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Nouvelles : Les amants vivent de tragédies

Pour public averti


Mercredi 04 août 1999

La petite fille est recroquevillée sur elle-même, des coulures rouges envahissent le tableau et glissent sur le visage pâle de l'orpheline sans traits, ni visage. Michelle reste attendrie par tant de silence, son fiancé s'est éloigné un peu écoeuré à la recherche d'un cocktail qui le réveillerait. Pourtant, notre Michelle n'oubliera jamais cette voix derrière son oreille, ces cheveux qui ont effleuré ses épaules nues.
« Il vous plaît beaucoup celui-ci. »
Elle s'est tournée vers lui, un type très grand et famélique qui portait des frusques plus énormes que lui, son corps devait surnager à l'intérieur. Ses cheveux étaient très longs, fins, hirsutes, cassés, fatigués, le jeune homme l'était tout aussi bien. Elle ne sait pas ce qui lui plaît chez lui, mais elle a mal au coeur lorsqu'il lui sourit.
Le jeune homme se tient à ses côtés, le nez plongé dans la toile.
« - Le jeune maître de ce bijou est très doué. Je suis...
- Michelle Nanti. Je suis Épiphane Lanbin. »
Ils s'observent longuement pour tout salut, lui la trouve nerveuse, mais ravissante. Celui qui expose dans cette petite galerie s'appelle Anthony Marcel, un ami d'Épiphane. C'était l'occasion rêvée de revenir à Paris pour revoir son père et la fiancée dont il parlait avec tant d'éloges.
« - Il vous parlait de moi, s'étonne Michelle.
- Oui, je comprends mieux à présent. Je vous imaginais vieille et fardée comme un clown, je pensais pouvoir vous regarder dans les yeux. »
Michelle rougit, regarde le tableau à nouveau, à cet instant, quelque part, elle pense être la petite fille...
« - Pourquoi tout ce sang ? demande-t-elle.
- Prémonition. C'est le nom du tableau, la petite soeur d'Anthony est morte lorsqu'il peignait ce portrait, elle n'a jamais fini de poser. »
Michelle se sent misérable, elle ne sait plus quoi dire, Épiphane s'en rend compte.
« C'est très loin tout ça, n'ayez pas l'air trop abattue, Anthony n'aime pas beaucoup ça. »
Malheur ! Quelqu'un l'attrape par l'épaule, elle veut le retenir, mais on l'entraîne déjà très loin dans la galerie. Michelle essaye de se ressaisir, c'était si minable, quelle scène ! Comme ça, d'entrée de jeu. Pourtant, elle le cherche du regard, son fiancé lui sourit, mais elle ne le voit pas, elle maudit le kidnappeur de l'apparition.
« Chéri. »
Son fiancé lui prend la main. Elle sursaute.
« - Qui cherches-tu ?
- J'ai vu ton... Ton fils, répond Michelle en fouillant encore des yeux la foule dans la galerie.
- C'est très bien. Ne le cherche plus, il rentrera seul chez nous. Je me sens fatigué, on va y aller.
- Déjà. » soupire-t-elle.
Michelle étrenne son long manteau noir, d'un coup elle recouvre son corps moulé dans une robe hors de prix rouge pétillante et suit son homme jusqu'à la voiture. Elle aperçoit le visage souriant d'Épiphane à travers la baie vitrée de la galerie lorsque la voiture démarre.
Ce soir-là, elle ne ferme pas les yeux, elle attend le bruit de la porte qui lui confirmerait sa présence, sa seule présence.
« C'est un canular du destin », chuchote-t-elle dans l'obscurité de la chambre pensant qu'il l'écoutait.


