon père, je me suis habillée élégamment et je me suis assise à la table du banquet après avoir souri comme une idiote à toute l'assistance sans vraiment les voir et après leur avoir souhaité bon appétit et au final, après leur avoir servi une excellente révérence.
J'avais vraiment très faim et je lorgnais des yeux le sanglier rôti et bien doré, couché sur un plateau d'argent pur, garni de feuilles de choux. Mais je sentais bien que l'on se moquait de moi, c'était un regard lourd que je ressentais assez mal alors j'ai levé les yeux vers cet inconnu. Il avait de très longs cheveux, encore plus longs que ceux de Kidja, ils étaient bruns et il possédait les yeux d'un dément, un oeil vert et l'autre bleu avec des éclats noisette. Il me sourit. Il me fait un signe, il met son doigt au coin de sa bouche et répète ce geste une bonne dizaine de fois avant que je ne comprenne qu'il me prévenait parce que j'avais un filet de salive qui débordait du coin de ma bouche, c'était de la gourmandise, un pêché dont je me serais bien passée pour ce soir.
Je m'essuyais discrètement et le remerciai d'un salut de la tête.
- Si nous commencions ! hurla mon père en s'asseyant.
Tout le monde s'attaqua au banquet et je fus moins gourmande que d'habitude, car l'homme me regardait et je me sentais bête. Cet homme m'irritait. Mon père me dit qu'il se nomme Sarl Majirowel et qu'il est Hongrois, ce qui est très important pour père car nous l'étions aussi.
Sarl Majirowel racontait des histoires magnifiques, il parlait de contrées lointaines car il voyageait toujours, et tout le monde riait, s'exclamait, brûlait d'un désir complètement malsain pour cet homme étrange. Bien entendu, je simulais la gaieté pour ne pas être de reste, je ne trouvais pourtant rien de risible, je le voulais malgré tout. Je ne me comprenais plus, alors frustrée, je quittais la table.
- Jade !
Ma soeur me court après, elle me rattrape.
- Alors, celui ci est si merveilleux que tu en perds la raison, dit-elle, minaude.
- Non...
- Il est bel homme, si seulement il venait pour moi.
- Fiche le camp ! ai je hurlé avant d'entrer dans ma chambre.
Je ne savais pas ce qui se passait dans ma tête, mais cela faisait très mal.


