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Nouvelles : Mélodie du soir

1

Lui, il boitillait tout en essayant de le camoufler. Elle, elle flânait devant les vitrines, passant d'une boutique à une autre. Eux, ils ne se rapprochaient presque pas. Eux, ils ne semblaient pas être un couple mais ne faisaient pas pour autant attention à leur comportement, c'était leur manière d'être.
Lui, il lui proposa de lui offrir un livre. Elle, elle dit non, mais merci quand même. Ses yeux chantaient, se dit-il en la regardant elle, mais que chantaient-ils ?
Derrière lui, et derrière elle aussi, une sorte de fontaine reconstituée, avec jet d'eau, nénuphars et pierre. Pierre, c'était qui ? Pierre, c'était un autre « il », un autre « lui », que elle et il, Claire et Amaury, venaient de rencontrer dans ce centre commercial. C'était un ami de Claire, ou une connaissance. Amaury ne pouvait pas être plus précis, car il ne connaissait pas les amis et encore moins les connaissances de Claire.
Bonjour, quelle surprise, disait Pierre, oui, comment ça va, répondait Claire. Pierre et Claire, ça rimait, pensa Amaury en regardant par terre. Oh, je te présente Amaury, un ami. « Un ami », pensa Amaury pendant que Pierre lui tendait une main amicale qu'il serra avec automatisme. Il avait aussi dit « enchanté », mais ça, Amaury ne l'avait pas entendu. Somme toute, c'était plutôt normal, et si la situation inverse s'était proposée, si Pierre avait été un de ses amis à lui, il aurait fait la même chose, peut-être même pire.
Pendant qu'il pensait cela, Pierre avait entamé un sujet de conversation banal, ni trop futile ni trop long à développer, si bien qu'Amaury ne s'y intéressa pas, se contentant de ne rien faire. C'est bien, parfois, de ne rien faire.

Puis ils se séparèrent. Elle et lui d'un côté, lui tout seul, de l'autre, et tout reprit son cours normal. Est-ce que c'était vrai ? Non, en fait, ce n'était pas vrai. Un mot, une phrase, l'avait dérouté, lui, Amaury, et Claire faisait comme si de rien était. « Je vous verrai sans doute lundi », avait dit Pierre, oui, avait dit Claire et c'était tout. Pourquoi lundi, demanda Amaury, pourquoi lundi, répéta-t-il à haute voix.
« Je suis invitée à un dîner, juste quelques amis, je me suis dit que tu pourrais m'y accompagner ». Devant le silence d'Amaury, Claire poursuivit, sans le regarder. « Ce ne sera pas grand chose, tu sais. Quelques amis, blablabla et puis c'est tout. » Amaury demanda comment se faisait-il qu'il était convié à ce... dîner. « J'ai parlé de toi à quelques amies, elles sont curieuses, elles veulent te voir. Ca t'embête ? ». Non, dit Amaury, non, bien sur que non et il se remit à sourire, alors Claire fit de même.

Arrivés au bout de l'allée, près de la porte de sortie, Amaury se remit à boitiller. J'ai mal à la cheville, dit-il. « Qu'est-ce que tu t'es fait ? », demanda Claire. Je ne sais pas.


2

La salle n'était pas pleine. Une table pour six personnes avait été réservée à l'avance, dans un restaurant ou tout le monde savait qu'il ne déplairait pas à l'un des six. Sauf pour Amaury, bien sûr, puisque lui, on ne le connaissait pas. D'ailleurs, tout le monde ne parlait que de lui, mais tout le monde, ce n'était pas tant de gens que ça, puisque ce n'était que trois personnes. Trois personnes en avance, ou peut-être était-ce les autres qui étaient en retard.
Il y a avait donc trois personnes. Un homme, le Pierre du centre commercial, et deux femmes, toutes deux la quarantaine passée, toutes deux bien habillées et parfumées comme une dame de ce rang se devait d'apparaître. Il paraît que c'est un gamin, avait dit l'une. Claire m'a dit qu'il avait à peine vingt ans, avait répondu l'autre. Je l'ai vu l'autre jour, avait renchéri Pierre, et je vous assure qu'il fait plus jeune que ça. J'espère que cette vieille folle ne tombe pas dans le détournement de mineur, avait enfin conclu l'un d'entre eux mais lequel ? Cela n'avait pas d'importance, de toute façon, puisque à peine cette phrase fut elle prononcée qu'elle se noyait déjà dans éclat de rire général et, semblait-il, légitime.

