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Les Novices : Livre I - Chérubins sanglants (partie IV)

Les cruels


Un


Kurt s'enfermait dans la Tour des heures après cela, il savait parfois que la comtesse le surveillait dans un coin sombre, elle essayait de lire dans ses pensées. Je vous haïs ! Et blessé, elle s'en allait. Kurt devait partir, il emmènerait sa soeur et sans doute Clémence si elle le voulait, mais il n'avait aucun plan valable, il était fatigué de vivre ainsi, c'était vraiment trop malsain, qu'est-ce que sa mère penserait si elle le voyait ?... Kurt finit par pleurer, il détestait son âme.
Cassie était triste elle aussi, son frère dans cette tour seul face à ses tourments, ça ne lui plaisait pas. Elle était assise sur le fauteuil en velours rouge de la grande salle, toute seule, Clémence était absente.
- Dites-moi que ce n'est pas vrai !, s'exclama Stéphanie, tu es toute seule.
- Et toi tu le seras éternellement, répliqua de suite Cassie.
Stéphanie s'assit près d'elle.
- C'est justement pour cela que je suis venue te voir, j'aimerais que nous réglions nos différends.
- Je ne savais pas qu'il y en avait, répondit Cassie.
- Après la mort de Lauralie, j'ai été très peinée pour ton frère et toi, tu es si triste et inquiète pour lui, j'ai voulu t'aider, puisque ton frère s'est enfermé tout seul et refuse de voir qui que ce soit. Je suppose que tu as très faim.
Cassie la considéra enfin, c'était ce qu'elle ressentait en effet, cela faisait douze nuits qu'elle n'avait pas chassé, mais elle pensait à Kurt, sortir serait impoli et égoïste.
- Tu veux soutenir ton frère dans sa souffrance, et je trouve cela honorable pour une petite fille, fit Stéphanie en se levant, mais attends, j'ai quelque chose pour toi.
Stéphanie quitta la pièce pour revenir quelques secondes plus tard, une femme dans ses bras, la proie avait le visage couvert. Cassie se leva, l'appétit réveillé, mais elle se méfiait vraiment.
- Pourquoi a-t-elle le visage couvert ?, lui demanda t-elle.
- Elle est effrayée, je sais que tu n'aimes pas lire la peur sur le visage de tes proies, lui répondit Stéphanie en jetant le corps aux pieds de Cassie.
- Mais elle pue ! Qu'est ce que c'est ?, demanda t-elle presque écoeurée par l'odeur putride qui émanait de la victime.
- Je l'ai trouvée errante aux alentours du château, sans doute une mendiante, mais cela n'a aucune importance, c'est son sang que tu dois convoiter, répondit Stéphanie.
Cassie s'approcha de la victime.
- Il est vrai que je meurs de faim, fit-elle en souriant à Stéphanie, merci.
Puis comme une petite fille impatiente d'ouvrir un paquet cadeau, elle planta ses crocs dans le cou de la femme, déchirant une artère, elle but avec avidité.
- Tu va faire une indigestion, calme toi !, se moqua Stéphanie qui s'éloigna, mais sans quitter la pièce.
- Ma petite comtesse !, émit la victime en extase.
Cassie la lâcha, manquant s'étouffer, le sang qu'elle venait de boire, avait le même goût que le sien, sa bouche était maculée d'un crime sans nom.
- Ma petite comtesse !, répéta la victime.
C'était le petit nom que lui donnait Kurt et que sa mère avait fini par adopter. Cassie s'étranglait presque. Stéphanie finit par s'étrangler elle aussi, mais de rire, c'était insupportable.
- Elle souhaitait si ardemment vous revoir, mais j'ai omis de lui dire que vous étiez devenus des monstres, dit-elle.
Cassie enleva la cagoule qui recouvrait le visage de la victime, les mains tremblantes.
- Maman !, souffla t-elle.
Géraldine leva les yeux sur sa fille, elle ne pleurait pas mais Cassie finit par le faire.
- Ma petite comtesse, je suis si heureuse de te revoir, toi et ton frère m'avez fait très peur, un homme est venu me donner de vos nouvelles, et une bourse bien pleine, mais c'est que je voulais tant vous revoir... J'étais inquiète, très inquiète...
- Maman !, fit Kurt en s'approchant, plus souriant que jamais, hébété par le son d'une voix maternelle, je t'ai entendu, je croyais être devenu...
Il s'arrêta pour remarquer le sang et les larmes qui maculaient le menton de Cassie.
- Mon petit, je ne vais pas bien, j'ai mal, souffla Géraldine qui détourna son regard de ses enfants, elle fixa le plafond un long moment avant que sa poitrine arrête de se soulever.
- Maman, firent ses enfants.
Kurt s'éloigna du corps, il avait envie de vomir.
- J'ai tué maman, cria Cassie, elle hurla, transperçant sûrement les tympans des habitants du Monde, et se leva ensuite pour se précipiter vers la sortie. Kurt ne broncha plus, il se mordit la langue si fort qu'elle se mit à saigner, il avala son propre sang.
- Non !, hurla Stéphanie qui se précipita vers lui.
Kurt renversa la tête en arrière, empoisonné.
- Espèce d'imbécile, ne fais pas ça !, ordonna t-elle, Comtesse ! Comtesse !
Kurt mourait.