Cinquième


Pendant mon sommeil, je me sentais épiée, j'avais l'impression qu'une présence se tenait dans ma chambre ou qu'elle prenait forme et qu'elle allait me faire du mal. Je me réveille en sursaut et je descends en hâte de mon lit pour fouiller ma chambre, il n'y avait personne ou presque, lorsque je retournais au lit, je le vis.
- Monsieur Majirowel ?!
J'allais hurler, mais il me fit taire en posant son doigt sur mes lèvres.
- Je suis l'ombre qui plane sur les morts, je suis le suppôt de tes vices...
L'instant d'après, je me retrouvais dans cette forêt maudite où ma raison s'était égarée il y a bien longtemps, il faisait jour comme avant. J'avais froid, j'étais en chemise de nuit, je n'avais pas eu le temps de revêtir mon peignoir. Sarl Majirowel restait immobile à mes côtés, il fixait avec détermination l'allée, là où les arbres s'étaient écartés.
Je devenais réellement folle sur le moment, parce que j'entendais cette voix si merveilleuse, si douce me poursuivre.
- Jade !
J'avais dix ans, mère me courait après, je m'étais éloigné du pique-nique pour suivre un homme qui m'avait adressé des signes. Mère m'avait rattrapée.
- Ne refais plus jamais ça. Tu as failli me faire mourir ! dit-elle essoufflée, sans colère. Écoute moi ! Écoute moi bien mon amour, quoi que tu puisses voir ou apercevoir qui te semble séduisant, affolant, ou même impossible, tu dois fuir, tu ne dois pas écouter, mais fuir.
Et c'était à ce moment là que cette énorme bête, cette énorme masse noire aux griffes acérées était apparue, j'avais hurlé, mère de même, l'ours l'avait déjà violemment lacérée alors qu'elle me protégeait. J'étais sous elle, ma tête avait cogné une petite pierre, et quelques feuilles mortes. Il n'y avait bientôt plus aucun bruit.
- Mère ?
Elle n'avait pas répondu.
- Mère !
J'avais mis ma main devant sa bouche et son nez pour pouvoir palper un souffle chaud même froid, mais plus rien. Alors j'avais gémi.
- Mère...
J'avais essayé de soulever son corps pour me sortir de là. J'avais paniqué, je n'y arrivais pas, j'avais donc hurlé, hurlé, puis le silence s'était imposé, je m'étais endormie. Dans ce lit immonde, je m'étais assoupie, la mort m'avait lavée de toute innocence et je me reposais dans son berceau d'insanité. L'odeur malsaine et putride de la décomposition de la chair avait gagné mon nez, mais je me sentais bien malgré tout, car c'était la dernière fois que mère se serrait contre moi. Au petit matin, les mouches venaient prendre leur petit déjeuner.
Sarl Majirowel ne bougeait toujours pas, je voulais que ce spectacle s'arrête c'était une torture de revoir ces instants, mère était morte par ma faute, je payais déjà les pots cassés, et cet homme venait pour m'achever.
- Au nom du Ciel, arrêtez cela ! ai je supplié.
Sarl Majirowel a tourné les yeux vers moi très étonné. Puis il est devenu noir, il se consumait, j'ouvrais les yeux à ce moment pour me retrouver dans mon lit, dans mes draps en sécurité, je mordais fermement mes oreillers pour retenir mes larmes.


