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Réécrire un conte

Réécrire un conte : Guillaume Tell

- 1 -

Il était recroquevillé dans le noir. Le sol sous ses mains était de pierres humides. Un courant d'air fétide passait sous la porte de bois qui lui apportait la seule lumière qui éclairait sa geôle. Il y avait bien une petite lucarne, mais elle était placée bien haut dans la pièce et il n'en provenait que le bruit de la pluie ainsi que les chocs du bois contre le bois provenant du gibet que l'on était en train de dresser sur la place du village. Il savait maintenant que c'était certainement pour son père qui allait être exécuté. Pour lui, il le savait, la mort tarderait certainement un peu plus à venir. Il sentait aussi l'odeur de la paille qui couvrait le sol. Il avait réussi à discerner des chaînes sur les murs qui ajoutaient leurs senteurs de rouille à l'air déjà agressif.
Il avait froid. Les geôliers ne lui avaient d'ailleurs pas laissé grand-chose pour se couvrir. C'était aussi qu'il sentait la fin venir. Il avait été condamné parce qu'ils condamnaient tous ceux qui osaient se rebeller contre l'autorité du Bailli Gessler. Et, à dix ans, il fallait bien un poteau dressé au milieu d'une place et un chapeau posé dessus pour pêcher par inconscience. Ce moment allait drastiquement raccourcir sa vie. Demain, à l'aurore, il serait lâché dans les bois. Il aurait une heure pour courir le plus loin possible avant que les hommes du Bailli ne lâchent la meute. S'il arrivait à rester en vie jusqu'à midi, l'heure où son père devait être pendu, il serait sauf. Malheureusement, personne, à sa connaissance n'en était jamais sorti vivant.

Il prit simplement ses genoux dans ses bras, tentant de trouver un peu de chaleur alors qu'un courant d'air glacial remplissait la pièce. Bien sûr que personne n'avait jamais gagné, si on les avait tous préparés comme lui. Son oeil gauche était presque fermé. Il n'osait pas le toucher tellement il lui faisait mal, comme presque chaque centimètre de son corps d'ailleurs. Il ne se sentait pas capable de courir. Au début, il avait craché un peu de sang, mais il avait vite compris qu'il n'y avait rien de bien grave, c'était certainement une de ses dents cassées, rien de plus. La douleur aiguë de son bras gauche était certainement bien plus inquiétante, ainsi que la courbure parfaitement incongrue qu'il faisait d'ailleurs. Il n'arrivait pas bien à se souvenir de ce qu'il s'était passé. Il ne le souhaitait pas réellement d'ailleurs.
Il entendit des pas dans le couloir. C'était les pas ajoutés d'un bruit de ferraille d'un garde portant des chausses de métal. Il se recroquevilla dans un coin de la cellule, priant doucement que ce ne soit pas encore une de leurs « préparations ». Il ne pourrait certainement pas supporter un traitement de ce type de plus. Il tremblait mais ce n'était plus vraiment de froid. Lorsque la clef tourna dans la serrure, il voulut mourir, mais il se résigna finalement à souffrir un peu plus encore.

Entra un homme de grande taille, vêtu comme un garde, mais certainement plus gradé. Il posa la lampe-tempête qu'il portait près de la porte. La lumière réchauffa un peu son coeur, mais elle n'y chassa pas la peur.

« Tu t'appelles bien Wilhelm Tell, n'est-ce pas ? Comme ton père ? », demanda l'homme en le regardant dans les yeux.