Deux


- Ouvre les yeux, lui ordonna-t-on.
Kurt ouvrit les paupières, Lauralie lui souriait.
- Toi ?!, chuchota Kurt.
- Je n'ai pas eu le temps de te dire au revoir, dit-elle.
Kurt se réveilla au milieu d'un champ de boutons d'or, il faisait beau, il voyait la lumière du soleil, il la sentait presque lui lécher le visage. Kurt se leva fasciné par cette chaleur, cette lumière, il resta accroché au ciel.
- Suis-je mort ?, demanda t-il.
- Non !, lui répondit-elle, tu ne le dois pas !
- Je veux mourir.
- Tu es devenu fou, c'est ce qu'elles voulaient, tu es si déstabilisé, tu as tant de haine en toi, cela peut être destructeur. Elles se servent de toi, ne sois pas si remonté, lui dit-elle.
Kurt se tourna vers elle, les larmes aux yeux.
- Tu pleures encore et encore, tes larmes ne t'aideront pas, fit-elle.
- Elle m'a laissé mon humanité, la douleur est morale, elle est si forte, je n'ai plus de repère, je n'ai jamais voulu devenir "ça", ni monstre, ni humain.
- Sois plus fort, le destin n'existe pas, ton avenir est à toi.
- Je n'ai plus envie, j'ai perdu ma vie, ma famille et toi...
- Ho ! Mais vas-tu arrêter de te lamenter, elles n'attendent que ça. Reviens à la vie, et essaye de la changer Kurt, laisse vivre les vivants, laisse toi vivre.
Ce fut violent, Kurt ouvrit les yeux réellement, il se trouvait de nouveau dans la tour noire, il reprit sa respiration, puis chercha la présence dans sa cage.
- Clémence ?
Elle se montra à lui, timidement.
- La comtesse t'a ramené à elle, jamais elle ne te laissera partir, sanglota-t-elle.
- Qu'est-ce que tu as ?, lui demanda-t-il.
- Cela va bientôt faire quatre jours que Cassie s'est enfuie.
- Où est ma soeur ?, tonna Kurt.
- Je n'en sais rien, nous avons cherché toutes les nuits, parfois je l'entends pleurer, mais cela ne me guide pas vers elle, son coeur ne bat plus depuis trois jours.
- Pourquoi l'aimes-tu autant ?, lui demanda Kurt intrigué par le lien fort entre elle et sa soeur.
- C'est une histoire sans doute banale, mais la comtesse a tué ma petite fille, cela fait bien longtemps, Cassie lui ressemble tant.
Clémence s'assit près de lui.
- Aide-moi à m'éloigner d'elle !
- Mais qui est-elle ?, demanda Kurt qui voulait savoir pourquoi cette femme avait de tels pouvoirs.
- C'est une puissante, elle fait partie d'une longue lignée de femmes qui sont poursuivies par des sortes d'ombres, des démons qui souhaitaient une descendance pure, ceux-ci avaient passé un pacte avec l'ancêtre de la comtesse, qui était folle. D'après ce que dit la comtesse, ces "ombres" viennent sur terre à la naissance de l'enfant, une petite fille conçue uniquement par deux humains, ils les séduisent et leur lèguent une descendance de monstres aux pouvoirs étranges, raconta Clémence, lorsque la comtesse a appris l'existence des vampires, elle a tout de suite aspiré à en devenir une, pour régner éternellement, elle a même tué son propre créateur pour s'approprier ses pouvoirs.
- L'on peut faire cela ?, demanda Kurt.
- Oui, mais la comtesse n'est pas un vampire ordinaire.
- Comment l'évincer ?
- J'ai bien peur que l'on ne puisse pas le faire, répondit Clémence, puis elle se larmoya de plus belle.