Sixième


J'avais la bouche pâteuse, ce matin au réveil, je m'étais endormie une seconde fois malgré moi. Ma tête était lourde, j'avais mal à la poitrine, c'était si écoeurant, j'ai vomi.
Je me suis levée et je suis allée trouver mon père au petit salon, mais il discutait avec Monsieur Majirowel, je me suis cachée derrière le rideau de velours. Ma petite soeur opportuniste s'est très vite postée près de moi.
- Il a passé la nuit ici, me rapporta t-elle.
- Père l'a permis !? m'exclamais je.
- Oui, c'est inouï !
J'avais l'impression qu'une énorme cloche se précipitait sur moi pour m'écraser, cette cloche c'était lui, il ne fallait pas qu'il reste, c'était un véritable danger, c'était un mauvais homme.
- Mais enfin, père ne le connaît que depuis peu, ai je insisté.
- Regarde toi, tu le blâmes alors qu'il ne t'a fallu qu'un instant pour t'éprendre de cet homme.
Je ne trouvais rien à répliquer, c'était une vérité assez criante, Sarl Majirowel avait ce charme inquiétant propre aux fantômes, propre aux démons. Il avait séduit mon père en lui assénant des mots superbes, des promesses éternelles, monts et merveilles, et ma soeur n'attendait que le moment propice pour pouvoir se l'accaparer. Moi, je ne pouvais plus le voir, il y avait cette sensation étrange d'un regard... C'est cela, lorsque je croisais le regard de Monsieur Sarl Majirowel, j'avais la fâcheuse impression qu'il me parlait, qu'il essayait de me voir, seule, dans son propre monde, son propre piège, nous étions seuls pendant un instant et je craignais de ne plus revenir dans cette réalité qui m'étais chère.
Je pénétrais dans le petit salon, timide.
- Ma petite Jade !, s'extasia mon père, et c'était bien la première fois.
Monsieur Sarl s'était levé pour m'adresser un sourire, je lui fis révérence.
- Avez vous passez une très bonne nuit ? me demanda t-il.
- Très pénible Monsieur, vous étiez présent.
Mon père semblait atterré, il avait peur que mes propos puissent blesser un tel homme.
- Jade ! Ne sois pas insolente ! gronda t-il.
Je me tournais vers lui pour m'accrocher à l'espoir qu'il puisse me croire, me protéger d'un futur danger, qu'il puisse enfin jouer son rôle de père.
- Il était présent, il m'a montré la mort de mère.
Mon père était triste, ou il avait pitié de moi, je n'étais pas très sûre.
- Jade, je t'en prie !
Sarl Majirowel semblait prendre un certain plaisir à cette scène, j'étais au bord de la folie et il s'en réjouissait.
- Ne vous emportez pas plus, dit-il à mon père, si je suis présent dans ses songes, c'est qu'elle tient déjà à moi.
C'était le comble, il venait de retourner la situation à son avantage d'un coup de mots, et il osait se tenir serein face à moi, pauvre malade ! Un claquement sur sa peau, ma main venait de lui effleurer violemment la joue, ma soeur avait sursauté, et toujours aussi calme, Sarl Majirowel m'a regardée fermement, pour que je sache recommencer, il préparait son autre joue.
J'essayais de me reprendre sous les regards choqués de mon père et de Kidja.
- Je suis... désolée.
Je me suis enfuie, ce genre de situation le valait bien.
Dans ma chambre agonisante, je pensais, couchée sur mon lit, que Kidja devait être réjouie de cette scène, elle allait pouvoir sauter sur l'occasion et séduire Sarl Majirowel, peut-être que j'avais agi sous le coup de la folie, cet homme n'était peut être qu'un homme, et j'avais rêvé de lui parce qu'il me plaisait. Mais pourquoi la mort de mère ? Douleur et amour se conjuguent t'ils à travers la mort ?
J'étais couchée dans cette chambre lugubre où la lumière avait été chassée par l'ombre. Cette pièce me rendait triste et démente parce que j'avais toujours cette forte impression que quelqu'un me surveillait, cela avait commencé quatre mois après la mort de mère, un jour de folie, je l'avais appelée par désespoir, par manque de lucidité, je ne connaissais pas son nom, mais je lui parlais, je l'avais crée et je l'appelais « Ombre ».
J'avais ressentie cette présence près de moi qui m'écoutait et je sentais aussi qu'elle me caressait lorsque j'avais les larmes aux yeux, je crois aussi qu'elle pleurait avec moi, même si ce n'était qu'une illusion, je n'avais rien fait pour la repousser, c'était un péché d'aimer cela.
- Ombre, je t'en prie, tue moi ! Montre moi la mort de mère.
J'avais tellement hurlé le jour de l'accident que j'en avais perdu la voix. Je m'étais endormie sous ce corps sans vie, sans chaleur, mais je n'avais plus froid.
- Ombre ! J'ai mal.
Je me suis réveillée, le soleil venait de s'éteindre et j'avais froid. Ombre était là et c'était un péché d'aimer cela.


Septième


Je suis restée longtemps dans ma chambre et lorsque j'en suis sortie, il faisait nuit. J'aimais tout ce qui était vespéral, tout le monde se reposait et j'entrais dans mon univers et personne ne venait me déranger, au contraire c'était moi qui hantais les lieux le soir venu, je me faufilais à travers les couloirs sombres ivre de pouvoir, je n'avais pas peur, je croyais posséder un don unique, je croyais que la nuit m'aimait, puisque personne d'autre le pouvait. J'ai traversé les couloirs rapidement et mon reflet dans les miroirs sur les murs était effrayant, je m'amusais à me faire sursauter et je riais plongée dans l'ombre d'un rideau, la Lune éclairait et traversait impunément toutes les fenêtres de la demeure, c'était mon monde à moi, c'était magnifique. Je retournais dans le petit salon, poussée par une force capricieuse, retourner sur les lieux de mon crime, là où je l'avais giflé.
Les bois dans la cheminée craquaient sous le poids des flammes et le feu éclairait le petit salon de sa vive couleur orangeâtre. Je ne bougeais plus, je ne pouvais pas, je restais stupéfaite sur le seuil du petit salon. Sur le canapé en velours brodé, je voyais ma soeur à moitié dévêtue entre les mains de Sarl Majirowel, ils s'enlaçaient comme des bêtes, c'était atterrant, Kidja prenait plaisir à cela. J'ai détourné les yeux vers le mur qui rejetait les ombres de ces deux abjects et je ne n'ai vu que celui de Kidja.
Jade !
Une voix irréelle que je reconnaissais m'obligea à le regarder. Ses yeux verts et bleus me fixèrent longuement, puis il fourra son visage dans le corset de Kidja. Lorsqu'elle a crié, je me suis mise à courir, à fuir cette chose qui n'avait pas d'ombre, peut-être même qu'il n'existait pas et ma soeur venait de se faire piéger, j'avais peur, ils venaient de briser ma raison.