Sur la table, un vase comportant un bouquet discret, à ses côtés, un paquet de cigarettes. Taisez-vous, bande d'idiot, ils arrivent, dit l'une des femmes.

Amaury rentra le premier, tenant la porte pour Claire, lui ôtant son manteau pour le porter au vestiaire. Lui, n'avait pas de manteau, mais une veste noire par dessus une chemise blanche. L'une des amies de Claire lui sourit lorsqu'elle arriva jusqu'à la table et lui glissa quelques mots à l'oreille, avant qu'Amaury ne les rejoigne. Claire sourit, et plissa les yeux en direction de son amie.
Une fois qu'Amaury l'eut rejointe, elle le prit par les épaules et lui présenta chacune des personnes assises en face de lui. Amaury se força à sourire, tout en soutenant leurs regards. Chacun masquait, non sans mal, un sourire en coin, ce à quoi Amaury répondit par un rictus qui lui donnait l'air prétentieux.

Dehors, le vent s'était levé, ou alors les arbres s'étaient mis à bouger tous seuls. Puis, une autre femme est arrivée, s'excusant de son retard, et regardant Amaury en souriant. Ses yeux chantaient, eux aussi, mais ils chantaient mal, sans talent.
Le repas reprit son cours. Les conversations fusèrent. Amaury ne s'y intéressait qu'un minimum, mais intervenait comme s'il s'y plaisait.
Il répondit à des questions, parla de lui si bien qu'on aurait pu penser qu'il était sincère. Il dit qu'il allait bientôt avoir vingt et un ans, qu'il savait qu'il était jeune, mais que lui s'en fichait. Il dit aussi qu'il avait arrêté ses études, qu'il passait son temps à écrire, qu'il voulait être écrivain. Tout le monde a ouvert de grands yeux, et Claire a souri, avant de regarder son assiette, vide.
Puis, Amaury se leva, il dit excusez-moi, il dit je vais aller fumer une cigarette, puis il s'en alla, dehors, avant le dessert. La dernière arrivée, celle qui était en retard, elle s'appelait Blanche, ne put s'empêcher de le regarder marcher jusqu'à la sortie. C'était un gamin qui devait rendre jeune ce qu'il touchait, pensa-t-elle, ou non, mais c'est ce que ces yeux semblaient dire.

Une fois qu'il fut hors de la pièce, séparé par une vitre épaisse, Pierre, Blanche et les deux femmes se tournèrent vers Claire.

Les voix se mélangeaient, jusqu'à ne faire qu'une et une fois cette fusion accomplie, la voix se mit à harceler Claire de questions et de remarques. Quel gamin quand même, il pourrait être ton fils. Je suis sûr qu'il est plus jeune que ce qu'il dit. Ce n'est pas sérieux. Comment l'as-tu rencontré déjà ? J'imagine qu'il te fait du bien, si tu vois ce que je veux dire.... Depuis quand est-ce que ça dure ? Tu comptes le garder longtemps ?

Puis, le regard tourné vers l'extérieur, Blanche se désunit de cette voix unique, et se leva. Excusez-moi, dit-elle, je vais aller fumer, moi aussi. Il m'a donné envie.