Il avait déjà vu cet homme avant, il était sur la place où ils avaient été arrêtés, son père, son frère aîné, Thomas et lui. Il faisait partie des gardes du Bailli. Il se souvenait d'ailleurs de son visage colérique lorsque celui-ci avait obligé son père à tirer à l'arbalète sur une pomme placée sur la tête de Thomas. Il se souvenait de son père prenant deux carreaux de son carquois et plaçant l'un d'eux sur l'engin. Prendre un long temps de viser... Il se souvenait de l'expression de terreur de son frère et des protestations de la population de la ville. Il savait depuis longtemps que son père était un tireur émérite, ancien mercenaire dans les guerres locales. Mais, son coeur avait failli s'arrêter quand le bruit de la corde avait résonné trop fort sur la place silencieuse. Il avait fermé les yeux à s'en faire mal, jusqu'à ce qu'il entende les hourras de la foule. Son frère était vivant lorsqu'il avait ouvert les yeux. Ce qui avait suivi touchait au cauchemar. Le Bailli avait demandé à son père la raison du deuxième carreau. Il avait encore les mots de la réponse qui tournaient dans sa tête.

« Si tu m'avais obligé à blesser mon enfant, Bailli, pour le salut que je n'ai pas fait à ton chapeau, j'aurais percé ta gorge de cette flèche pour t'obliger à pénitence. »

Le Bailli était entré dans une rage folle et les avait déclarés rebelles tous les trois, sans autre forme de procès. Cela signifiait la mort. Son père serait pendu, son frère qui avait plus de treize ans, décapité en place publique et lui, il devrait mourir comme un animal.

Wilhelm finit par répondre d'un hochement de tête.

« Écoute-moi bien... J'ai fait parvenir un message aux amis de ton père, la troupe de mercenaires n'est pas loin, j'en ai aussi fait partie. Même si je n'avais de lourdes dettes de coeur et de sang à payer, je ne l'aurais pas laissé dans ce piège. Demain, le Bailli trichera, il lancera les chiens après trente minutes seulement. »

L'homme lui glissa dans la main un petit sac de cuir rempli d'une poudre.

« C'est du poivre. Laisse-en sur tes traces, les chiens en auront pour leur compte un petit moment. Tu devras ensuite courir vers la rivière, à l'endroit où elle fait un coude, près de la grande forêt d'Hindelhelsh, il y a un guet. Remonte la colline jusqu'en haut, tu y trouveras les amis de ton père. Je suis désolé de ne pas pouvoir faire plus pour toi, mais je sauverai ton frère si ce que nous avons prévu se déroule sans problème. »

Wilhelm connaissait un peu la région pour y avoir chevauché sur la selle de son père. L'endroit qu'avait indiqué le garde était assez proche du château, ce qui lui laissait une possibilité de s'en sortir. Quinze minutes tout au plus lui suffiraient pour atteindre le guet, il ne savait pas combien de temps demanderait l'escalade, mais il savait que cette bosse était assez raide. L'homme referma la porte et s'en fut. Wilhelm trouva finalement un sommeil plus doux qu'il ne le pensait, serrant contre lui le petit sachet de salut.

- 2 -

Cette fois, il était fait. Il ne courait pas assez vite. Les chiens étaient trop nombreux pour qu'il les affronte. Wilhelm était sur le flanc de la colline, si près mais pourtant si loin du but. Ses jambes le trahissaient maintenant. Les ronces avaient méchamment mordu ses chairs et la course dans les bois abîmé ses pieds. Le Bailli avait bien triché, mais Wilhelm comprit qu'il savait quelque chose concernant les renforts que lui avait annoncés le garde, le jour d'avant, il n'avait pas eu trente minutes pour sauver sa vie. Il sentait déjà les crocs des molosses effleurer ses mollets. C'était bientôt fini, pourquoi courait-il d'ailleurs, ça ne valait plus la peine. Dans un geste désespéré, les larmes aux yeux, il lançait le petit sac qu'il tenait encore au museau du premier des chiens. Lorsque le sachet s'ouvrit le chien s'arrêta brusquement dans sa course, d'abord étonné par ce qu'il venait de sentir, puis il recula promptement tentant de se défaire de l'odeur agressive. Plusieurs autres furent repoussés pendant quelques minutes.
Wilhelm tentait de prendre un peu d'avance avant qu'inévitablement la chasse ne reprenne, mais ses jambes refusaient maintenant de bouger. Il leur avait demandé beaucoup et il n'avait pas mangé, il se sentait maintenant très mal, engourdi par la peur et près de lâcher prise. Il soupira une fois et un rayon de soleil traversa le couvert des arbres, lui redonnant le coeur à monter les quelques mètres qui lui restaient à parcourir.