Jeudi 05 août 1999

Épiphane n'est pas rentré, Michelle a réfléchi toute la nuit en l'attendant, elle s'inquiétait pour un jeune homme avec qui elle a échangé à peine quelques mots, un jeune homme de surcroît qui ne fait pas attention à lui, qui est maigre comme un clou, une espèce de beatnik qui n'a rien à voir avec elle. Pourtant il l'avait charmée en quelques secondes, elle était prête à le suivre partout, pour son sourire, pour lui... Épiphane, un joli prénom, aussi rare et précieux que celui qui le porte. Thomas, son fiancé n'a l'air de se douter de rien, il se réveille comme tous les matins en lui disant bonjour, l'embrassant sur le front. Ce matin, Michelle ne ressent plus rien, elle descend au salon pour voir si personne n'est là. Thomas la rejoint pour l'inviter à prendre le petit déjeuner.
« - Je pense que mon fils va nous rejoindre, il n'a jamais été un bon dormeur, lui lance-t-il.
- C'est un oiseau de nuit, chuchote Michelle qui se met aussitôt aux fourneaux.
- Tu n'as pas besoin de faire autant de sacrifices, Épiphane est tête en l'air, mais ce n'est pas un méchant garçon, il va t'adorer. », dit Thomas en la voyant cuisiner de si bonne heure, elle qui déteste les matins derrière les fourneaux, c'est vrai, c'est tellement cliché !
Puis, la porte d'entrée s'ouvre, le vent s'immisce dans la cuisine et fait frémir Michelle. Le jeune homme entre alors, tout blanc, hier soir, il n'avait pas l'air aussi pâle, mais c'était tant mieux, Michelle l'aimait beaucoup plus comme ça. Cette blancheur faisait ressortir ses lèvres roses et ses longs cheveux noirs qui lui dévoraient pratiquement le visage.
« Bonjour ! »
Thomas serre la main de son fils très heureux de revoir ce dernier. Et Michelle s'élance vers lui, oubliant les bonnes manières, elle pose ses lèvres sur sa joue froide avant de reculer pour se ressaisir. Épiphane remarque alors les cernes sous ses yeux qu'elle n'avait pas hier soir. Il sourit parce qu'il devine qu'elle l'a attendu toute la nuit.
« Je vais me laver. », annonce Michelle avant de le fuir très vite.

Thomas était sorti lorsqu'elle prenait sa douche. Michelle, après s'être habillée, s'en allait tout aussi rapidement. Dans l'allée, elle s'arrête pourtant, puis se retourne vers la maison. Épiphane, du haut de son balcon l'observait, une cigarette à la bouche.
« - Vous... Tu ne sors pas ? lui demande t-elle.
- Non, et toi ? »
Michelle se sent pousser des ailes, se surprend à sourire bêtement, l'insouciance peut être un grand soulagement se dit-elle. Elle revient vers lui... Euh ! Vers la maison.
Épiphane l'invite dans sa chambre et ils discutent toute la journée, ils se racontent, elle lui avoue la perte d'un enfant avec Thomas, elle n'avait pas pleuré parce qu'elle n'en avait pas voulu.
Michelle se laisse aller, fume une cigarette qui n'en est pas une, elle se sent utile et vivante de nouveau.
« Tu es un magicien. », lui dit-elle.
Épiphane sourit, rougit assez vite, ce qui impressionne Michelle.
« - Pourras-tu un jour me regarder dans les yeux ? lui demande t-elle.
- Lorsque j'aurai cessé d'être impressionné, quand j'aurai mal à l'intérieur. Je te retourne la même question. »
Michelle n'entend pas, l'ivresse de la drogue l'envahit, elle s'approche de lui et susurre à son oreille :
« Ne me quitte plus. »
Michelle s'endort.


Vendredi 06 août 1999

Michelle rattrape sa journée de travail perdue, elle s'était réveillée ce matin dans son lit, Thomas la croyait malade, c'est un mensonge d'Epiphane, elle ne dément rien. Sans elle, ses employés se sentaient déboussolés, il faut qu'elle prévienne la prochaine fois.
A 16 heures pile, Thomas l'appelle pour la mettre au courant, car ce soir on donne une petite soirée pour le retour d'Épiphane. Michelle panique, raccroche, se concentre et appelle un grand magasin, elle veut une robe de soirée noire, moulante, une coiffure de reine, un maquillage naturel, puis elle se calme, annule tout. Est-ce qu'Épiphane allait apprécier ce lot de superficialité ?