C'est ainsi que Blanche rejoingnit Amaury au milieu du vent doux et amer, armée d'une écharpe qui n'avait pour fonction qu'un intérêt esthétique discutable. Lorsqu'elle s'approcha de lui, il ne la regarda pas. Blanche, elle le regardait, lui. Lui, ne bougeait pas un pouce, absorbé par l'observation méthodique qu'il faisait de sa propre cigarette, en train de se consumer. Quel bel objet, lui dit-il à elle, sans la regarder.
J'imagine que c'est un bel objet, c'est vrai, pour un instrument de mort... Vous croyez ? demanda-t-il en tournant la tête vers son visage à elle, pourtant dépourvu de féminité. Elle ne répondit rien. Blanche alluma sa cigarette et tira une bouffée. Elle souffla la fumée au-dessus d'elle, la laissant virevolter, créer, puis mourir dans le noir de la nuit. Vous connaissez bien Claire, lui demanda-t-il. Oui, je crois... Plus que vous, j'espère, répondit Blanche dans la nuit sombre. Je ne prétends pas la connaître, d'ailleurs je ne suis pas sûr que cela m'intéresse. Silence... Je ne suis pas naïf, cette histoire ne durera pas. Elle est éditrice, et elle a plus de quarante ans. Elle est divorcée. Je suis jeune, je suis très attirant et je suis écrivain. Nous sommes faits pour nous entendre, à court terme. Je ne dis pas que j'ai calculé quoi que ce soit, mais que parfois le hasard fait bien les choses. Vous ne pensez pas ? Silence, à nouveau, l'unique bruit de la fumée qui s'échappe du corps de cette femme puis qui finit par se taire, car que dirait-elle ?
Vous savez que je suis une amie de Claire, non ? Alors pourquoi me dire tout ça. Silence. Il n'y a pas de secret, c'est même très évident, donc je préfère être honnête, c'est tout. Si cela vous gêne, je peux inventer autre chose. Silence. Pas le moins du monde. J'apprécie votre honnêteté. Je pense que nous devrions rentrer, maintenant. Je ne voudrais pas que Claire pense que je lui vole son amant. Silence, mais pas absolu, puisque interrompu par le bruit du mégot sur le bitume. Il sourit. Faites-moi donc passer votre numéro à la fin du repas, quand Claire ne fera pas attention, et nous nous reverrons peut-être, si vous le voulez. Silence.

Puis Amaury saisit la poignée de la porte et le bref silence se tut. Blanche lui emboîta le pas, sans savoir s'il fallait sourire ou être offensée. Dans le doute, elle ne fit rien.

Pendant que Blanche et Amaury faisaient mine de ne pas se parler, l'interrogatoire se poursuivit, et Claire s'y plia. Dans le désordre, elle leur dit qu'elle ne comptait pas le garder des années, que ce n'était qu'une folie, mais qu'il lui faisait du bien, qu'il était agréable, même si elle savait que ce n'était pas sérieux. Elle dit qu'il n'était pas que beau, mais qu'il avait, aussi un semblant d'intelligence intéressant. Elle termina en disant qu'il n'était pas vraiment doué pour l'écriture, mais qu'avec un peu de temps il pourrait arriver à quelque chose. Puis, Amaury et Blanche revinrent, s'excusant tous deux de leur retard. Claire dit en buvant son fond de verre que « on avait beaucoup parlé de toi ». Merveilleux sujet de conversation avait répondu Amaury, en regardant dans les yeux l'une des deux quarantenaires, qui rougit sur le coup.
Puis, ils étaient tous passés au dessert, ils avaient continué de boire, de manger, de parler de rien. Amaury avait rappelé à Blanche qu'il voulait son numéro, et Claire ne l'avait pas entendu. La nuit se levait, tombant sur le petit monde qu'est la ville. Les six sortirent du restaurant et se dispersèrent dans le brouhaha du soir. Trois groupes se formèrent, se séparant à l'entrée de l'établissement : les deux femmes tout d'abord, partagèrent un taxi, Claire et Amaury partirent à pied, jusqu'ou ? On ne sait pas. Pierre raccompagna Blanche. C'est ce dernier groupe qui nous intéressera.

