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Réécrire un conte

Réécrire un conte : La Belle au Bois Dormant

Il était une fois, dans un pays morne aux portes des neiges éternelles, un château plus sombre encore que son pays. C'était un château comme il s'en faisait dans l'ancien temps, une demeure sombre et froide aux fenêtres embrasures et aux portes lourdes. Dans la plus haute de ses tours, il y avait un joyau. De noir et d'argent vêtue, les mains posées jointes sur sa poitrine, les jambes serrées et droites, une princesse dormait d'un sommeil étrange, les yeux ouverts sur une éternelle attente. Cette princesse, Rose, était née dans la riche demeure de Kerval, une seigneurie du Nord. Et pour un temps infini, sur ce lit de marbre, elle était promise à dormir.

Tout avait débuté bien avant les premières neiges éternelles, plus de cent années en arrière, alors que la contrée était régie par Yvann de Kerval, un Roi juste et droit, assisté par sa femme, la reine Gween. Chacun dans cette contrée vivait heureux, car il n'existait pas de dîme ou de gabelle. La terre, loin d'être aride produisait de beaux fruits et des céréales à foison. Tous étaient heureux, sauf le Seigneur Yvann et sa douce, qui n'avaient et ne pouvaient avoir d'enfant. Contrairement aux moeurs de l'époque, Yvann répugnait à l'idée de répudier sa femme qu'il aimait mais il savait que jamais elle ne pourrait lui donner d'héritier.

Un jour, au début d'un fabuleux automne, un colporteur s'arrêta au château. Comme il est de coutume, le Seigneur accueillit le voyageur, et demanda des nouvelles des pays alentours.

« J'ai des nouvelles bien plus grandes à vous apprendre, mon Seigneur. », répondit le marchand, « Bientôt, lors de la nuit des flammes, la Cour du Songe s'arrêtera au cercle des pierres près de vos terres. Adressez-vous à Melonielle-la-fay, et en échange d'un long repas et d'une fête de six jours et six nuits, la Reine des Songes exaucera le souhait le plus pur de vos coeurs. »

Le Roi, connaissant les pouvoirs de la Reine des Songes et de sa Cour, s'éclaira d'un sourire qui fit frémir d'effervescence l'ensemble de son royaume, à tel point que l'on dit, que cette année-là, l'automne fut comme le printemps. La Reine Gween fit quérir la Fay, comme on fait mander un médecin. La drôlesse, une femme qui en d'autres temps aurait certainement été brûlée comme suppôt du Diable, fut honorée.

« Ma Reine », dit-elle, « Vous devez vous souvenir qu'au jour de la fête promise, treize à la table d'honneur vous serez. La Reine des Songes, les six seigneurs des ondes, les quatre Gardiens des Portes, Le Roi, notre seigneur et vous-même, votre altesse. »

La Reine patienta un instant et finit par dire.

« Ma bonne Fay, cela ne fait que douze convives, non treize. »

« Justement. », poursuivit la femme, « Pensez à dresser un couvert pour le treizième invité, qui ne viendra pas. Vous devez l'honorer comme chacun des autres convives, avec Or et Argent, sans quoi un terrible malheur s'abattra. »

« Très bien. », dit la Reine, « Il sera fait suivant vos indications. »

Lors de la nuit des flammes, les amants endormis révèrent d'une femme d'une incroyable beauté, drapée dans une robe multicolore composée d'ailes géantes de papillons. Et elle s'adressa à eux, d'une voix mélodieuse comme le tintement du cristal.

« La porte du Nord est ouverte, le Gardien m'a éveillée.
La porte du Sud est ouverte, le Gardien de sa voix m'a conté.
La porte de l'Est est ouverte, le Gardien de sa main, vers vous m'a portée.
La porte de l'Ouest est ouverte et avec l'aide du Gardien maintenant votre voeu réalisé.