A la fête, elle ne portait rien de splendide, elle avait lâché ses cheveux roux, ses longs cheveux étouffés chaque jour par un chignon. Sans maquillage, elle s'étonnait de ressembler à une jeune fille. Thomas, lui, s'indigne, l'aurait préférée dans une robe de soirée pour pouvoir se vanter à travers elle. Michelle est à peine écoeurée lorsqu'il lui tient la main et la traîne d'invités en invités.
Épiphane les observe, il n'apprécie pas qu'elle ait sa main dans celle de son père, mais il sait qu'elle le cherche, qu'elle est enfin elle-même pour lui. Il donne un coup de coude à son ami et tous deux s'avancent vers le couple. Michelle le regarde enfin, il est déterminé, il a changé, il n'est plus aussi jovial.
« Anthony ! », lance Thomas en serrant l'autre dans ses bras. Il lâche enfin la main de Michelle, la reprend aussitôt, le visage d'Épiphane s'assombrit, il se cache derrière ses cheveux, s'éloigne suivi d'Anthony. La musique des Pixies monte des enceintes, enchante les amis des Lanbins. Il y avait parmi eux un faux jeton, le « meilleur ami » de Thomas que Michelle n'apprécie pas du doute, qui s'accroche au couple depuis le début de la soirée.
« Je vais prendre un verre. », s'excuse-t-elle avant de prendre la tangente.
Jonas en profite, parle avec « franchise » à son « ami ».
« - Michelle est très belle ce soir, mais je la sens tendue, commence-t-il.
- Hier, elle était malade. »
Jonas prend un air désolé.
« - Je ne vais pas prendre de gants, mais je crois que tu as les yeux fermés.
- De quoi parles-tu ?
- Depuis le vernissage, depuis avant-hier, ton fils et Michelle... Quelque chose se passe entre eux.
- Qu'est-ce que tu vas chercher !
- Mais regarde-les ! Tu es le seul à ne rien voir, tu ne veux rien voir. Ils se dévorent des yeux, regarde-les ! »
Et Thomas regarde, Thomas voit Michelle au bar, qui fixe Épiphane des yeux, Épiphane fait de même à l'autre bout de la pièce. S'il n'y avait eu personne autour d'eux, ils seraient sur le point de se dévorer l'un et l'autre.
« Enfin, je les comprends un peu, Michelle n'est pas vieille, elle n'a que 27 ans et ton fils, euh ! 21 ans. Michelle a peut-être décidé que tu étais trop vieux et puis depuis... Depuis sa fausse couche... »
Thomas n'entend plus, il regarde, il haït, il suffoque presque.
« - Je me sens épuisé, dit-il à Jonas, je vais me coucher, tu m'excuseras auprès des autres invités.
- Tu es sûr ? », fait l'autre faussement.
Thomas monte déjà.
La voix de Francis Black fait frémir la maison, la musique des Pixies s'achève alors et Michelle défie encore Épiphane.

Ce soir-là, elle refuse l'amour que Thomas cherche au sein du lit. Michelle s'endort en croyant entendre un étage plus bas, battre le coeur de son Épiphane.


Samedi 07 août 1999

Thomas est indifférent ce matin, il se lève très mélancolique, Michelle n'a pas le droit à son baiser matinal, elle semble l'avoir remarqué mais ne pense qu'à revoir Épiphane, alors elle ne fait pas trop attention.
Elle est à la cuisine, ce qui rend Thomas encore plus triste. Épiphane les rejoint, il a l'air d'être en forme, et... Et il a faim ! Thomas se sent exclu entre les deux, ils ont changé.
Lorsque Michelle s'assoit à table pour manger, elle se met entre les deux hommes, mais plus près d'Épiphane, elle fait un peu pitié à Thomas, parce que c'est elle qui va vers son fils, parce qu'elle n'a plus l'âge d'agir comme ça, parce qu'elle l'oublie tout simplement.
« Je suis très déçu. », dit-il enfin.
Épiphane et Michelle le regarde. Son fils est inquiet.
« - Qu'est-ce qui ne va pas, tu étais fatigué hier soir...
- Tu l'as remarqué, coupe Thomas, mais Michelle ? »
Michelle ne comprend pas, elle prête l'oreille comme un coupable qui se sait désigner.
« Je sais que je suis vieux, mais tu ne pouvais pas aimer quelqu'un d'autre ? »
Michelle baisse les yeux, elle se sent mal à l'aise, elle savait qu'un jour ou l'autre il l'aurait su, mais elle ne pensait pas assister à la scène.
Épiphane recrache son morceau de croissant, il est encore plus blanc que d'habitude, il est prêt à mourir. Michelle veut secrètement qu'il tienne tête à son père et qu'il l'enlève pour l'emmener loin, comme un bon chevalier, mais ce n'est pas un chevalier, c'est un fils qui aime beaucoup trop son père.
« Je n'arrive même pas à m'énerver. », souffle Thomas.
Épiphane pleure tout d'un coup, à défaut de ne pas trouver ses mots. Michelle le suit, attendrie, agacée de ne pas pouvoir le consoler.
« Je vous en supplie, incise timidement Thomas, jamais de sexe, pas de baiser, j'aime Michelle, je t'aime Épiphane, mais rien qu'à l'idée de vous imaginer, je... Je pense que ça, je ne pourrais jamais le pardonner. »
Épiphane se lève, cherche à aller dans les bras de son père, recule et se précipite dans les escaliers pour se réfugier dans sa chambre.
Michelle continue de se lamenter.
« - Je suis navrée Thomas.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai cessé de te regarder ? Tu ne m'aimes plus ?
- Non !
- Pourquoi mon fils ? hurle-t-il.
- Je n'en sais rien.
- La perte d'un enfant, Michelle, j'ai déjà vécu ça, je t'en prie, pas une deuxième fois. »
Michelle tombe de sa chaise, elle se mord le poing, veut se blesser.
« - Je t'aime Michelle, c'est pour ça que je ne m'énerve pas. Je t'aime, et j'aime mon fils, c'est pour ça que je ne vous punis pas.
- Tu l'as fait, tu l'as fait. »
Thomas la prend dans ses bras et essaye de la consoler. Pauvre Michelle qui rêvait d'étreindre son Egon Schiele adoré, elle voudrait mordre Thomas jusqu'au sang pour qu'il sache la douleur qui la ronge en ce moment. En ce moment, elle voudrait être les larmes d'Épiphane.