Huitième


Cela montait comme une complainte vers le ciel noir scintillant d'étoiles. Dans le feu ! Tout dans le feu ! Mère m'avait appris à allumer un feu, et je brûlais mes écrits, mon bras en était chargé. Je les relisais encore un à un avant de les donner en offrandes aux flammes qui s'en réjouissaient. Je pleurais à l'idée de ne plus les relire, de ne rien laisser pour mes mémoires, on m'oubliera si vite.
- Jade ! Que fais tu ?
Ma soeur ! Elle ! Toujours elle, il fallait qu'elle cesse.
- Je brûle ce que j'avais écris, tout !
Kidja s'est précipitée vers moi pour m'arrêter.
- Ne fais pas cela ! C'est une folie ! J'aime ce que tu écris, m'avoua t-elle.
J'étais surprise, je ne parvenais plus à savoir si j'étais encore endormie, si je faisais un cauchemar.
- Tu me mens. Tu ne sais même pas ce qu'il peut y avoir sur ces feuilles.
- La monstrueuse est une de mes préférées, répliqua t-elle.
- Je croyais que tu ne voulais pas apprendre à lire.
- Je l'ai fait pour te faire plaisir.
- Tu me haïs ! ai je hurlé.
- Non, rétorqua t-elle.
Je regardais le feu que j'avais allumé au milieu du jardin, père allait être furieux.
- Tu viendras avec moi, prier sur la tombe de mère ? ai je demandé.
Kidja s'est éloignée de moi, froide, c'était la réaction que j'attendais.
- Tu penses encore à elle ? Tu ne penses qu'à elle, elle qui t'a rendue folle.
Pour la première fois, j'avais une conversation intéressante avec ma soeur, l'on discutait de quelque chose qui nous avait éloigné l'une de l'autre depuis très longtemps.
-Je n'ai jamais eu de mère, elle n'existait que pour toi, continua t-elle.
- Tu souffrais de son rejet ?
- Non, je souffrais du tien.
Je ne comprenais plus, je la regardais à présent comme si elle n'était qu'une incompréhension, mais qui es tu ?
- Lorsqu'il y avait mère, tu ne faisais plus attention à moi, et elle est morte, sans mentir, j'étais soulagée parce que je croyais que tu allais enfin me remarquer, mais tu t'es enfermée dans ton monde inaccessible, alors j'ai tout fait pour que tu me haïsses parce que dans ton coeur il ne semblait y avoir que de place pour cela.
- Tu te moques de moi, c'est cela, tu essaies de me faire réagir comme à l'accoutumée ?
Non, elle avait l'air sincère, prête à fondre en larmes, elle tremblait si fort.
- J'ai toujours voulu être la personne pour qui tu avais le plus d'affection, et mère t'a éloignée de moi, j'étais jalouse d'elle et même après sa mort, je continue à envier cet amour absurde que tu continues à lui porter, continua Kidja.
Ma soeur a pleuré, elle devait être complètement folle pour dire des choses aussi horribles, elle qui vient de forniquer avec un démon. Elle avait les larmes aux yeux, je n'aimais pas cette effusion d'émotions, et puis j'étais très énervée, pourquoi personne ne me laissait avec mes propres souffrances ? Il fallait en plus que je supporte celle des autres.
Kidja a voulu se jeter dans mes bras, mais j'avais déjà perdu la tête, j'ai jeté tous mes écrits en l'air, certains retombaient, avalés par les flammes. Kidja essayait de les sauver.
- Laisse les ! hurlais je, Laisse les mourir !
- Mais c'est toute ta vie.
Sa robe de mousseline a prit feu, elle a hurlé. Je l'ai attrapé par les épaules et je l'ai secouée vivement.
- Je te déteste ! ai je crié.
- Arrête ! Je t'en prie !
Je l'ai secouée encore plus fort jusqu'à ce que ses muscles se relâchent et qu'elle ne fasse plus de résistance. Kidja était tombée par terre, j'ai alors éteint les flammes sur sa robe avec mes mains. Je l'ai bien observée ensuite, elle semblait beaucoup plus belle lorsqu'elle ne disait plus rien. Je me suis couchée près d'elle en la serrant dans mes bras, le silence s'était imposé, je me suis endormie, et les bribes d'une musique ancienne et mélancolique me berçait doucement. J'étais, semble t-il, devenue folle.