La voiture de Pierre était d'un noir brillant, ni petit véhicule de ville, ni monstre mécanique de quatre roues motrices mais une simple voiture moyenne, qui lui convenait du reste très bien. Il ouvrit la portière passager à Blanche, avant d'entrer à son tour depuis l'autre côté, et de démarrer. Il fait froid, avait dit Blanche, et Pierre avait mit le chauffage. Le silence, après cela, se devinait derrière le vrombissement pourtant discret de la ventilation. C'était sympa, non ? Pierre ne regardait pas Blanche mais la route, lorsqu'il parlait. Oui, c'était très bien. Le restaurant est très agréable, il faudra revenir. Blanche semblait fatiguée, parlait avec automatisme, comme si la réponse était déjà prête avant même que la question ne fut posée.
Ensuite, Pierre parla d'Amaury. Je ne pensais pas Claire capable de sortir avec un petit jeune. Moi non plus, dit Blanche. Qu'en penses-tu ? Blanche ne savait pas. Il était très jeune, c'était vrai, mais n'en avait pas l'air, de part ses gestes, de part son aisance et sa facilité à communiquer. Elle regarda par la fenêtre et contempla le vide d'un ciel pollué. Il m'a demandé mon numéro, dit-elle. Je lui ai donné. Presque sous les yeux de Claire. Ca ne me ressemble pas. Pierre avait tourné la tête, pour la première fois depuis leur départ. Alors toi aussi tu vas t'y mettre, avait-il dit en ricanant. Je ne sais pas, répondit Blanche, je ne sais pas. Je n'ai pas vraiment l'impression d'être moi-même en faisant ça. Mais en même temps, je ne crois pas avoir encore envie d'être moi-même. C'est lassant. Ca m'ennuie.

Une dizaine de minutes plus tard, la voiture noire s'arrêta, et le moteur se tut. Tu veux que je te raccompagne jusqu'en haut ? demanda Pierre en regardant le sommet d'un immeuble. Non, a dit Blanche, non, merci. Yves est là ce soir. Une prochaine fois peut être.
Pierre avait acquiescé, puis souri, ou peut être était-ce dans l'ordre inverse, avant de redémarrer, de faire un signe de la main vers son amie, et de lui dire « à la prochaine ». Elle répondit la même chose et regarda la voiture disparaître au coin de la nuit. Elle baissa la tête, sortit un trousseau de clef de sa poche, et entra dans le hall de l'immeuble. Dehors, rien ne bougea, et le monde se tut.


3

Face à la fenêtre, Amaury se devinait dans son reflet. Il disparut pourtant lorsque la vitre coulissante se décala sur la gauche. Au lieu de son image, la fumée de sa cigarette s'engouffra dans le vide du dehors. Le froid, lui, faisait le voyage dans le sens inverse, s'engouffrant à l'intérieur de la chambre peu à peu. En bas, dans le noir, le sol paraissait loin, mais il n'était qu'au sixième étage, Amaury, à regarder comme toujours l'incroyable esthétique de la cigarette. Sa cigarette. Si Claire s'était trouvée sur ce lit de la chambre 105 elle lui aurait dit en riant qu'il était sans doute trop jeune pour fumer comme ça. Mais Claire n'était pas là, et c'était bien cela qui le faisait sourire. Quel jour était-on ? Cela n'avait pas d'importance.