Dimanche 08 août 1999

Jonas est là, dans le salon, tout le monde dans la maison épie, personne n'a fermé l'oeil de la nuit, Michelle entendait Épiphane pleurer et cogner les murs de sa chambre et elle pleurait aussi.
Thomas part avec Jonas qui lui a conseillé de laisser les deux traîtres seuls dans la maison pour voir s'ils allaient le trahir de nouveau. Thomas à contrecoeur l'a suivi, ils allaient sûrement s'éclater dans un bar quelconque pourvu qu'il échappe à la tristesse de la maison.
Michelle s'accroche à la porte d'Épiphane, elle lui parle doucement à travers le bois, des mots qu'elle n'a jamais dits à personne.
Épiphane finit par ouvrir, alors elle se jette sur lui, cherche ses lèvres, caresse ses cheveux. Il la repousse gentiment, sort de sa chambre pour respirer. Michelle le suit, elle le colle. Il veut la prendre dans ses bras, il veut la toucher, mais il se refuse, il la fuit. Ils jouent à cache-cache une bonne partie de la journée, ce qui est très fatiguant.
Lorsqu'elle découvre Épiphane, il se laisse aller dans ses bras, elle le respire, il la sent, plonge son nez dans ses cheveux, au creux de son cou, ils sont maladroits, ils sont épuisés. Puis Épiphane s'enfuit de nouveau.

A la fin de la journée Michelle s'effrite, elle hurle dans toute la maison, s'accroupit dans un coin de sa chambre pour pleurer.
Lorsque Thomas rentre, la maison est calme et Michelle dort à terre dans son coin. Il la soulève et la porte dans le lit, il la recouvre et l'embrasse sur le front, malheureusement, elle chuchote l'hérésie et Thomas est encore plus malheureux.


Lundi 09 août 1999

Michelle sort de la maison, elle est éreintée, mais va travailler quand même, Thomas est en congé et elle ne tient pas à être seule avec les deux hommes. Dans l'allée, elle ne se retourne même pas pour voir Épiphane au balcon. Lui, est triste, il a l'habitude des nuits sans sommeil, mais c'est autre chose qui le pèse, en voyant Michelle déambuler dans l'allée, il se dit qu'il ne peut pas rester ici. Alors Épiphane s'en va après avoir discuté avec son père...
Anthony l'accueille chez lui, l'aide pour son retour à Orléans.
Michelle rentre plus tôt, elle était trop faible pour travailler convenablement, c'est sa secrétaire qui l'a renvoyée chez elle.
Michelle a donc les bras chargés de dossiers qu'elle doit étudier à la maison.
Thomas est là, lui sourit, elle se force à lui répondre, dépose les dossiers sur la table du salon, s'apprête déjà à monter les escaliers pour écouter à la porte d'Épiphane, lorsqu'il écoute sa musique, lorsqu'il téléphone à Anthony, uniquement savoir, s'il est là.
Thomas l'arrête tout de suite.
« J'ai bien le droit d'écouter, je ne le toucherai pas Thomas, je t'en supplie. »
Thomas est foudroyé, sa Michelle ne l'aime vraiment plus, prisonnière dans ses bras, elle n'entend qu'Épiphane en haut de l'escalier, mais il n'est plus là Michelle.
« - Où ? hurle-t-elle en le repoussant violemment, où l'as-tu envoyé ?
- Il a décidé seul ce matin, il retourne à Orléans. »
Michelle suffoque, hésite entre crier ou pleurer, elle hurle de tout son coeur et se jette dans l'allée vers sa voiture en direction de la Gare d'Austerlitz. Thomas ne fait rien, il subit, l'amour n'a aucun sens lorsque l'on intervient et Thomas a très mal. Tout ceci paraît niais, mais que voulez-vous, Michelle a trouvé son Hamlet et sur le quai de la gare, le train pour Orléans est déjà parti depuis longtemps. Mais la pauvre reste, elle pense un moment prendre un billet pour le rejoindre, malheureusement elle ne sait rien, elle ne saurait pas où se rendre pour le trouver.
Michelle s'assoit sur un banc et attend de se calmer, elle ne se trouvait même pas ridicule, elle n'écoutait plus la raison, elle s'en fichait, Épiphane avait détruit le mur, pourtant solide, de sa force intérieure, lorsqu'il est tombé, Michelle est tombée amoureuse et elle en souffre et ils souffrent... Elle pense que le destin est une immense arnaque.


