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Divine Opportunité : Session Prime : Partie 4 - Another day in paradise

Jophen guida leurs pas vers un affleurement si brutal qu'il était invisible depuis le haut de la falaise. Y descendait, en de courts et sinueux lacets étroits, un chemin improbable et certainement mortel. Les yeux de Yorik firent comprendre au mercenaire qu'il avait le vertige et que le chemin ne lui paraissait rien de moins que le pire obstacle qu'il restait à franchir.

« Reste appuyé contre la falaise, et surtout ne regarde pas en bas. », hésita Jophen, assez peu coutumier de devoir encourager quelqu'un d'autre que lui-même.

« Facile à dire », bredouilla Yorik.

Le premier pas fut le plus difficile. La pente était trompeuse et, bien qu'abrupte, elle restait facilement praticable, si bien que Yorik se permit d'admirer le paysage qui s'étendait sous ses pas.

C'était une forêt luxuriante, d'un vert émeraude, qui semblait briller sous la lueur d'un soleil de plomb, d'une lueur si peu naturelle qu'elle paraissait comme un décor de théâtre. Les arbres gigantesques et torturés s'emmêlaient les uns dans les autres comme dans une danse figée. Ils enchâssaient, dans leurs branches titanesques, des maisons aussi étranges qu'elles paraissaient faites de nuages. Yorik comprit que cet endroit avait été créé avant la destruction du monde. Ce qu'il voyait devant lui était une forme de legs des Anciens, laissé là comme une mémoire de leur splendeur et pouvoir passés. Après quelques minutes de descente, il commença à voir de petits points noirs bouger dans la mer de verdure.
Il y eut une pointe de peur dans son esprit. Il se demanda finalement si les gens étaient aussi différents de ceux qui ne connaissaient que leurs habitations. Jophen semblait presser encore le pas comme si sa vie en dépendait. Peut-être n'était-ce pas totalement faux.

« Tu vas voir, dit-il, les gens d'ici sont très accueillants. »

Il en profita pour jeter un coup d'oeil vers le centre du canyon comme s'il lui était possible d'y apercevoir quelque chose. Yorik comprit qu'ils n'étaient pas venus faire du tourisme, et que Jophen ne cherchait pas uniquement la sécurité de ce refuge extraordinaire.
Il leur fallut deux bonnes heures pour descendre en toute sécurité vers la vallée. Le paysage se transformait au fur et à mesure de leur descente pour devenir un palais végétal palpitant sous le vent chaud d'un été si étrange aux yeux de Yorik qu'il se demanda s'il allait y survivre. Il comprit aussi instantanément d'où venait la couleur brune de la peau de Jophen. Lorsqu'il arriva en bas, le vent le frappa en plein visage, accompagné de douces senteurs de plantes inconnues.
Il se dit qu'il ferait certainement bon vivre ici.

Un frisson parcourut son échine, l'obligeant à faire volte-face. Il se sentit en danger. Son regard rencontra celui de Jophen qui avait visiblement perçu la potentielle agression, mais avait fait très attention à ne pas le montrer. Sans plus se cacher, un homme sortit des buissons sur leur gauche. Il était grand, dépassant largement le mètre quatre-vingt dix. Il était vêtu d'un costume militaire bleu très strict et visiblement défraîchi. Son allure était elle aussi militaire, traduisant une très grande force de caractère. Il portait à la main une sorte d'épée, ciselée et dentelée. Il regarda Jophen et Yorik avec un regard soupçonneux qui lui fit prendre une apparence de bouldogue.

« Que viens-tu faire ici à nouveau, Jophen, je croyais t'avoir déjà dit que tu n'étais plus bienvenu parmi nous. »

Il regarda d'un regard mauvais Yorik et ajouta :

« Quel chien galeux nous ramènes-tu encore ? »

Yorik se retourna vers Jophen se demandant s'il devait se préparer au combat. Jophen tendit la main en signe de calme. Il restait toutefois sur ses gardes. La situation paraissait périlleuse, mais Jophen paraissait sûr de lui.

« Yorik, je te présente Kinan. Il est le protecteur de Frontière. Et il est nettement plus respectable qu'il n'y paraît ! »

Yorik se demanda si Jophen n'avait perdu l'esprit. Présenter quelqu'un sarcastiquement n'était pas du meilleur goût dans la situation actuelle. Yorik se campa sur le sol en prévision d'une future agression. Il fut surpris de voir l'homme dénommé Kinan se redresser et partir d'un grand rire très peu naturel.

« Je savais bien que tu reviendrais payer tes dettes Jophen. »

« N'y compte pas trop, Kinan, je n'ai plus un sou vaillant. »

Le sourire de Kinan s'effaça, comme si ce que venait de dire Jophen était un outrage. Il regarda Yorik et le toisa de haut en bas.

« Tu as vraiment de très mauvaises fréquentations, jeune homme. Cette personne me doit presque deux fois ton poids en or. »

Yorik regarda Jophen avec de grands yeux.

« Eh bien oui, quoi ? Il faut bien s'amuser parfois ! Il est possible que j'aie perdu deux trois sous en jouant aux cartes contre lui mais ce n'est pas la mer à boire. »

Yorik ne se demanda même pas lequel des deux avait raison. La réaction de Jophen en disait suffisamment sur sa culpabilité.