Il s'appuya sur le rebord de la fenêtre, sa chemise et son pantalon à ses pieds, et se mit à avoir la chair de poule, car il faisait bel et bien froid. C'est un bel objet, dit-il sans rien regarder. Quoi, avait demandé une voix dans son dos. La cigarette, c'est un bel objet. Peut être, avait dit la voix, ou peut être celui qui la tient, non ?
Amaury se retourna et sourit. Oui, aussi, dit-il en laissant tomber son mégot dans le vide obscur. Il referma la fenêtre, peut-être même avant de se retourner. Il regarda la personne sur le lit, celle-là même qui n'était pas Claire, car Claire n'était pas là ce soir, et ne fit rien du tout, restant stoïque devant ce lit. Derrière lui, un miroir, où il pouvait de nouveau s'apercevoir, à moitié. A moitié nu aussi, debout en caleçon dans une grande chambre presque vide. Tu avais déjà fait ça, avant, demanda la voix sur le lit. Peu importe, a dit Amaury, les yeux toujours rivés sur son image, de toute façon, quoi que je te dise, je ne vais pas dire la vérité. La voix s'était tue avant de revenir à la charge, dans ce cas invente un truc très con. D'accord, si tu veux. Je n'ai couché que deux fois avec un mec. Tu es le deuxième. Amaury, ou plutôt ses yeux, se détachèrent du mur glacé opposé pour se poser sur ceux de la voix. La voix, c'était Arnaud. Si Pierre l'avait vu, lui avait parlé, l'avait rencontré, il aurait peut-être dit qu'il « doutait beaucoup qu'il ait pu avoir vingt ans ».

T'es beau avait dit Arnaud en regardant Amaury, et Amaury avait souri. Beaucoup de gens disent ça, c'est bizarre non ? Non, pas tant que ça, mais Amaury ne l'entendait pas. Au lieu de ça, il avait dit à Arnaud qu'il avait faim, alors il s'était dirigé derrière le lit et avait sorti un paquet de chips de nulle part. Il le jeta sur le lit et s'y installa à son tour, une bouteille remplie d'un liquide transparent à la main.
Arnaud commença à manger quelques chips, pendant qu'Amaury faisait de même. Tu penses que tu seras bientôt publié, lui avait-il demandé. Je ne sais pas, a dit Amaury, Claire n'aime pas ce que je fais, alors il faudra aller ailleurs. Où ? Je ne sais pas. Quand ? Pas tout de suite. Ca m'ennuie, ce n'est pas urgent de toute façon. Et nous ? Quel nous ? Il n'y a pas de « nous », il y a juste toi et moi et c'est déjà pas mal, non ? Peut-être. J'espérais peut-être plus. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je ne t'avais rien promis... Et même si ça avait été le cas tu sais qu'on ne peut pas me faire confiance. C'est facile de dire ça.

Et puis personne n'a plus parlé, l'entremêlement de voix s'arrêta comme il avait commencé et Amaury ferma les yeux quelques secondes. Qui pouvait dire ce qu'il y avait dans sa tête à cet instant là ?

A cet instant là, Arnaud regardait Amaury parce qu'il était une star inconnue, parce qu'il attirait les regards, c'était naturel, parce que ces regards étaient aimantés au-delà du physique du jeune homme.
A cet instant là, Claire sortait d'un théâtre, accompagné d'une amie, et buvait un café quelque part à quelques kilomètres de là.
A cet instant là, Blanche regardait l'heure sur son réveil, grâce à ces chiffres rouges, insupportables quand on ne veut pas les voir.
A cet instant là, Amaury rouvrit les yeux et constata que rien n'avait changé, alors il prit une mine triste, jusqu'à ce que les lèvres d'Arnaud se collent aux siennes. Alors, il se mit à rire.