Jeudi 12 août 1999

A Orléans, Épiphane se sent mieux de nouveau, il respire loin de Michelle, mais n'arrive pas à l'oublier, ses amis l'emmènent tous les soirs s'amuser dans un bar privé, où il écoute la musique qu'il aime, des chants celtiques au métal symphonique, il ne supportait pas le grind et dès qu'il entendait le début de ces mélodies lourdes et inaudibles, il sortait du bar pour fumer seul.
Ce soir, il croit la voir au loin, une ombre s'approche, il pense qu'elle l'a suivi, il est heureux tout d'un coup, jette son mégot, pour être déçu, parce que ce n'est pas Michelle, il s'agit seulement de son ex (pas commode). Nadège se tient devant lui, il remarque alors une chose importante, pour lui.
« Tu es rousse ! »
Elle rit.
« Je l'ai toujours été, ne me dis pas que tu ne faisais même pas attention à ce détail. »
Il ne l'avait jamais vraiment regardée, il se trouve stupide, et de plus, il vient de gâcher sa dernière cigarette qui se consume lamentablement sur le bois de l'escalier.
« - Tu viens chez moi ce soir, lui demande-t-elle.
- Je n'ai jamais été très bavard...
- Non ! Tu sais bien pourquoi. », insiste-t-elle.
Nadège a toujours été pathétique, elle était désespérée par moment, Épiphane l'avait quittée avant de devenir fou, elle s'était alors proposée comme candidate au suicide pour le faire revenir, mais Nadège n'a pas été courageuse.
Il la suit pourtant, jusqu'à chez elle, jusque dans sa chambre, dans son lit pour trouver Michelle, mourir dans ses bras, Épiphane qui pleure alors que Nadège s'inquiète.
« C'était magnifique, tu n'as aucune raison de pleurer, c'était magnifique. »
Épiphane entend la voix de la profane, il la voit, Michelle n'est plus là, alors il se ressaisit et laisse Nadège seule. Celle-ci n'a aucun doute. Mais petite sotte! Ce n'est pas avec toi qu'il faisait l'amour.


Mardi 24 août 1999

Épiphane remonte à Paris avec Nadège pour l'anniversaire d'Anthony, ce dernier a loué une boîte qui appartient à une connaissance pour cette occasion.
Pendant la soirée, Épiphane s'éloigne de ses amis, s'éloigne de Nadège qui l'emmerde (excusez-moi, mais il faut dire ce qui est). Comme toujours, il cherche sa dulcinée des yeux, voit un mirage comme d'habitude, des cheveux roux, très longs qui s'agitent sur la musique langoureuse de « On a beau interpréter » par Richard Ashcroft, le mirage s'approche de lui, lui prend la main et l'entraîne un peu plus loin. Nadège voit le manège, fonce les sourcils.
« - Qui est-ce ? demande t-elle à Anthony.
- Je ne sais pas. », ment l'autre.
Nadège observe, elle plisse ses yeux de fouine pour épier les moindres gestes déplacés.
Michelle plonge sa main dans les cheveux d'Épiphane, ils se respirent et se reconnaissent comme des animaux, ils s'étreignent férocement, mais ne s'embrassent pas.
« Tu m'as quittée. », chuchote Michelle.
Épiphane n'entend pas mais comprend le reproche. Ils dansent, c'est le plus beau couple de la soirée, on les voit se faire du mal, vous n'avez pas le droit de vous revoir !
Michelle voit que l'on s'approche d'eux, elle se sépare d'Épiphane qui ne voulait pas la lâcher, elle se débat et s'esquive.
Épiphane se tourne alors vers Nadège, vilaine bestiole qui fait fuir Michelle.
« C'était qui cette salope ? »
Épiphane ne se retient plus, l'attrape par la gorge et lui supplie de se taire.

Mais ce soir, c'est elle qu'il va trouver pour sentir les cheveux de Michelle, pour pénétrer Michelle. Ce soir là, Nadège a enfin ses premiers soupçons.


