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Nouvelles : Spectre(s)

1. Où ?

Bloom
J'ai repris un bar il y a quelques années. Du genre miteux et puant. Avec quelques amis, un peu d'aide, on l'a remis sur pied, on l'a totalement refait, des pieds à la tête. Et aujourd'hui... Vous avez qu'à voir le résultat. Le « Black & White » est le bar numéro un de la ville. Je dirais pas que j'en suis particulièrement fier mais... Si, je crois que j'en suis fier. C'est un peu grâce à moi qu'il tourne comme ça. Enfin, à moi et aux habitués bien sûr.
Mais ce qu'il y a de bien avec le Black - c'est comme ça qu'on l'appelle, entre nous, pour faire plus court : le Black - c'est qu'on ne voit jamais les mêmes gueules chaque jour. C'est un peu le principe de l'établissement, vous comprenez. Le « thème », voilà, c'est le mot que je cherchais. Le thème donc, c'est que chaque jour de la semaine, sauf le samedi et le dimanche, chaque jour de la semaine donc, correspond à un style musical différent. Le lundi : Jazz, le mardi : Classique, le mercredi : Rock... Enfin, et ainsi de suite jusqu'au vendredi. Le dimanche, on est fermé, comme le samedi normalement, mais, avec le temps, on s'est mis à organiser des soirées cinéma « entre amis », si vous voyez ce que je veux dire...
Alors bien sûr, c'est comme partout, il y a les habitués, ceux qui viennent tous les jours - sauf, bien sûr, en cas d'empêchement - ce sont eux qui profitent des soirées cinéma « entre amis ». Mais de là à dire que ce sont des amis. Ce sont des clients, des connaissances, mais des « amis », ça non, je ne sais pas vraiment.
On est pas nombreux vous savez... A travailler j'entends. Je veux dire... tout le monde travaille, on n'est pas nombreux au Black. On est que trois, alors, quand il y a du monde, c'est pas facile...

Franck
Le Black & White, c'est un sacré bon endroit pour venir passer la soirée vous savez. Y en avait pas avant des endroits comme ça. Pas ici en tout cas. Tout ça, c'est à Bloom qu'on le doit vous savez... Même s'il aime pas trop qu'on dise ça... Enfin bref, c'était ici qu'on était ce soir-là... Mais ça, vous le savez déjà...

Laurent
Avant il y avait pas grand chose pour les gens de la ville. On rentrait du boulot et puis c'était tout. Maintenant on peut venir ici. C'est comme une deuxième famille. Et puis c'est pas tellement pour la boisson. Vous savez, on boit pas tellement... Enfin, certain boivent, mais en général, c'est pas vraiment des habitués. Les habitués comme nous, ils boivent pas tellement, ils ont pas besoin de ça. Enfin, je veux dire, on a pas besoin de ça. Enfin « on », sauf Marjie, elle, elle boit comme un trou, mais c'est différent. Vous voyez ce que je veux dire...

Milène
Je travaille au Black and White depuis près de deux ans maintenant. Là-bas, ils m'appellent « La Russe ». Tout ça parce que j'aime bien prendre des accents. Le premier jour, c'était l'accent russe alors... Mais ils y croient vraiment, alors, moi ça me dérange pas, du moment que ça leur plait. Y a qu'avec M'sieur Bloom que je parle normalement, mais il dit rien aux autres lui, il garde le secret, je crois que ça le fait rire. Il est gentil M'sieur Bloom... Enfin, je veux dire, M. Landrun. C'est un type vraiment bien. Il me laisse la chambre au-dessus du bar pour rien. En contrepartie, je travaille tous les soirs et je fais le ménage, le matin, avec lui. On est ouvert qu'à partir de cinq heures alors, ça me laisse du temps libre. En plus, même si la paye est pas énorme, c'est toujours mieux que rien. Vraiment, j'ai pas à me plaindre. Enfin, j'imagine que maintenant il va falloir trouver une nouvelle cuisinière parce que, c'est pas avec mes omelettes ou les rognons de M'sieur Bloom, je veux dire M'sieur Landrun, qu'on va attirer la clientèle.

Marjolaine
J'ai jamais bu d'aussi bonne bière qu'au Black ! J'sais pas où y vont les prendre mais alors, vous devriez essayer d'en goûter une fois M'sieur, juste une fois, et vous comprendrez de quoi j'veux parler. Enfin, j'veux dire elles sont bonnes mais avec modération hein, attention, faut pas en abuser non plus hein ! Là-bas ils croivent que j'suis intéressée qu'à ça mais là-bas ils m'connaissent pas. Ils connaissent juste la Marjie de l'après du boulot, tu vois. J'veux dire c'est que, j'suis pas la même au soir et aux autres moments, j'veux dire que ça se compare pas ces choses là. D'ailleurs, si vous venez une fois, juste une fois, vous verrez que j'sais me rester calme, comme tout le monde, j'suis bien élevée.