« Je voulais vraiment que tu vois Frontière, c'est certainement le seul moyen de comprendre qu'il y a autre chose que les circulaires. Je vais maintenant pouvoir te parler de la vérité sur ce que la grande race dit être des zones polluées. »

Kinan regarda Yorik de plus près, cherchant visiblement une marque comme une indication plus précise, comme s'il cherchait à l'identifier sans l'avoir jamais vu.

« Il est comme toi ? », demanda Kinan en regardant Jophen.

« Il est bien plus puissant que moi et surtout ils ne savent pas qu'il est ici. », rétorqua Jophen.

Yorik se demandait encore s'il pouvait faire confiance à Kinan. La réaction de Jophen ne laissait aucun doute. Visiblement, Frontière connaissait l'existence des divins, il en savait peut-être plus sur Yorik que lui-même.
Kinan leur tourna le dos et se dirigea vers un petit chemin qui mène vers un village. Il entrait sous les frondaisons, ne permettant de voir la destination finale. Jophen lui emboîta le pas sans plus de cérémonie.

« Vous resterez bien quelques jours parmi nous ? », demanda Kinan sur le chemin.

« J'espère bien, oui, il me faut un peu de temps pour me refaire. », répondit Jophen.

Tout autour d'eux, s'élevaient des maisons à moitié de terre et d'arbres, comme intégrées pleinement dans la nature. Communiant avec l'environnement comme si elles avaient toujours été là, parmi la luxuriance verte de cette mer naturelle, loin de toute exhalaison toxique et de ces légendes que faisait courir la Grande Race. Cet endroit était loin d'être l'enfer généralement présenté dans le prospectus que l'on trouvait dans les circulaires, mais certainement un paradis inaccessible qui aurait facilement pu provoquer une rébellion. Yorik comprenait maintenant qu'ils n'étaient pas de simples travailleurs qui devaient gagner leur vie, mais bien des esclaves fabriqués par la grande race et maintenus volontairement dans leur état de soumission par des légendes, des croyances, un assujettissement qui les rendait aveugles.
En avançant sur le chemin, son esprit fut réveillé par le battement du fer contre le fer. C'était un bruit ténu, qu'il n'aurait certainement pas dû percevoir et qui provenaient d'une petite maison à sa droite. Il y avait là - il le voyait par la fenêtre ouverte - un garçon de son âge qui travaillait sur quelque chose de brillant qui semblait demander une grande concentration et une grande précision.

Yorik fut attiré vers cette jeune personne. Il se dit qu'il ne risquait pas grand-chose en ne suivant pas Jophen vers cette espèce de batisse qui semblait être une auberge. Il s'approcha de la petite maison, regarda par la fenêtre. Il y avait là un garçon, donc, à la tignasse rousse en bataille. Sa peau presque brune brillait d'une légère pellicule de sueur. Une sorte de plaque semi-transparente cachait ses yeux, les protégeant de la chaleur provenant d'un étrange instrument que Yorik avait vu une fois ou deux dans l'atelier d'Ernest. Yorik était comme hypnotisé par la petite flamme qui brûlait au bout du fer à souder. Ou peut-être était-ce autre chose.

Le jeune homme repoussa finalement son fauteuil, pour regarder son travail d'un peu plus loin. Yorik n'arrivait pas à voir sur quel objet le jeune mécanicien travaillait. Celui-ci se leva et se dirigea vers la fenêtre d'où Yorik regardait. Il l'ouvrit en grand et se prépara à lui envoyer une remarque bien sentie, lorsqu'il lui fit face finalement. Leurs yeux se rencontrèrent et, il se passa quelque chose que Yorik ne comprit pas. Il savait que la personne en face de lui avait ressenti la même chose rien qu'à son regard, fixe, et sa bouche, ouverte sur un mot qui ne voulait pas sortir. Il passa quelques secondes, étranges, qui firent battre le coeur de Yorik un peu trop vite, puis, finalement, la personne devant lui, retrouva la parole.

« Heu... Salut... », dit-il en s'empourprant, « Tu n'es pas du coin, toi. Tu es perdu ? »

Yorik chercha ce qui clochait. Il ne trouva rien de bien particulier, sauf qu'il lui semblait connaître son interlocuteur. Un mot lui traversa l'esprit : « Gardien ».

« Excuse-moi, je ne voulais pas te déranger. Je m'appelle Yorik, je ne suis en effet pas du coin. », dit-il assez vite pour tenter de se justifier, « Et j'ai été attiré par... ton travail. » Il se demanda instantanément le raison de son hésitation sur "travail" mais il aurait certainement le loisir de se poser la question plus tard.

« Ce n'est pas grave, je viens de terminer. », répondit le jeune homme, « Je m'appelle Alexander, je travaille au projet qui me fera rentrer dans la guilde des artisans. C'est un peu complexe, mais si tu veux, je t'explique... »

Yorik souhait qu'on lui explique, en particulier Alex, personne d'autre d'ailleurs. Mais il dût reprendre ses esprits quand Jophen lui posa la main sur l'épaule.

« Ce n'est pas parce que nous sommes à Frontière qui tu dois te laisser aller, Yorik. C'est toujours dangereux dans le coin. », dit-il d'un ton assez sec, puis il se tourna vers Alexander, « Et devinez qui distrait mon protégé ? Alex, comment vas-tu ? »

Le jeune homme eut un grand sourire.

« Parrain, enfin, ça fait si longtemps. »

Nehwon

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