Mercredi 25 août 1999

Michelle monte les escaliers un par un, elle est éperdue, folle, elle ne fait même plus attention à elle, elle ressemble à un épouvantail, elle ressemble à Épiphane. Elle frappe à la porte, il la voit à travers le judas.
« Va-t-en Michelle ! »
Elle s'accroche à la porte en larmes, elle ne veut pas partir, elle frappe encore.
« - Va-t-en !, répète Epiphane.
- Que je m'en aille ! Va te faire voir ! Tu m'as tuée ÉPIPHANE ! »
Anthony intervient, il essaye de dégager Épiphane qui bloque l'entrée.
« Si ça continue, elle va alerter le voisinage. », argumente-t-il.
Nadège observe, elle est sur les nerfs, à l'affût.
« - Qui est-ce ? demande t-elle.
- C'est Michelle. », répond Épiphane sans se retourner.
Nadège se précipite, très énervée, sur la porte, elle pousse Anthony et ouvre à sa place. Michelle se jette au cou d'Épiphane sans lui prêter attention.
« Mais elle est folle ! s'écrie Nadège en la séparant d'Épiphane, lâche-le c'est mon mec ! »
Michelle la regarde, elles s'observent, se jugent. Michelle sèche ses larmes pour l'affronter.
« - Tu es son ex ? demande sèchement Nadège.
- Je suis sa Michelle, répond la belle avant de rire aux éclats et de pleurer à nouveau.
- C'est mon mec, barre-toi ! », hurle Nadège en poussant Michelle vers la sortie.
Celle-ci résiste. Épiphane s'engouffre dans l'appartement, alors qu'Anthony sépare les deux furies.
« Dégage ! » hurle encore Nadège à l'encontre de Michelle.
Épiphane s'est habillé, il sort en flèche sans faire attention au spectacle qu'on lui offre.
« Regardez ça ! Le vainqueur s'en va. », dit Anthony pour calmer les bagarreuses.
Nadège s'arrête, craque, se cache de Michelle.
« C'est avec toi qu'il faisait l'amour, moi je n'étais qu'une intermédiaire, c'est à toi qu'il pense, c'est toi qu'il peint, c'est toi, c'est toi, Michelle la rousse, Nadège la rousse. C'est... Il n'a jamais su que j'étais rousse avant... JAMAIS ! »
Michelle se retourne, heurte la porte. Elle s'en va.

Épiphane rentre tard. Dans la chambre, Nadège l'attend, elle tient ses croquis à la main, des ébauches de nu sans visage.
« Je ne suis pas Michelle. »
Épiphane reprend ses dessins et les range.
« Je devrais être partie, mais je préfère me laisser une autre chance de te conquérir. », continue l'insolente.
Épiphane enlève ses frusques, et va s'étendre sur le lit. Nadège le rejoint.
« Tu peux faire l'amour avec Nadège ? »
Épiphane ne répond pas. Elle se serre alors contre lui, mais Michelle n'est plus là, il ne la voit plus. Nadège l'inonde d'insultes avant de s'endormir collé contre son dos.
Pauvre Épiphane, Paris l'étouffe, son amour l'étouffe.


Jeudi 26 août 1999

Très tôt le matin, Anthony laisse entrer Michelle, de peur d'un nouveau scandale. Elle va de suite vers la chambre de son adoré, mais ne trouve que Nadège encore endormie. Alors elle se rend dans la salle de bain, là où il y a du bruit.
La porte est ouverte bien évidemment, alors Michelle entre, elle voit le corps trouble de son adonis à travers la vitre de douche. Michelle ne se contrôle plus, elle se colle à la vitre, elle soupire. Épiphane sursaute, l'aperçoit à travers le mur transparent, pense tout d'abord à cacher ses parties, mais renonce, il veut qu'elle le voit.
Épiphane est attiré lui aussi, colle son corps contre elle. Michelle le caresse, elle jubile. Il pose ses lèvres contre les siennes, cogne la vitre, agacé de ne pas pouvoir l'embrasser vraiment. Michelle imagine, elle imagine sa peau, la chaleur. Mais tout s'arrête, l'autre malade entre, hystérique, elle attrape Michelle pour la faire sortir de là.
« Lâche-moi ! » ordonne-t-elle.
Nadège s'exécute, puis rentre dans la salle de bain en regardant Michelle avec méfiance, elle ferme à clé derrière elle.
Michelle va alors dans la chambre d'Épiphane, elle entend Nadège qui s'époumone contre lui.
La belle se couche sur le lit, là où elle trouve son odeur.