Trois


La comtesse avait tué la petite fille de Clémence juste avant de la rendre folle avec ses apparitions fréquentes. Clémence ne voulait pas croire en son existence, les habitants de Liverpool, son village natal, la prenaient pour une folle lorsqu'elle leur racontait qu'un démon la poursuivait, un monstre qui pouvait prendre la forme d'une nymphe lorsqu'elle le désirait.
- Mais qu'est-ce qu'elle peut bien te vouloir ?, lui avait demandé un habitant de son village.
- Elle veut m'emmener, elle dit que je suis très belle et que mon sang est si pur qu'il est un don que tout ceux de son espèce convoitent, lui avait répondu Clémence en serrant dans ses mains tremblantes une croix en fer.
On l'avait traité de folle, on l'avait injurié, on s'était moqué d'elle, alors elle avait perdu la foi et s'était donnée à la créature.
Quant à Stéphanie, c'était elle-même dans un coin de ruelle sombre, qui avait appelé la créature parce qu'elle voulait la servir, et maudire à sa guise les humains. Et Stéphanie avait aimé cette vie, elle avait aimé la douce Clémence, qu'elle a perverti à son image.
Puis ce fut le retour des chasseurs de monstres. Les meurtres se multipliaient et les légendes refirent surface avec ses croyants et adorateurs que l'on essayait de poursuivre et d'achever. La comtesse ne s'en inquiétait pas, c'était Kurt et Clémence qu'elle poursuivait, ils s'éloignaient d'elle, fermaient leurs esprits, et restait parfois des jours sans boire, ni bouger. Du haut des escaliers en marbre, elle les observait assis sur le canapé en velours rouge, immobiles, la comtesse enrageait, elle se tourna vers Stéphanie qui se trouvait à ses côtés.
- Surveille-les !, lui ordonna-t-elle.
Puis elle disparut dans un des coins sombres du château. Stéphanie soupira, elle baissa les yeux vers ses deux compagnons, ils levèrent en même temps leurs visages parfaits, sans aucune expression.
- N'essayez pas de m'effrayer, cela ne marchera jamais, avertit-t-elle en descendant les escaliers, glissant sur les marches.
Kurt se leva d'un coup sec, telle une poupée en bois, il s'effondra lourdement, Clémence fit de même.
- Eh ! Que faites-vous ?, gronda Stéphanie en s'approchant d'eux.
Elle ramassa Kurt, ce n'était plus qu'un pantin grotesque. Stéphanie n'avait pas envie de jouer, elle se leva d'un bond, furieuse, puis se retourna. Sa gorge se fendit en deux et le liquide vermeil en jaillit, elle recula les mains sur son cou, abasourdie. Kurt abaissa sa lame, il la regardait droit dans les yeux sans expression ou plutôt si, une expression assassine que la lumière des quelques bougies du grand salon intensifia, il semblait lui sourire. Stéphanie trébucha, sa plaie prendra du temps avant de se refermer, mais la laisseront-ils vivre jusque là ?
- Vous êtes mes chasseurs ?!, suffoqua t-elle.
Clémence fit son apparition au-dessus d'elle, elle lui souriait.
- Ma princesse !, souffla Stéphanie.
- Tu as été jalouse, tu as décidé de me l'enlever.
- Elle te volait à moi, répondit-elle les yeux implorants. Pardonne moi !
- Nous sommes tes juges, chuchota Clémence, elle posa les pieds à terre, et Kurt leva l'épée sur Stéphanie.
- Non !, supplia celle ci, son sang produisit un petit gargouillement avant de s'éteindre, le métal du sabre cingla sur le sol, Clémence ne broncha pas lorsque la liqueur vermeille s'éparpilla sur elle, elle resta froide à la mort de Stéphanie.
Un vent glacé était entré dans le château, les flammes des bougies s'éteignirent d'un seul coup.
- La peur... balbutia Clémence, la peur s'invite...
- Il faut que l'on s'en aille, fit Kurt.
Il prit la main de Clémence et ils essayèrent de fuir ce vent menaçant. Les portes se refermèrent à leur approche. Kurt essaya de les ouvrir de force, il utilisa même son épée, rien ne marchait.
- Elle va nous tuer, cria Clémence.
- Nous allons tâcher de trouver une autre sortie, il la regarda, je passerai même par toutes les fenêtres s'il le faut.
Clémence lui tendit la main et il l'entraîna avec lui vers les escaliers, mais elle était déjà là, dans sa longue robe blanche, glissant sur les marches, avec son sourire mesquin le plus connu.
Vous m'avez trahi, vous m'avez trahi.....
Kurt apprêta son épée. La comtesse ne fit rien, elle remonta les escaliers tranquillement, puis elle leva les bras, ses doigts étaient crochus, elle poussa un cri inaudible. Kurt emmena Clémence ailleurs.
- Elle les a réveillés, lui cria-t-elle.
- Pardon ?
- Elle vient de réveiller ses victimes, dit-elle.
Des plaintes s'élevèrent dans tout le château, se projetant sur les voûtes qui renvoyaient des échos. C'était des plaintes, des appels de souffrance. Kurt vit un amas de cadavres, qui marchait parfaitement en ligne pour se diriger vers eux. C'était affreux...
- Ce sont des enfants !, s'exclama-t-il atterré.
L'un d'eux attrapa les bras de Clémence, elle l'envoya sur les dalles, mais ils étaient de plus en plus nombreux. Kurt ne fit rien, c'était des enfants!...
- Kurt, aide-moi ! N'aie pas peur, ils sont déjà morts. Ce ne sont plus des enfants, ce sont ses jouets à elle, lui cria Clémence, griffonnée par les ongles de ces corps livides.
Kurt leva son épée, il avait peur, mais un enfant le mordit au bras. Kurt abattit son arme. Plus d'enfant...
Clémence se cachait derrière lui, tremblante, elle observait toute la pièce, écouta attentivement.
- On ne sortira jamais...
- On sortira d'ici, coupa Kurt, qu'est-ce que c'était que cela ?
- Des enfants ? Ne t'es tu jamais demandé pourquoi la comtesse paraissait si rajeunie de jours en jours ? Elle s'immerge dans le sang de ces petits qu'elle aime tant. Elle nous aime parce que nous sommes jeunes Kurt, elle essaye d'arrêter le temps pour que nous soyons ses tableaux de beauté éternelle, répondit Clémence.
Le portrait d'un vieil homme prit forme, ses mains agrippèrent Clémence qui hurla, il l'emporta dans la toile. Kurt lâcha son épée.
- Clémence !, hurla t-il en se précipitant vers le tableau, Clémence !
Il entra à son tour, il avait l'impression d'être englouti, de mourir lentement, si seulement il le pouvait, tout cesserait...