Souvenez-vous qu'après une saison,
Mon dû devra m'être donné,
Pendant six jours et six nuits, un feu de paille doit brûler,
Et jusqu'à la lune pleine, la fête devra résonner,
Pour que la joie, à jamais, soit votre raison. »

Le miracle se produisit puisque quelques semaines plus tard, la Reine Gween apprit qu'elle portait un enfant. Il s'avéra que, bien que la puissance de la Reine des Songes soit immense, la Nature eut raison du voeu du Roi, remplaçant l'héritier par une héritière, à moins que les amants n'eurent sur le moment que souhaité un enfant. Tant est-il que personne, dans le royaume, n'exprima de déception comme il eut été de coutume en ces temps d'obscurantisme. Le Roi fut le plus heureux des pères. La Perle de Kerval, reçut le nom de Rose.

Alors que la fin de la saison approchait et que les préparatifs de la grande fête approchaient, la Reine tomba extrêmement malade, d'une affection portée par les vents en provenance du lointain orient. Les préparatifs furent donc conduits par le Roi, alors que les plus grands médecins s'occupaient avec attention de sa femme. Il fut forgé six couverts, d'Argent et d'Or, pour les offrir en cadeau aux six ondes venues bénir l'enfant, quatre Bâtons merveilleux furent sculptés pour honorer les quatre Gardiens des Portes et une couronne de platine et de joyaux réalisée pour révérer la Reine des Songes lors du banquet. La table fut dressée, merveilleusement décorée de fleurs et de fils d'argent, d'or et de platine. Musiciens, jongleurs et troubadours furent mandés pour animer l'événement pendant six jours et six nuits. Comme le Roi était bon, il offrit aussi repos à la population pendant six jours, distribuant du pain, du vin et de la viande à chacun de ses sujets.

Alors que la Reine se remettait, le jour arriva. Aux portes du palais, une foule s'amoncela, repoussée par les gardes qui avaient pour ordre de laisser passer les pairs du Royaume, ce qui représentait près de trois cents invités. Alors, les marches du palais étincelèrent d'un rayon de lune d'une parfaite blancheur. D'abord apparurent comme par magie, les Gardiens des Portes, de grandes créatures à la peau bleue, profond pour le Gardien du Nord, azur pour le Gardien du Sud, tacheté de blanc pour le Gardien de l'Ouest et presque opaline pour le Gardien de l'Est. Ils portaient des armures en plaques d'un alliage presque aussi brillant qu'un miroir, décorées de doux et complexes entrelacements ésotériques. Ils portaient au côté, un marteau de guerre dont la tête semblait aussi complexe qu'une clef. Ils se placèrent au garde-à-vous devant la porte du palais. Vinrent, ensuite, les Seigneurs des Ondes, habillés de leurs atours les plus beaux, pourpoints aux couleurs chaudes ou froides d'une pureté presque éblouissante, braies de cuir d'animaux inconnus et bottes aux fourrures magiques. Alors que le Roi et la Reine de Kerval s'avançaient vers la terrasse, pour les accueillir, ils se tournèrent, se faisant face, pour créer une haie d'honneur. Dans une étincelante lumière apparut la Reine des Songes, Seedhe noble parmi les nobles, immortelle et intemporelle. C'était une grande femme à l'allure altière, au visage angélique, aux yeux iridescents et aux cheveux blonds comme la paille d'été. Elle portait une robe d'une blancheur immaculée, tissée comme on sculpte la plus fine des drapures de cathédrale et dont les arabesques enlacées laissaient, par endroit, imaginer sa peau à l'étrange couleur d'un crépuscule d'été. Elle avança vers les jeunes parents et, alors qu'ils s'inclinaient devant elle, elle leur fit signe de se relever.

« Bien des fois avant vous, des hommes mortels m'ont appelée par mon nom lors de la nuit des flammes », dit-elle de sa voix envoûtante, « Bien peu avaient une requête aussi peu intéressée que la vôtre. J'ai adressée une requête à mes seigneurs, avant la fin de la sixième nuit, chacun d'eux offrira à l'enfant nouveau-né dont nous allons fêter l'arrivée, un présent. Il sera mon remerciement pour votre requête, qui renforce mon royaume. »

Ainsi la fête commença dans tout le royaume, s'étendant jusqu'à ses confins les plus reculés.