Épiphane entre dans sa chambre, ferme la porte pour ne plus voir Nadège qui est partie se plaindre de lui à Anthony.
Il s'assoit sur le lit près de Michelle qui dort depuis bien longtemps. Épiphane hésite puis glisse sa main sous son cardigan, il sent la peau de la belle, sa chaleur le ranime. Michelle se réveille mais referme de suite les yeux. Épiphane déboutonne son haut, elle se redresse pour l'aider, et enlever son soutien-gorge. Ils se regardent mutuellement, s'admirent pour la première fois.
« Touche-moi. », demande Épiphane.
Michelle caresse le corps imberbe, s'agrippe à lui, caresse ses cheveux mouillés, leurs peaux se rencontrent enfin, ils s'étreignent sauvagement.
« Je vais devoir m'en aller à nouveau. », annonce-t-il tout d'un coup.
Michelle le serre plus fort contre elle.
« Ce n'est pas vivable, on va finir par se détruire, c'est une fin pour les gens comme nous et j'ai peur. »
Michelle n'entend plus, elle ne veut plus rien entendre mise à part l'amour qui cogne dans sa poitrine.


Vendredi 04 août 2000

Épiphane revient à Paris, il visite les galeries d'arts, replonge dans l'atmosphère unique du Centre Pompidou. Michelle est en bas, elle se promène à Châtelet, elle vient voir les spectacles de rues et ceux qui se présentent sur la place où trône le Centre National d'Art Moderne.
Épiphane va rendre visite à un ami qui travaille dans un des nombreux petits bars du Marais. Michelle va acheter des bibelots dans un grand magasin du Marais.
Épiphane va à Tonkam, un magasin spécialisé dans les manga, Michelle va se détendre au Piano Vache. Épiphane passe devant, trouve amusant le décor "tâche de vache", il entre. Enfin ! Il aperçoit Michelle à une table, la Michelle d'avant, avec son chignon sur la tête et ses habits de patronne. Elle le remarque, reste bouche bée lorsqu'il s'assoit face à elle.
« - Comment vas-tu ? lui demande-t-il.
- Bien... Bien. »
Un peu gênée au départ, Michelle se laisse aller, elle lui parle comme avant. Elle a un contrat avec des gens riches, très importants. Thomas ? Elle ne peut pas en parler, mais ce n'est plus comme avant.
« Je dors, mais c'est toi qui me hantes. », lui avoue-t-elle une fois pour toute.
Épiphane commande un café, vraiment, il est très heureux de la revoir. Pendant qu'il boit le liquide chaud, Michelle ose, elle glisse son pied, libéré de sa chaussure, entre les cuisses du jeune homme, il manque s'étouffer, tousse tout au plus. Épiphane lève les yeux sur Michelle, elle est désespérée, elle est nerveuse, mais ravissante. Il essuie son menton et lui adresse un beau sourire. Michelle se sent stupide, il ne faut pas...

Michelle est toute nue, elle se serre contre Épiphane, c'est la première fois qu'ils ont leur intimité, c'est un jeu dangereux, mais il ne veut pas aller en elle à cause de son père.
Lorsqu'il parle, Michelle aspire son souffle et quand elle soupire, il inspire. Michelle se frotte à lui, elle désire, mais il la calme, l'embrasse dans le cou, lui raconte des blagues, la serre plus fort. Ils luttent toute la nuit, l'un contre l'autre, contre le désir.
Ton coeur va exploser Michelle s'il continue à battre aussi vite et aussi fort.


Samedi 05 août 2000

Michelle a passé une nuit blanche, elle a passé une nuit magique, elle est morte de fatigue, morte d'amour. En sortant de la chambre d'Épiphane ce matin, Anthony l'avait regardée avec de gros yeux avant de prédire un gros orage.
Elle rentre chez elle, cherche une excuse valable pour Thomas, mais il n'est pas dupe, il sait que son fils est à Paris, alors Michelle implose, lui crache tout au visage.
« Je n'en peux plus ! Je ne sais pas pourquoi tu me gardes ici avec toi, ça fait bien longtemps que je ne t'aime plus, bien avant de rencontrer Épiphane. »
Thomas hausse aussi le ton, Michelle le provoque, il essaye de la cogner, se reprend, s'excuse, puis crie de nouveau devant l'échec. Michelle se tait, pressent le drame, il devient rouge, il s'étouffe, la crise arrive, Thomas tombe à la renverse. Elle le déboutonne dans l'urgence, ponctionne, appelle une ambulance. Elle ne pleure même pas.

Les deux amants sont assis, il est très inquiet. Ils attendent que le médecin des urgences leur annonce une bonne nouvelle, mais secrètement, un court instant, les deux bougres espèrent sa mort. Ce soir-là, personne n'ose se regarder de peur de découvrir l'affreuse vérité.