Neuvième


Ce qu'il pouvait être beau le repos que l'on accorde aux héros, est ce que je faisais partie du lot ? Moi, une femme ?
L'on m'avait enfermée dans ma chambre et l'on m'avait attachée aux barreaux du lit. Je crois bien que j'avais dépassé les limites de la bienséance. Je ne savais plus où me situer, entre ciel et terre ?
Ils vont te faire du mal.
J'ignorais cette voix. J'en avais assez, j'en avais déjà trop fait. Mes proches me craignaient suffisamment assez, et je voulais leur montrer que j'allais mieux, que j'allais cesser ces folies.
Appelle moi.
La porte s'est ouverte, la poussière dans ma chambre s'est affolée, l'ombre aussi.
Appelle moi ! ordonnait maintenaient la voix d'un ton sévère.
- Taisez vous ! ai je enfin crier.
J'avais reçu en plein visage une sorte d'eau parfumée, cela me brûlait les yeux, j'ai crié. Un homme, bien réel que je ne pouvais apercevoir a bredouillé des prières, il me croyait possédée car il ordonnait à quelqu'un de sortir, de s'en aller de moi. Mais, il n'y avait personne, même Ombre avait disparu. L'homme m'a ensuite infligé des coups de fouets sous la plante des pieds, et j'ai souffert longtemps avant de perdre connaissance.

