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La Grande Punition : Questions

"Où les questions ont des réponses,
Où l'ennemi et l'ami sont des étrangers connus."

--- Mais la pluie des démons transforma la terre en un enfer, brûlant les âmes, aussi bien les pures que les plus souillées, et seule la sainte purification, l'Inquisition pouvait mettre un Ordre dans ce chaos. ---
Codex Maleficarum - L'avènement du nouveau monde



Alors que la nuit commençait à tomber sur le village silencieux, le groupe grimpa les quelques mètres qui menaient à la maison de Coloss. Vu de l'extérieur, c'était les restes assez abimés d'un ancien bâtiment de plusieurs étages. Sid doutait d'ailleurs que ce fut le premier étage qui servait d'habitation à son sauveur. Il restait quelques poutrelles qui tombaient lamentablement sur la façade et, comme il l'avait vu lors de son éveil, le matin même, plusieurs d'entre elles servaient de support à une végétation étrange ainsi que de guide à plusieurs petites cascades. Il supposa que le toit servait de réservoir à eau et que celui-ci ne pouvait que difficilement supporter les précipitations importantes qu'apportaient les fontes glaciaires. Bizarrement, ce bâtiment ainsi que les autres qui composaient le village avait assez bien résisté aux intempéries des premières années après la Grande Punition. C'était peut-être dû aux collines assez abruptes qui entouraient les constructions.
Sid soupira. Il aurait aimé ne plus avoir à se battre pour sa vie, mais sa conscience mystique naissante l'informait qu'il avait encore de grandes choses à faire et que ce ne serait pas facile, ni pour lui, ni pour Marie. La première chose qu'il devait réussir, c'était de faire comprendre à Coloss que son leader n'était ni le saint homme qu'il admirait, ni l'être bienveillant qu'il s'imaginait. Ce ne serait pas une mince affaire.

« Je sais que ce sera difficile, Sid, mais ce n'est pas non plus la plus dure des choses que tu auras vécues. », lui murmura Marie au creux de l'oreille.

« Je crois... », répondit-il tristement, « ... que la plus terrible des choses qu'il me reste à faire, c'est certainement de tuer mon père. »

Il y eut un silence assez désagréable dans le petit groupe, comme si chacun tentait de s'imaginer faisant ce que venait de suggérer Sid.

« Il n'y a malheureusement aucune autre façon de faire. », continua-t-il, « J'ai beau retourner cela dans tous les sens, maintenant que je sais en partie ce qu'il m'a fait, je ne peux pas le laisser continuer et perfectionner son art immonde de modelage de la chair. Il est hors de question que d'autres comme moi subissent cela. »

« Et si, ce n'était pas entièrement de sa faute, s'il y avait encore une chance qu'il revienne du bon côté des choses ? », demanda Flambeau.

« Rien ne pourra pardonner ce qu'il a déjà fait. Rien ne peut lui pardonner le mal qu'il a fait à ce garçon, là-bas. » Il indiqua la maison de Morphée même si le corps de l'Inquisiteur n'y était plus. Des larmes se mirent à couler sur ses joues. « Rien ne peut réparer le mal qu'il m'a fait... quelques soient ses raisons. »

Il poussa la porte devant lui sans prendre la peine de frapper. Lorsqu'il vit que Coloss le regardait étrangement, il effaça simplement les larmes sur son visage et sourit. Sybille et lui se regardèrent. Ils ne posèrent aucune question. Tous trouvèrent leurs places autour de la table et mangèrent en silence, Sid cherchant désespérément un moyen d'aborder le sujet avec le géant sans le prendre à rebrousse-poil. A la fin du repas, qui fut presque sans parole, lourd d'une tension qui ne semblait pas vouloir passer, Coloss tourna les yeux vers Sid avec une certaine délicatesse dans le regard mais aussi avec beaucoup de sérieux.

« J'aimerais que tu expliques plus complètement ce que tu as dit tout à l'heure au sujet d'Abel. », demanda calmement Coloss, « Je te promets que je ne le prendrai pas mal et que je ne t'agresserai pas. »

Sid eut du mal à le croire, mais il s'exécuta.