Les chiens ne le voyaient pas de cet oeil et, cette fois, les dents entrèrent dans sa chair. Son mollet tiré en arrière dans la pente le fit sombrer le visage dans les ronces devant lui. Les épines formèrent des sillons brûlants dans sa peau, le laissant sonné par la douleur. Le chien l'avait traîné à découvert, il n'entendait plus que le bruit des aboiements et celui des mâchoires qui claquent près de son visage. Il avait dû être mordu à plusieurs endroits tellement la douleur était violente. Son bras le rappelait aussi à son bon souvenir.

« Bailli, je crois que nous avons retrouvé notre proie du jour ! », cria vigoureusement un homme à destination de la berge, « Il n'ira plus bien loin. »

C'était l'hallali, il allait le tuer cette fois, comme un animal. Il vit passer des hommes, plus proches de lui, puis il entendit des chevaux. Le Bailli était là, devant lui à quelques mètres à peine. Il entendait la discussion qu'il avait avec ses gens.

« Qu'on en finisse, ce jeune cerf ne m'a pas amusé le moins du monde. », dit-il négligemment, « N'oubliez pas de m'apporter sa tête que son père la voie avant de mourir. »

Dans la voix du Connétable, une pointe de jubilation et de sadisme détruisit ses derniers espoirs. Wilhelm entendit le cheval volter et les gens partir au galop, parlant d'un « spectacle bien plus amusant » en préparation. Il ne restait là que deux ou trois hommes, les gardes-chasse du Bailli et une partie de la meute. Le premier des gardes, celui qui avait informé le Bailli de sa présence, s'approcha de lui, il tira son couteau de l'étui, le leva, fermement tenu.

« Ne bouge pas, ça ira vite. », dit-il comme sur le ton de l'excuse.

Wilhelm n'aurait de toute façon pas bougé, son corps était trop douloureux, ils étaient tous trop forts, trop nombreux. Et, il s'avoua qu'il préférait mourir le plus vite possible puisque son père et son frère le suivraient très vite.

« A innasaya Arawan, hûgwarath ! », prononça un voix alors que s'élevait au-dessus de sa tête le couteau de chasse. Le garde releva la tête et le visage de Wilhelm fut éclaboussé de sang. Le corps de son bourreau était tombé à près d'un mètre de lui, une flèche empennée de noir traversant son cou. Les chiens gisaient, morts, sur le flanc, comme si une peste soudaine les avait emportés. Les autres gardes avaient été jetés au sol et exécutés par des hommes en arme.

« C'est au Bailli de payer ta torture, jeune Wilhelm. », prononça un homme à la défroque de prêtre, « Et je laisserai à ton père le loisir de lui présenter la note. »

L'homme se pencha sur lui. Il était jeune, à peine la vingtaine. Ses yeux verts semblaient briller dans la lumière de la fin de matinée.

« Trouvez-moi Elanie, il faut des soins urgents à ce jeune homme. », dit-il à la volée.

Il approcha son visage de celui de Wilhelm.

« Ne crains rien, ils seront tous punis pour cela. »

Une femme d'une grande beauté, assez jeune elle aussi s'occupa de ses blessures pendant qu'un chariot rempli d'armes les emmenait vers la ville. Il hurla une seule fois quand un colosse gigantesque au regard doux aida la femme à lui remettre le bras. Quand ils entrèrent dans la ville, ils y trouvèrent une rébellion. Les gardes du Bailli, acculés à la muraille, défendaient chaque mètre alors que leur maître tentait de fuir par l'escalier qui montait au chemin de ronde. Son père avait été libéré, il s'approcha du chariot, le serra dans ses bras, plaça un carreau sur une arbalète. Il visa soigneusement et tira.

La flèche perça la pomme d'Adam du Bailli, qui tomba dans les douves. La vie est un cercle qu'il est bon de fermer.

Nehwon

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