Quatre


Clémence se releva, la bouche béante, elle regardait bien tout autour d'elle pour se rendre compte qu'elle ne rêvait pas, il faisait nuit et les rues étaient sombres, éclairées seulement par quelques lanternes, les maisons semblaient s'enlacer étroitement. Clémence souriait émerveillée puis tourna sur elle-même, elle se trouvait à Liverpool, dans son village. Elle oublia bien vite la comtesse et Kurt, l'émotion l'avait totalement envahie.
- Oh ! Mon Dieu !, fit-elle en s'arrêtant de gigoter.
Au bout de la rue, elle apercevait sa mansarde, elle élevait seule sa fille, fruit de ses entrailles, violée par un homme, un brigand. Personne ne l'avait aidée, ses soupirants la délaissèrent, elle avait accouché seule dans la misère et la souffrance accablée par la pitié de son village tout entier. Ils souhaitaient tous la mort de son enfant, mais Elisabeth était née, elle vivait...
Le coeur de Clémence se souleva lorsque la porte en bois de sa mansarde s'ouvrit, un petit pied nu se posa sur le sol, c'était une petite fille blonde, le visage sale, qui portait des haillons, elle était effrayée et se mit à hurler en sortant de chez elle.
- Elisabeth !, cria Clémence.
- Maman !, hurlait la petite fille en ne cessant pas de jeter un oeil derrière elle, une meute de loups était alors à sa poursuite.
Clémence fut prise à la gorge, elle se précipita vers sa fille.
- NON !, hurla-t-elle avant de se cogner contre une barrière invisible qui l'empêchait d'aller sauver sa fille.
Les loups l'agrippaient enfin, elle poussa un cri horrifiant en tombant sur le sol. Clémence cognait de toutes ses forces sur la barrière, elle le griffa et recommença à cogner, cogner...
Un loup attrapa dans sa gueule ouverte le cou d'Elisabeth qui arrêta de hurler, on lui arracha la peau, et le loup se mit à lécher le sang qui s'écoulait d'elle. Les autres la déchiquetaient, Clémence regardait écoeurée, les larmes aux yeux, le corps de sa petite fille se transformer en vulgaire quartier de viande, ses cheveux blonds devinrent rouges, un loup traîna loin des regards horrifiés un des morceaux de chair et le dévora instantanément, le sol devint sanguinolent.

