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Nouvelles : Rêvera-t-il aujourd’hui ?

Doucement, il cligne des yeux. Rêvera-t-il aujourd'hui ?

Il est tard. Il sait qu'il a trop dormi. Comme d'habitude, soupira-t-il. Ce fut le début d'une journée assez ennuyeuse. Le travail s'accumulait et malgré son ardeur, il ne semblait pas avancer beaucoup. Il lui semblait que le temps était capricieux, qu'il allait et venait à sa guise, gonflant ou réduisant son moral selon la journée. Le temps est un joueur. Il joue avec ses nerfs. Même une brève sortie à la bibliothèque lui parut durer une éternité. La matinée était passée rapidement, trop rapidement, mais son moral s'était enfin relevé.

Son repas fini, il se pencha doucement pour attraper le prochain livre. Après quelques temps, il vérifia la pendule. Le temps avait soudainement décidé d'avancer plus vite. Sans vraiment faire attention, il recula sa chaise et soupira. Son regard tomba directement sur sa photo. Elle souriait. Il sourit aussi, comme une réponse... Comme une promesse. Il savait qu'il ne fallait pas la regarder trop longtemps. Le risque de voir son coeur l'emporter sur son cerveau était beaucoup trop grand pour qu'il puisse se le permettre. Il repoussa la photo. Durant quelques secondes, il sentit tout son coeur, son corps, tourné vers cette image. Il refréna son envie de la ressortir. Pas maintenant. Il avait du travail. Le temps continua à s'écouler doucement. Son moral était tel le soleil trônant au zénith des cieux. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre. L'avenir semblait radieux et rien n'annonçait que cet astre luisant allait redescendre sur la terre ferme. Il songea brièvement au temps qui semblait se jouer de lui. La présence d'une personne pouvait-elle influer sur la vitesse d'écoulement du temps ?

Le jour passait plus rapidement maintenant et commençait à tirer à sa fin. Le soir arrivait et avec lui son cortège d'ombres et de doutes. Mais, lorsqu'il disparaît au loin sur l'horizon, le soleil laisse passer durant quelques secondes une intense lumière, comme un dernier adieu, une promesse de l'aube future. Il sut à ce moment, qu'il était temps. Lui aussi allait partir dans la nuit, mais pas avant d'avoir vu cet éclat porteur d'espoir. Il prit son sac et sortit de chez lui.

Il savait bien que les rêves ne se réalisent jamais. Pourtant, il aimerait bien que celui-ci fasse une exception...

Comme à son habitude, il arriva en retard. Son esprit vagabond lui avait encore fait manquer son bus. Nul n'est parfait et surtout pas lui, il ne le savait que trop. Comme à son habitude, elle était déjà là. Il le sut rien qu'en se penchant pour défaire ses lacets, sans même regarder dans la salle. Ses chaussures étaient là. Il courut se changer et prit sa place dans le cours. Inconsciemment, il la chercha des yeux. Elle était là, sereine. Il savait qu'il était le seul à percevoir cette sorte de charme qu'elle irradiait autour d'elle. Que ne donnerait-il pas pour avoir ce charme proche de lui ? Il repoussa brièvement un rêve qui tentait d'entrer dans son cerveau. Où était-ce dans son coeur ? Il n'était pas là pour rêver.

Elle souriait doucement. Il se força à regarder ailleurs. Il savait quel effet ce sourire avait sur lui et il se refusait à céder. S'il osait, il n'aurait fallu que quelques instants pour s'avancer et déposer sur ses douces lèvres un simple baiser. Le temps pouvait parfois devenir tout à la fois très court et durer pourtant une éternité. Il se concentra sur sa tâche. Il n'était pas là pour rêver.

Elle m'a vu. Etait-ce un simple regard furtif ou m'a-t-elle regardé volontairement ? Il savait qu'il se posait trop de questions. Les doutes rongeaient son âme. S'il devait un jour la vendre à un quelconque dieu ou diable, il n'en tirait pas plus que les quelques pièces allouées aux tissus troués et usés. Il se reprit. Pas la peine de se poser de questions. Il saurait bien assez tôt. En même temps, avait-il réellement envie de savoir ? Et si jamais c'était le bon moment ? Il secoua la tête. Il n'était pas là pour rêver.

Le cours touchait à sa fin. L'ensemble des étudiants s'assit pour observer un examen. Tout le monde regardait attentivement les deux protagonistes en exhibition. Pas lui. Il regardait ailleurs. Elle semblait concentrée. Il adorait quand elle avait cet air là. Il se mit à penser doucement. Le temps suspendit son vol pour lui laisser réordonner ses pensées. Il se mit à rêver, mais ce fut bref. Savait-elle quel bonheur il lui offrirait ? L'examen s'achevait. Il se leva pesamment. Il n'était pas là pour rêver.

Il s'approcha d'elle. Elle le regarda et le salua. Il crut que son coeur avait sauté de sa poitrine d'un seul coup. Il espéra qu'il n'allait pas trop rougir. Il n'avait pas écouté la moitié de la question. Il répondit doucement qu'il allait bien. Il l'observa. Elle avait tourné le regard. Il devait parler. Il voudrait ne dire que trois mots. Trois simples mots qui réussissent le tour de force d'être tout à la fois une affirmation et une question. Mais il n'ose pas. Il tremble. Ce n'est pourtant pas le froid. Il a simplement peur d'avancer, peur de parler. Peur d'échouer...