J'ai enfin repris connaissance, mes mains étaient libres et ma chambre avait changé, cela m'avait choquée. Les rayons du soleil se voyaient dorénavant, la poussière ne semblait jamais avoir domicilié ici, et le coucou chantait, ce qui m'avait fait sursauter.
- Vous ne m'avez pas appelé !
J'ai encore sursauter. Monsieur Sarl Majirowel était assis à côté de moi. Je suis descendue rapidement du lit et j'ai couru vers la porte, la poignée était brûlante. Je voulais sortir maintenant qu'il était là, j'avais peur de la mort.
- Vous m'appeliez souvent, j'ai toujours été là et vous n'avez fait que supplier que Dieu vous aide. Vous ne croyez plus depuis si longtemps, cela m'a beaucoup surpris, dit-il.
- Je crois en vous maintenant, ai je affirmé en me tournant vers lui, assis sur le rebord de mon lit, calme et serein, si irréel.
- Donc vous croyez aussi fermement en Dieu ?
- Le mal n'est rien sans le bien, il en va de même l'un pour l'autre.
- Pourquoi détourner la question ?
Il s'était levé, il s'approchait de moi, alors qu'inévitablement, je reculais en longeant le mur.
- Croyez vous en Dieu? demanda t-il.
- Oui...
- Alors implorez le dans toute sa bonté, priez le de me faire disparaître, priez le de vous venir en aide pour que je m'en aille, si il a autant de pouvoir que les êtres humains lui confèrent, il peut m'éloigner de vous.
Je ne pouvais pas, c'était bien trop dur, j'avais menti, je n'avais pas réellement peur, j'étais faible.
- Pourquoi ? me demanda t-il impatient.
- Parce que vous êtes la plus belle douleur qui me soit arrivée Ombre.
La créature s'est tue, elle paraissait troublée par ma déclaration, cela m'avait choqué bien entendu. Je l'avais reconnu et je m'en rendais compte seulement maintenant. Cette chose que j'avais cru inventée par mon esprit faible et fou existait bel et bien, et c'était l'une des plus belles choses au monde.
- Pourquoi est ce que vous vous êtes mis à ma disposition ? Je me porte assurément bien, je n'ai rien qui puisse vous révéler ma mort.
- Cher ange, je ne suis pas la Mort, et je ne crois pas que vous soyez prête à accepter la vérité.
- C'est à moi d'en juger !
- L'on m'a vendu votre vie, dit-il ssans faire de détour.
- Pardon !
- Je comprends votre interrogation. Un homme a prié pour que les descendantes de cette famille périssent. Mais tout particulièrement, vous, il veut votre destruction, il ne vous estime pas assez.
- Un sorcier...
- Non, votre père.
- Mensonges ! ai je hurlé.
- C'est votre père et toute votre famille le mensonge.
- Mon père est un homme de foi et vous, vous êtes le vice, la perversion. Comment puis je vous croire ! Allez vous en !
- Votre grand mère aimait être possédée par la folie, elle m'a vendu son âme et m'a légué des droits sur sa fille, sa petite fille et bien d'autres, seulement pour pouvoir vous regarder souffrir, par pure folie. Votre père connaît cette vérité, votre famille est désormais maudite à cause d'une vieille dame dépossédée de bon sens, il m'a seulement demandé d'épargner Kidja. Vos écrits et votre attitude y sont pour beaucoup dans cette décision.
- Pourquoi ?
- Je vous le répète, vous n'êtes pas fille unique, Kidja est tout ce que désire un noble tel que votre père, elle est très belle, servante, joyeuse, raffinée, une simple femme élevée pour être toujours soumise aux hommes. Votre disparition passera inaperçue.
Je ne me rendais pas compte qu'une nouvelle aussi méprisable et aussi ahurissante puisse m'affecter à ce point. J'avais déjà les yeux embués, et la créature s'en délectait.
- Cela vous plaît de me désarmer, vous avez toujours cherché à me faire mal, depuis votre première venue. Pour vous, souffrir avant le trépas semble être le plus grand de tous les privilèges.
- C'est une méprise, répliqua Sarl.
- Tuez moi !
- La mort est une option si facile...
- La mort se trouve face à moi, je ne fais pas de réticences.
- Et je sais ce que sont vos sentiments à mon égard, j'ai toujours su vous faire plaisir, je suis l'ombre de désir que vous avez façonnée.
Ma tête s'était mise à légèrement tourner.
- Tuez moi, s'il vous plaît, ai je supplié.
- Je ne peux pas.
Je ne supportais plus d'être debout, je m'alourdissais et j'ai trouvé assistance auprès de la vieille chaise à bascule de mère.
- Pourquoi refusez ? Je n'attends plus rien, puisque mon existence semble déranger ceux pour qui j'avais le plus d'estime. Je n'ai aucunement peur de la mort, je m'y suis si souvent préparée. Alors, je vous en supplie !
- Et je vous supplie de rester en vie.
C'était un de ces vieux contes où le prince réclamait l'amour de sa bien aimée, c'était monstrueux, l'amour est tout ce qui a de plus monstrueux en ce monde, même les démons voulaient le connaître.
Sarl s'est approché de moi.
- La déchéance, la vôtre, m'a persuadée de vous épargner, depuis si longtemps je me lamente pour elle.
Il s'agenouilla devant moi, j'avais peur à présent, serait ce au tour du monstre de découvrir la folie.
- Votre souffrance est encore plus grande que celle des « habitants de l'ombre », ces créatures qui vivent cachées, terrées au plus profond de vos peurs, eux aussi veulent connaître la joie que les êtres humains éprouvent, la folie d'un si grand désespoir. J'aime cette douceur fade.
La créature avait pris pour me séduire le plus beau des visages, dans ses yeux, je pouvais lire le vide, la tristesse accablante des âmes sans joie.
- Je ne suis la mère d'aucune douleur, lui ai je dit, pardonnez moi !
- Vous fuyez tous vos sentiments, vous ne savez pas aimer, gronda t-il.
- Qui peut m'apprendre à aimer autant que je méprise ? Vous ? Vous qui n'êtes qu'un novice ?
Sarl Majirowel a pris mes mains dans les siennes, il m'a sourit si délicieusement que je me sentais horrible face à lui.
- Laissez moi essayer.
Il avait ensuite posé sa main sur ma joue, et il s'est passé une chose incroyable, je me suis retrouvée dans ce bois où il faisait toujours très beau, et j'étais assise au milieu des feuilles d'arbres fanés, mortes. Lorsque j'ai levé la tête, j'ai aperçu des milliers de pétales de fleurs, si belles, si diversifiées qui venaient s'écraser avec légèreté sur ma peau, j'étais nue et rouge de honte mais tellement heureuse. Et la créature a souri devant tant d'émerveillement.