Kurt était enfermé dans une des maisons du village, il essayait de sortir pour éloigner Clémence d'un tel spectacle. Il essaya de toutes ses forces de faire exploser cette vulgaire porte, mais elle ne céda pas. Kurt retourna à la petite fenêtre pour avoir un oeil sur Clémence, celle-ci regardait toujours sa fille se faire dévorer. Kurt tapait contre la vitre, il éprouvait de la haine à présent, il cogna lui aussi, encore plus fort, il s'arrêta lorsque ses poignets se mirent à vomir du sang, il recula abominé.
- Qu'est ce que c'est que toute cette agitation ?, demanda la comtesse qui se trouvait à ses côtés.
- Je vous en prie, arrêtez tout ceci !, supplia Kurt d'une voix douloureuse.
Il pleurait de nouveau.
- Je t'ai laissé ton âme pour voir tes larmes couler, tes merveilleuses larmes blanches, nous vampires, ne versons que de pauvres et pathétiques larmes de sang car notre seule nourriture est le sang, nous le vomissons, nous le buvons, nous le haïssons.
- Je veux l'aider, chuchota Kurt.
- Qui donc ? Laisse Clémence à son sort et reviens avec moi, nous serons seuls, sans personne, des amants écartant tout sur notre passage, terrorisant les humains...
- Et moi, je veux aller l'aider, coupa Kurt.
- Tu es si obstiné et effronté ! Qui es-tu pour te croire apte à la sauver ? Pourquoi veux-tu l'aider ?
- Je lui avais dit un jour que si je n'étais pas épris de vous, je serais pour elle le plus fidèle des amants.
- Que veux-tu insinuer ?
- Que je ne vous aime pas, je crois même n'avoir jamais éprouvé quelque sentiment envers vous, votre beauté m'avait aveuglé, mais la sienne, jamais. Je veux l'aimer, elle, je veux la sauver, répondit-il.
Les yeux de la comtesse se teintèrent de rouge, elle rageait ferme, elle recula et regarda par la fenêtre, elle s'immobilisa comme une statue de marbre. Kurt fit de même.
Clémence était tombée à genou, elle vomissait un liquide blanc, c'était sa bile. Kurt écarquilla les yeux tout comme Clémence à la vue de ce miracle.
- Ce n'est pas du sang !, constata t-il d'une voix entrecoupé, elle est de nouveau mortelle.
- Oui, fit la comtesse qui avait recommencé à se mouvoir dans la pièce, et les loups ont très faim.
En effet, les bêtes avaient fini de se repaître de la petite Elisabeth, ils tournaient alors en rond, attendant sûrement la dissipation de la barrière pour se ruer sur Clémence.
La comtesse rit, très fière d'elle, mais elle reçut une bonne paire de gifles de Kurt, elle tourna la tête vers lui, étonnée d'avoir été touchée pour la première fois de sa vie ainsi. Personne ne pouvait et ne devait lever la main sur elle de peur de mourir, mais lui se tenait droit, ferme, l'expression rude et déterminée.
- Es-tu un ange ou un démon ? As-tu quelque pouvoir ? demanda-t-elle effrayée.
Kurt lui souriait.
- Savez-vous comment les gens se débarrassent des sorcières ?
Kurt abattit violemment la lampe à bougie sur elle, la comtesse prit feu en un moment, les morceaux d'éclats de verre restaient suspendus au-dessus d'elle miraculeusement sous les yeux étonnés de Kurt, qui venait de réaliser qu'il avait défié la comtesse, celle dont il avait toujours eu peur, comme les autres. La comtesse se consumait devant lui, elle essayait de se débattre.
- Je t'ai créé, parce que je t'aimais, hurla-t-elle dans les flammes.
Kurt attrapa un couteau sur la table de la cuisine, il se tourna face à la masse brûlante et lui transperça le coeur, sa main le brûlait, mais il était si satisfait de lui, la comtesse arrêta de gigoter, elle tomba à terre se consumant tranquillement, la porte s'ouvrit alors. Kurt ouvrit la porte pour sortir.
Il se trouvait dans le grand salon, vide, sombre, vieillit. Clémence se tenait toujours à genou à terre. Il se précipita vers elle.
- Clémence !, Nous sommes vivant, nous sommes sortis.
Lorsqu'il la toucha, elle se renversa sur les dalles, Kurt très inquiet la redressa, elle était toute pâle et très maigre. Elle était redevenue une simple mortelle avec tout ce que cela impliquait; la faim, la vieillesse, la maladie et la mort.
- Clémence !
Il la prit dans ces bras et resta assis ainsi.