« Je crois que ma vision de tout à l'heure disait qu'Abel avait une implication directe dans mon malheur. Depuis, j'ai vu en touchant l'Inquisiteur, ce qui arrivait à ceux qui étaient attirés dans le quartier général du Guide, et j'ai vu mon père pratiquer un art macabre sur le jeune Marqué qui est devenu cet Inquisiteur. »
Il s'arrêta pour reprendre son souffle.

« Attends, tu dis que c'est un Marqué, cette créature est humaine ? », souffla Coloss.

« Plus réellement. Elle n'est que le reste d'un humain combiné à une haine farouche et à un élixir de douleur. J'ai subi cette chose immonde qui permet à un Guide de transformer un Marqué en un Inquisiteur, mais le Guide qui m'a traité n'a pas fait ce qu'il devait faire, c'est pour cette raison que j'ai réussi à fuir le temple. Il m'a... amélioré, je crois. »

Il fit une nouvelle pause.

« Ce qui me fait dire que Abel n'est pas aussi blanc qu'il peut le paraître, c'est le visage que j'ai vu en touchant Morphée pour la première fois. Il cache une dualité profonde et je ne veux pas croire qu'il s'est opposé à mon père lors de leurs recherches conjointes, simplement parce qu'il avait compris que ce qu'ils faisaient était de créer des Inquisiteurs. Je suis sûr qu'il savait parfaitement ce qui se passait dans les couloirs de la Multinationale quand ils y travaillaient ensemble. »

Coloss le regardait assez incrédule, mais réfléchissant à ce que racontait le gamin.

« Je ne savais pas qu'Abel avait travaillé pour la Multinationale. », murmura Sybille comme pour ne pas déranger.

« Il y était chef de projet, le supérieur de mon père pour être plus précis. Je crois ne l'avoir jamais rencontré mais j'ai entendu parler de lui. De ce que je me souviens, mon père disait qu'il avait un énorme besoin de pouvoir et que cela le mènerait très loin, dans des affaires que mon père souhaitait éviter pour les risques qu'elles faisaient prendre à ceux qui en avaient la responsabilité. Je ne me souviens pas l'avoir entendu donner plus de précision sur les affaires en question, mais ça le faisait frissonner lorsqu'il en parlait. »

« Même si tu dis vrai, Abel a contribué de façon importante à notre communauté. Il nous a protégé des Inquisiteurs à maintes reprises, par des moyens plus ou moins secrets mais toujours très efficaces. Je ne vois pas ce que nous pourrions lui reprocher. »

Il fit une pause.

« Même si je ne vois pas quels moyens pourraient arrêter les Inquisiteurs chassant des Marqués surtout des activistes comme ceux qui vivent dans ce village. »

« A moins qu'il ne les dirige. », conclut Sybille, dans un soupir qui fit relever la tête à Coloss, « Ce n'est pas une vision, juste une déduction logique des événements que j'ai vécus ici. »

Il y eut un silence encore plus lourd qu'avant la discussion. Coloss regardait la table tentant visiblement de trouver des indices à charge ou à décharge. Il avait vécu les mêmes moments d'horreur que Sybille, les raids imminents qui n'arrivaient jamais, les disparitions inexpliquées et les réapparitions de personnes prostrées ayant oublié ce qu'il était advenu d'elles pendant deux ou trois jours, les Inquisiteurs qui faisaient demi-tour alors qu'il s'approchait des limites du camp, sans même vérifier, ni combattre, et ceux, trop nombreux suivant leur réputation qui avaient perdu la vie au cours des escarmouches près du camp. Il y avait aussi les pertes au combat, assez minimes pour un camp activement recherché. Tout cela ne pouvait maintenant être rationnellement mis sur le compte de la chance.

« Tu ne m'as pas convaincu, jeune Destin, mais je vais faire plus attention pour le voyage de demain que je ne l'aurais jamais fait avant. Si tu as raison, alors vous êtes bien plus en danger que n'importe quelle autre personne dans ce camp mais aussi pendant le trajet, parce que tu es certainement le seul capable de faire la lumière sur ce mystère. »

Il se leva et ajouta :

« Allez, au lit, nous devons partir tôt demain. »

« Moi, tu m'as convaincue, Destin. », ajouta Sybille, « Je serai près de toi en cas de coup dur. »

Destin regarda Morphée, il sourit.

Nehwon

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