Dixième


Il y a des péchés qu'il valait mieux taire, des secrets qu'il valait mieux étouffer. J'avais été courageuse ce matin, je suis allée au bout du couloir pour arracher le tableau de cette vieille sorcière, et je l'avais frappé violemment contre le mur, j'avais détruit le portrait de grand mère. Pour moi, elle n'existait plus. Sarl m'avait supplié de m'en aller avec lui, mais ailleurs que dans les ténèbres où il avait été voué toute sa vie entière.
Je suis allée trouver ma soeur, elle était maussade et me craignait. Les flammes ne l'avaient pas gravement atteinte, mais elle restait toujours sous le choc. Je me suis mise face à elle, face à ce regard craintif.
- Je suis venue te chercher, ai je commencé.
- Que se passe t-il ?! s'empressa t-elle.
- Le péché se développe en toi comme... Comme en moi, lui ai je annoncé.
Kidja était sidérée, mais je crois qu'elle était déjà au courant.
- Père n'appréciera sûrement pas, ai je continuer.
- Tu me détestes, pourquoi m'emmènerais tu ?
- Tu entends ! Écoute ! Écoute très fort !
Elle fronça les sourcils.
- Les paysans se révoltent contre la bourgeoisie. Il faut partir pour nos enfants.
- Ils ne sont pas de Dieu, c'est Satan qui les a engendrés.
- Ils ne sont ni du ciel, ni de l'enfer. Je suis ta soeur, et Dieu seul sait que je veux te protéger, tu es la seule preuve d'amour qu'il me reste. Je t'en prie, viens avec moi.
Elle semblait hésitante, mais toute aussi heureuse que je puisse lui faire une telle déclaration. Je lui ai alors ouvert mes bras et elle avait bondit hors de son lit pour se jeter dedans.

Nous avons abandonné notre père, seul, comme il l'a toujours été depuis l'accident. Lorsque j'atteignis les montagnes avec Kidja, nous nous sommes retournées pour regarder le paysage, revoir notre ancienne demeure, elle prenait feu ainsi que d'autres grandes maisons, la révolte paysanne avait débuté et ma soeur pleurait, c'était bien la dernière fois, car les jours de nos accouchements furent les plus pénibles et les plus sanglants.

Kei

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