Au premier soir, le Seigneur-Arbre leva sa chope d'eau-clair vers le plafond du palais. Il s'écria : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que la sagesse de l'arbre guide sa vie. » Et une lueur verte illumina le berceau. Au second soir, le Seigneur-Pierre leva sa chope de vin fort vers le plafond du palais. Il récita : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que l'endurance de la Pierre prolonge sa course. » Et une lueur brune illumina le berceau. Au troisième soir, le Seigneur-Faucon leva sa chope de vin doux vers le plafond du palais. Il murmura : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que la Noblesse et la Beauté se répandent sur ses jours. » Et une lumière bleue entoura le berceau. Au quatrième jour, le Seigneur-Lune leva sa chope de vin étrange vers le plafond du palais. Il déclama : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que la clarté du cristal ouvre son esprit. » Et une lueur d'argent entoura le berceau. Au cinquième jour, le Seigneur-Lion leva sa chope d'Alcool Blanc vers le plafond du palais. Il rugit : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que la Coeur du Lion efface ses peurs. » Et une lumière rouge entoura le berceau. Au dernier jour, le Seigneur-Forgeron leva sa chope de bière vers le plafond du palais. Il s'exclama : « Suivant le souhait de ma reine, j'offre mon présent à l'enfant du Voeu, Que le savoir-faire de l'artisan lui offre tout les dons. » Et une lumière dorée entoura le berceau.

Alors que la mi-nuit s'approchait et que la fête touchait à sa fin, les portes de la salle de banquet s'ouvrirent sous le coup d'un vent glacial. La nuit jusque là éclairée par la lune pleine et les étoiles étincelantes se couvrit d'une chape de ténèbres plus noires que la nuit. Les torches, elles-mêmes, vacillèrent jusqu'à ce que la lumière fut si faible que les convives ne purent plus voir leurs propres mains. Lorsque, après quelques secondes, la lumière revient, un homme, Seedhe lui aussi, était campé entre les deux battant de la porte sur le seuil. Il devait avoisiner la taille de deux hommes bien bâtis, son visage incroyablement beau et obsédant était froid comme l'acier. Il portait une tenue de soie sombre d'une infinie variété de gris ténébreux, complétée par une cape semblant faite de nuages d'orage filés en un lourd tissu de peurs sourdes. Sans avoir passé le seuil, il héla le Roi.

« Bien des fois avant vous, des hommes mortels ont appelé par son nom ma reine lors de la nuit des flammes », dit-il d'un ton lourd de reproches, glacial et magique, « Bien peu avaient le coeur aussi ridiculement pur que le vôtre. Et personne, aucun d'entre ceux qui ont choisi de s'en remettre à la bonté du peuple des Seelies, n'a oublié d'honorer le Roi des Cauchemars. »

Alors que le Seigneur de Kerval se leva pour tenter d'apaiser le Roi des Rêves Sombres, celui-ci leva une main gantée aux doigts fins et griffus.

« Il est bien trop tard pour tenter de calmer mon courroux, Roi mortel. Et je ne ravagerai pas votre royaume, comme je devrais le faire, pour vous punir d'avoir oublié jusqu'à mon existence », dit-il en indiquant la table qui n'avait que douze couverts et douze présents, « Mais je vais me permettre d'ajouter mon Geis à ceux des Seigneurs de l'Onde. »

Toujours sur le pas de la porte, il attrapa un verre de vin et le leva vers le plafond du palais.

« Un mot, Vengeance, dans mon coeur,
Comme pour verrouiller mon Geis,
Produit doucement son labeur,
De terreur et de Mort métis.

Cet enfant, Souhaité,
En sa seizième année,
Par son propre nom, sera blessée.
Pour chaque goutte de son sang,
Versé, elle souffrira les pires tourments,
Et trouvera la Mort, à la dixième perdant. »

Et le berceau d'une sombre lueur s'enveloppa. Sans un mot de plus, Roi des Cauchemars disparut laissant derrière lui le coeur glacé du Roi, de la Reine et de l'ensemble de leurs convives. Alors que l'aiguille de l'horloge approchait minuit, la Reine se leva et à son tour leva son verre d'hydromel vers le plafond du palais.

« Je n'ai malheureusement plus la force de m'opposer à mon Roi,
Mais, une chose est sûre, par mes derniers mots, son destin tracé n'arrivera pas,
La mort programmée, en un sommeil d'éternité, sera changée,
Et par un prince, d'un baiser, la belle sera sauvée.