4

Plus tard, avait dit Amaury au téléphone. Lorsqu'il raccrocha le combiné, il prit une mine contrariée, avant de s'en aller, gravissant quelques marches, jusqu'à arriver sur le pas de la porte 105. Une fois à l'intérieur, il regarda ce grand lit au milieu de la pièce, celui-là même qu'il avait partagé avec Arnaud, et sans doute avec Claire, et d'autres encore. C'est très beau avait dit la femme sur le lit, comment peux-tu te payer ça. Ca n'a pas d'importance dit Amaury sans la regarder. Qui paie, continua Blanche, car la femme sur le lit, c'était Blanche. Peu importe. Lorsqu'il prenait ses distances, il était difficile d'arriver à percer les défenses du jeune homme.
Mais Blanche ne le savait pas. Pourquoi m'as-tu appelé ? Où en es-tu avec Claire ? Il n'avait pas vraiment fait attention aux questions et s'était contenté de répondre « nulle part » avant de se retourner et d'embrasser cette femme plus vieille que lui. Il l'embrassa sans passion, sans amour, sans envie et sans rire. Il l'embrassa parce que ce baiser pouvait la faire taire, parce qu'après cela, la trotteuse de sa montre aurait sans doute parcouru la moitié du cadran.
Dehors, comme souvent, il ne se passait rien, à moins qu'Amaury ne parvint pas à voir quoi que ce soit.
Alors, Amaury a dit « sortons », et Blanche s'est exécutée. Elle s'est habillée, a mis un manteau et une écharpe aussi, et est sortie en compagnie de quelqu'un qui aurait pu être son fils.

Ils se sont rendus tous les deux dans des bars, avant d'en ressortir, parfois juste après y être rentrés. Ils se sont assis sur des bancs, dans des parcs. Il faisait froid, mais Amaury ne semblait pas vraiment s'en rendre compte. Ils ne parlèrent pas beaucoup. Puis, alors qu'Amaury semblait vouloir rentrer, alors qu'il s'apprêtait sans doute à le dire à Blanche, ils tombèrent nez à nez avec Claire, assise, seule, à la terrasse d'un café. Amaury se mit à sourire, mais pas les deux amies, qui se regardaient avec de grands yeux.
C'est à ce moment qu'Amaury embrassa Blanche avec passion, une passion qu'il ne lui avait encore pas montrée. Claire ne dit rien. Elle haussa un sourcil, se leva, et quitta le café où elle était installée. Amaury souriait et Blanche ne savait pas quoi faire.

Ce que fit Amaury par la suite, Blanche ne le sut pas, car elle s'en alla, sans même que les deux autres personnages ne s'en rendent compte. Amaury, donc, rattrapa Claire, la tint par l'épaule et lui dit quelques mots. Blanche est gentille, avait-il dit, et Claire avait acquiescé sans dire un mot. Il avait rajouté que ça avait été amusant mais qu'il fallait mettre fin à tout ça. Même si Claire ne savait pas à quoi ce « tout » faisait référence, elle dit oui de la tête avant de dire adieu à son ancien amant. Une fois à une dizaine de pas derrière lui, elle se retourna et lui dit qu'elle avait refusé son manuscrit aujourd'hui. Amaury sourit et lui demanda si elle n'avait pas de cigarette. Claire ne répondit rien et s'en alla de nouveau, cette fois-ci sans se retourner.


5

A ses pieds, une place vide éclairée par les fausses lueurs de la nuit. Amaury est seul, mais pas pour longtemps. Amaury lève la tête, regarde le ciel, contemple la fumée envahir les étoiles, qu'on ne peut que deviner, et derrière lui une voix. Cette voix, c'est toujours la même et il la reconnaît. Tu es en avance, dit-elle. Oui, je sais, dit Amaury, toi aussi. Je suis là depuis une heure en fait. Tu ne devrais pas rester là, il fait froid. Ah bon, dit Amaury, j'ai peut-être menti sur la durée alors. Attendons encore un peu, continue-t-il, regarde comme la fumée part vite.

Seuls, tous les deux, dans le noir, ils regardent sans un mot de plus, le spectacle toujours unique d'une cigarette qui se consume. Au loin, le monde commence, et le bruit commence à s'arrêter. Alors, Amaury écoute la mélodie du soir, avant que celle-ci ne laisse place à la nuit silencieuse. Alors, Claire n'entend rien d'autre que sa propre voix. Alors, Blanche entend les larmes qui coulent sur ses joues. Alors le monde se tait et écoute. Evidemment.

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