Cinq


Un personnage singulier, Emmanuel trouva le corps de Stéphanie et un peu plus loin, en suivant la vilaine trace rouge caillé, il vit la tête. Il fronça les sourcils, peut-être qu'un autre chasseur était passé par-là ? Non, il ne ferait pas un aussi mauvais travail. Peut-être qu'un règlement de compte entre ces créatures s'était produit ? Non, ce serait trop stupide de leur part, ils devaient se reproduire à leur manière pour résister aux attaques des chasseurs, et ils n'avaient pas le droit de s'entretuer. Mais Emmanuel n'était pas juge, il pouvait se tromper.
Il s'immobilisa devant les petites formes qui se cachaient dans la pénombre, il s'avança, son arbalète prête à toute éventualité, mais il l'abaissa aussitôt. Kurt enlaçait un squelette pourri qui n'attendait que son réveil pour s'effriter. Emmanuel crut qu'il était mortel à cause des larmes qu'il n'arrêtait pas de verser.
- Tu es un chasseur ?, lui demanda Emmanuel.
Kurt fit un mouvement et le squelette tomba en poussière sous ses doigts. Il resta sans bouger un long moment puis se tourna vers Emmanuel.
- Non ! Et toi ?, lui répondit-il en lui révélant ses deux dents longues et pointues. Emmanuel s'arma de son arbalète.
- Vise ici !, chuchota Kurt en mettant sa main sur sa poitrine, sur son coeur.
- Pourquoi veux-tu mourir ? Est-ce une ruse ?
Kurt releva la tête, il vit ses larmes, et là encore, il abaissa son arme.
- Pourquoi pleures-tu comme nous ?, lui demanda Emmanuel intrigué.
- C'est la comtesse qui l'avait voulu ainsi.
- La comtesse !, s'affola l'autre, Est-elle présente ?
- Elle ne l'est plus, répondit Kurt avec indifférence, à présent fais ton office.
Emmanuel n'avait pas envie de l'exécuter, il semblait émaner quelque chose de précieux en la personne de ce monstre.
- Tu n'es pas commun, tu pourrais aider mon maître.
- Je ne le souhaite pas, répliqua Kurt lassé.
- Tu pourras ainsi aider d'autres innocents qui rachèteront la vie de ceux que tu as déjà volés, insista Emmanuel d'une voix plus sévère.
Kurt savait qu'il avait raison.
- Comment te nommes-tu ?, lui demanda-t-il.
- Emmanuel Maufas.
- Je n'ai jamais aspiré à devenir cette chose immonde que certains trouvent fascinante, j'ai perdu ma famille, mon amie, ma compagne, tout ceci n'a rien de fascinant.
- Nous aideras-tu ?, demanda de nouveau Emmanuel d'un ton plus doux.
- Oui, répondit Kurt en ne quittant plus des yeux les cendres de Clémence. Je n'ai plus rien...

Kei

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