L'ombre en ses veines restera, jusqu'à la fin des temps,
Et l'amour de sa vie chaque nuit plus vivant,
L'éveillera dans l'union douloureuse d'un désir brûlant. »

Alors que les cloches sonnèrent la mi-nuit, comme la lune cachée par les nuages, la Reine des Songes, les Gardiens et les Seigneurs disparurent comme si jamais ils n'avaient existé. Ils restèrent pourtant dans les souvenirs de chacun, sauf ceux de la princesse Rose, qui se devait de grandir sans la peur de son Destin. Le Roi Yvann fit interdire à quiconque de raconter l'histoire de la naissance de la Princesse, sous peine de mort. Alors que la princesse grandissait, elle fit preuve d'une incroyable constitution, affrontant les hommes dans les joutes d'endurance, d'une témérité sans borne et d'une sagesse sans égale. Elle aimait aussi à résoudre les mystères les plus complexes et à s'adonner à l'ensemble des arts et des artisanats avec une dextérité digne des Maîtres les plus experts. Sa beauté et sa noblesse de corps et de caractère avaient aussi attirés tous les prétendants des royaumes voisins, les laissant généralement languissant après un refus délicat.

Le matin de son seizième printemps, un jeune noble d'un royaume proche demanda audience. Elle l'accueillit, bien décidé à passer un moment amusant en sa compagnie sans pour autant lui offrir son coeur. Comme il se devait, il apporta un magnifique bouquet de fleurs fraîchement cueillies. La Princesse s'empressa de prendre le bouquet et se piqua le doigt sur une très jolie rose jaune. A la première goutte de sang qui tomba sur le sol, elle eut l'impression qu'on perforait son corps de milliers d'épines, à la troisième, la douleur était telle que l'univers autour d'elle avait disparu, à la sixième, elle était même incapable de pleurer, car même ses larmes la brûlaient, à la huitième, son esprit parfaitement clair supplia qu'on la laisse mourir. À la neuvième, elle sombra dans un sommeil sans rêve.

Il était une fois, dans un pays morne aux portes des neiges éternelles, un château plus sombre encore que son pays. C'était un château comme il s'en faisait dans l'ancien temps, une demeure sombre et froide aux fenêtres embrasures et aux portes lourdes. Dans la plus haute de ses tours, il y avait un joyau. De noir et d'argent vêtue, les mains posées jointes sur sa poitrine, les jambes serrées et droites, une princesse dormait d'un sommeil étrange, les yeux ouverts sur une éternelle attente. Cette princesse, Rose, était née dans la riche demeure de Kerval, une seigneurie du Nord. Et pour un temps infini, sur ce lit de marbre, elle était promise à dormir. Et après plus de cent années à ne voir que le plafond où couraient les veines d'un marbre parfait, Le visage doux et beau d'un garçon apparut. C'était un beau jeune homme, à la musculature douce et travaillée, aux yeux d'un bleu très clair et au visage serein.

« Je t'ai cherchée longuement, Princesse, mon père avait raison, tu es la plus belle des femmes de ce monde. »

Alors qu'il effleurait les lèvres de la princesse, elle reprit conscience. La dixième goutte de sang tomba sur la marbre du sol et le sombre Geis du Roi des Cauchemars prit fin. Elle serra le jeune prince dans ses bras, approchant maintenant sa bouche de son cou. Elle murmura :

« Mon châtiment final est que le prince qui m'éveille soit le fils du seigneur qui m'a maudite. Sais-tu que tu vas devoir vivre dans les ténèbres jusqu'à la fin de l'éternité ? »

Il ne put que répondre :

« Mon destin était écrit aussi profondément que le tien. Mon père avait prévu chaque mouvement, et comme aux échecs, il a atteint son but. Je suis à toi, tels que l'éternité et le monde. »

A cet instant, comme les Banshees qu'ils étaient ils échangèrent leur sang dans le plus pur des désirs, bestial, profond et assoiffé. Depuis, chaque nuit, les amants trouvent un rêve à hanter en espérant la fin de l'éternité.

L'amour est le pire des monstres, attirant, délicat, mais aussi jaloux et douloureux. Si cette histoire cherche une morale, alors apprenons que de trop parfait, l'amour en devient une blessure.

Nehwon

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