Trois petits mots peuvent-ils résumer des centaines de pensées qui s'entrechoquent ? Peuvent-ils résumer des dizaines de projets qui germent sous un délire implacable ? Peuvent-ils résumer un rêve ? Il ouvre la bouche pour parler. Le temps s'arrêta. Il lui dit alors combien il la trouvait charmante. Il lui dit qu'il n'avait eu de cesse de faire sa connaissance, espérant y découvrir un trésor. Il s'était trompé, il n'y avait pas de trésor. Il n'avait trouvé qu'un diamant. Brut, sauvage, honnête et tolérant. Il l'avait apprécié de plus en plus au fur et à mesure qu'il apprenait à la comprendre. Il dit aussi qu'elle lui avait redonné le goût d'aimer. Il dit aussi qu'il avait peur de s'investir avec elle, mais qu'il était prêt à courir le risque d'être à nouveau blessé dans son coeur si cela pouvait lui donner une infime chance de saisir le sien. Il dit qu'il savait qu'il avait été maladroit. Qu'il avait ses défauts. Il dit que malgré tout, il savait qu'il saurait la rendre heureuse. Il dit qu'il ne doutait pas de réussir à la combler de son mieux, qu'il semblait avoir passé sa vie à la chercher. Il dit qu'il voulait avoir sa chance. Qu'il voulait pouvoir rêver à ses côtés. Il dit qu'il souhaitait lui ouvrir son coeur, qu'elle y trouverait le bonheur qu'elle cherchait. Il lui dit qu'il l'aimait. Il lui dit simplement trois mots, comme une interrogation muette. Il lui offrait son rêve...

C'est à ce moment là que le temps, joueur taquin, reprit son cours. Elle était devant lui et semblait attendre qu'il parle. Il n'avait pu prononcer une seule parole. Tout son beau discours était là, dans son coeur, mais il refusait de sortir. Il ne put rien dire qu'une simple banalité.

Le rayon du soleil disparut sur l'horizon et ce fut la nuit. Froide et cruelle, elle emplit le vide de sa noirceur. Et son coeur était vide à ce moment là. Il réussit néanmoins à parler. Ce fut maladroit, il se sentait ridicule. Le temps prenait un malin plaisir à l'enfoncer davantage. Son rêve devint cauchemar. Il ne fait pas bon rêver quand la nuit s'ouvre devant vous. Il finit par poser une question banale. Et il savait que la banalité de la réponse lui serait un supplice. Une affirmation lui ferait l'effet d'une bouée, lancée à l'aveuglette au naufragé dans une tempête d'hiver au milieu de l'Atlantique nord. Une négation lui ferait le même effet. A ce détail près que la bouée le toucherait. Et qu'elle serait lestée...

...

Non.

Elle a dit non. Lui n'a rien dit. Il a juste baissé les yeux, baissé la tête, pour qu'elle ne voie pas la larme qui naissait. Il a failli exploser, failli fondre. Il s'est mis d'un seul coup à haïr l'univers entier, cette vie qu'il mène, ce destin qui le poursuit... Il en arrive à se haïr lui-même. Plus rien ne l'atteignait. Plus rien ne le surprenait. Il n'entend plus rien du tout, ne voit plus rien non plus. Un mot remplace dans son esprit celui qui vient de briser son rêve, comme on brise un cristal.

Pourquoi ?

Il est rentré chez lui. Le chemin a paru long. Il traînait les pieds. Ses pensées sont floues, désordonnées. Il ne sait que faire. La porte a claqué en rentrant. Tant pis. Il pose son sac sur le lit et s'accoude à la fenêtre. Il pleut. Il pleure. Que fait-elle ? Imagine-t-elle la tristesse qui émane de cet homme ? Sait-elle seulement ce qu'il ressent réellement ? Il secoue doucement la tête. Le monde semble tout entier peser sur ses épaules. Le poids de sa vie semble s'alourdir de seconde en seconde. Il s'effondre doucement dans un spasme. Les hommes ne pleurent pas qu'on lui a dit. C'est faux. Ils pleurent. Beaucoup. Parfois même plus que quiconque. Il est en haut de son immeuble, l'orage gronde et son coeur est empli d'une tristesse que rien ne semble pouvoir réduire. Il regarde en bas. Une douzaine d'étages...

Le soleil se lève. Il est étendu dans l'herbe douce. La rosée du matin le recouvre délicatement. Ses yeux ouverts regardent ce ciel bleu qui semble radieux pour tant de monde sur cette planète. Mais il n'est pas radieux pour lui. Il ne l'a jamais été. Doucement les rayons du soleil se mettent à le recouvrir délicatement, comme une main douce et sereine. Il est en paix. Ses soucis ne sont plus. La plus pénible des épreuves vient de passer sur sa vie. Une vie passée à chercher. Une vie passée à ne jamais trouver. Une vie qu'il s'était mis soudainement à détester. Doucement, le vent se met à souffler. Ses cheveux frémissent. Sait-elle qu'il serait allé en enfer pour elle ? Sait-elle seulement ce qu'il aurait pu sacrifier pour que ce simple non deviennent un simple oui ? Non, elle ne sait pas bien sûr. Elle ne l'a pas compris. Personne ne l'a jamais compris. Elle ne pleurera pas pour lui.

Doucement, il cligne des yeux. Rêvera-t-il aujourd'hui ?

Droopy

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