Dimanche 06 août 2000

Le médecin leur annonce le rétablissement de Thomas très tôt ce matin, ils avaient veillé toute la nuit, la culpabilité comme épée de Damoclès, ils n'avaient pas fermé l'oeil de la nuit. Assis sur un banc, ils s'étaient tenus éloignés l'un de l'autre, une force invisible les séparait, sans doute l'état de Thomas.
Non, ce dernier ne veut voir aucun des deux.
Épiphane raccompagne Michelle chez elle, elle l'invite à prendre un café, il accepte sans sourciller. Mais c'est un piège, dans la cuisine, elle lui saute dessus, essaye de le déshabiller, il la repousse.
« J'en peux plus, j'en peux plus, je n'ai souscrit aucun accord avec Thomas, je ne lui dois rien, RIEN ! »
Elle essaye une nouvelle fois de le toucher, il dit non, alors Michelle s'emporte, elle fonce sur lui les poings devant, elle le cogne, le frappe, elle enrage et inévitablement, il la frappe, l'atteint au visage. Ses lèvres se fendent, elle saigne.
Michelle va s'asseoir comme un automate, à la table de la cuisine, elle ne pleure pas.
« Le destin est une garce, dit-elle à mi-voix, pourquoi s'aimer si tout nous sépare ? »
Épiphane s'excuse, il s'approche d'elle, lui redresse le visage pour voir ce qu'il lui a fait.
« Tu es une si belle souffrance... »
Il aspire ses mots, puis lèche la plaie du bout de sa langue. Sur son lit d'hôpital, à ce moment, Thomas rend l'âme, tandis que Michelle embrasse son Épiphane.

Ce soir, Jonas annonce la nouvelle à Michelle, il a déjà prévenu Épiphane (bien entendu) Michelle lâche le combiné pour s'étouffer avec ses larmes, parce qu'elle sait qu'elle ne reverra plus son Épiphane.


Mercredi 09 août 2000

Très tôt ce matin, Anthony appelle Michelle pour lui annoncer qu'Épiphane part ce matin rejoindre Nadège à Grasse.
Michelle se lève défoncée (c'est le terme après deux bouteilles de vodka consommées avec acharnement). Elle se dit qu'elle doit l'engueuler une bonne fois, qu'elle doit le retenir près d'elle, ce jeu avait assez duré, des grands gestes de sa part accompagnent ses résolutions. Elle s'habille et sort. Michelle ne prend pas la voiture, elle craint l'accident, ce serait trop stupide, alors elle court, prend le train, essaye de se réveiller.
Bientôt Michelle s'aperçoit qu'elle s'est trompée de ligne, elle sort du métro et décide de courir pour y aller et se donner un peu de tonus, elle traverse la rue comme une folle. C'est pas vrai ! Michelle se fait percuter par une voiture, on s'amasse autour d'elle, mais elle se relève, la tempe maculée de sang, elle chancelle et recommence sa course. Elle arrive enfin à la gare, les gens qui la rencontrent s'écartent, on appelle une ambulance pour signaler une femme blessée et démente. Pauvre petite merveille qui a ses beaux cheveux roux tout poisseux de sang.
Michelle sourit victorieuse, elle est sur le quai, elle hurle le nom d'Épiphane. L'autre au bout du quai l'entend, il se précipite. Michelle hurle une dernière fois, avant de voir le dôme de la gare se figer.
Oh ! Attendez, Épiphane est là, il la prend dans ses bras.
« Je dois t'empêcher de partir. », lui dit-elle.
Épiphane a l'air grave.
« - Je suis si mal fagotée aujourd'hui ?
- Non, chuchote-t-il avant de voir tout le sang qui s'écoule de sa tempe, parle-moi !
- D'amour ? »
Quelqu'un se propose d'aller chercher une ambulance.
« - Qu'est-ce que j'ai ? Pourquoi une ambulance ?
- Rien, tu as une petite plaie sur le front. Parle-moi d'amour ! » dit Épiphane en essayant de ne pas pleurer.
Michelle sourit jusqu'aux oreilles.
« Oh ! C'est toi l'amour, c'est toi, je n'ai jamais ressenti ça, j'ai mal, mais c'est ce qui fait que je suis si vivante, c'est ça qui me rend si amoureuse. »
Michelle s'essouffle, ferme les yeux, Épiphane la secoue.
« - Non ! Michelle, je te promets des nuits d'amour si tu ne fermes pas les yeux.
- Des baisers mortels...
- Des baisers sucrés ma Michelle ! Ne me quitte plus ! »
Épiphane la cajole, lui caresse les cheveux, l'embrasse, rien à faire, il aspire son dernier souffle et pleure collé à ses lèvres. L'ambulance n'arrivera plus, le temps est une vilaine locomotive et le destin se joue bien de ses enfants.
Épiphane ne pleure plus ta Michelle, son coeur ne bat plus, ce n'est plus qu'une douce symphonie amère...

Fin

Kei

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