Karl
Ce qui me plait avant tout dans l'idée même - le concept si vous voulez - du Black & White, c'est la conception de fraternité désintéressée. Car, si l'on se réfère aux nombreuses soirées passées en commun dans ce navire rythmé chaque soir par des notes différentes, cette confrérie révèle un incroyable parfum de force et d'attachement. D'ailleurs, comme je le dis souvent en pareilles circonstances, le lieu fait beaucoup dans la conception de l'attachement entre les gens. Les liens qui se tissent en société sont souvent aidés par le lieu même, vous comprenez. Et puis, il est difficile de reprocher quoi que ce soit à ces fantastiques hôtes qui n'ont de cesse de se démener pour les clients, habitués ou non. En tant que tel, je dois avouer que j'apprécie le soin tout particulier apporté pour les petits détails. Le simple fait d'élaborer une thématique musicale en adéquation avec le jour de la semaine est d'ailleurs, d'un point de vu totalement subjectif, une idée sensationnelle. Au Black & White qui, malgré son nom n'a rien d'un établissement, comment dirais-je, « monochrome », chacun est le bienvenu. Nous ne faisons, enfin je dis « nous », mais je ne suis pas un employé, nous ne faisons disais-je aucune discrimination. Les minorités bien entendues sont les bienvenues, même si, du simple fait que notre modeste ne ville n'en compte pas tellement (des minorités, j'entends), il ne nous en vient que très - je dirais même « trop », soyons pour la diversité, diantre ! - rarement.
Vivre au quotidien au « Black & White » c'est une aventure, je dirais même une Odyssée. D'ailleurs, comme je l'ai déjà fait remarquer au principal intéressé, ne trouvez-vous pas extraordinaire que le nom de notre bienfaiteur, en l'occurrence son prénom « Bloom », soit l'exact même que le patronyme de l'Ulysse de James Joyce dans son wonderful roman éponyme. Vous pouvez penser ce que vous souhaitez penser, il n'empêche que de telles coïncidences ne trompent que très rarement mon ami...

Marina
Vous y étiez non ? Pas la peine de poser la question...

2. Quand ?

Marjolaine
L'était pas encore huit heures. C'était tout juste si s'tait pas nuit déjà. Enfin, j'dis huit heures, c'était p'têtre huit heures et l'quart ou huit heures et l'demi...

Franck
C'était mardi.

Laurent
Mardi. Le 6. Un peu après vingt heures vingt. J'ai regardé la pendule un peu avant.

Milène
C'était mardi dernier, mais vous le savez. L'heure, je sais pas. Il ne devait pas encore faire nuit, c'est tout ce que je peux dire. Vous savez, quand il y a du monde, c'est difficile de se tenir au courant... Je veux dire, même la notion du temps on l'a plus trop. Mais je crois pas qu'il faisait nuit, ça j'en suis presque presque sûre.

Marina
C'est noté dans votre calepin...

Karl
C'était au début de la semaine dernière, je ne peux malheureusement pas vous transmettre la date exacte, non pas que ma collaboration dans cette histoire soit à remettre en question, il se trouve juste que, comme beaucoup d'individus, il m'arrive parfois d'être sujet à des troubles de la mémoire que l'on pourrait simplement désigner sous le nom, peu sympathique, je l'admets, d'oublis. Enfin, j'imagine que via l'exercice très simple de la soustraction nous pourrions facilement nous dépêtrer de cette situation pour le moins idiote. Ainsi, en prenant en compte la date d'aujourd'hui, soit le dix de ce mois, et en y retranchant les quatre jours écoulés, nous aboutissons au résultat tant recherché, soit le 6 de ce mois.
Je ne peux malheureusement et, croyez-moi, j'en suis bien embarrassé, vous éclairer sur l'horaire exact pour la simple raison que je n'ai pas fait réellement attention au temps qui passait. Tout ce que je peux vous dire c'est que, étant donné que la thématique musicale de ce jour-là était la communément appelée « musique classique » et, plus précisément, ce cher Stravinsky, après m'être plongé corps et âmes dans les profondeurs de « L'Oiseau de Feu » je n'ai plus fait attention à rien. Enfin, jusqu'à votre arrivée, of course...

Bloom
Mardi dernier, c'était l'heure « de pointe », là où il y avait le plus de monde, donc j'imagine qu'il était un peu plus de vingt heures... Les boeufs bourguignons, c'était le menu du jour, étaient juste prêts...

3. Qui ?

Bloom
Je suis le gérant au Black, et Milène et Marina travaillent pour moi. Elles ne gagnent pas grand chose, les pauvres filles, j'imagine qu'elles n'ont pas eu une vie très facile... Il y a des rumeurs dans le dos de Milène, mais rien de vrai. Du moins, j'imagine. Ce ne sont que des bruits de couloirs qui ont vu le jour à cause de son prétendu accent... Alors évidemment, une russe ici...Tout le monde y va de sa petite histoire...
Tout le monde c'est Marina, mais elle n'a jamais vraiment cru à ces salades, Franck, qui n'a pas l'air de réellement s'y intéresser, Laurent qui la tient à l'oeil, Karl qui l'admire et Marjolaine qui ne peut s'empêcher de toujours dire « Quelle est courageuse c'te gamine, j'te jure moi j'aurais pas pu ».

Marjolaine
Quelle est courageuse c'te gamine ! Moi j'te jure, j'aurais pas pu ! J'parle de Milène 'videmment . Ses parents sont morts quand elle avait six ans, là-bas en Russie, et elle s'est prostituée à 13 balais ! Il paraît que c'est comme ça qu'on l'a fait venir ici... Et après, bien sûr, elle s'est sauvée ! Brave p'tite, moi j'aurais pas pu ! Heureusement qu'elle est tombée ici quand même hein ? Pasque, nous, on prend bien soin d'la p'tite hein !

Marina
C'est Bloom qui m'a engagée, il y a un certain temps...

Laurent
Tout le monde est très sympa ici, ça je peux vous l'assurer. Bloom est un type génial, c'est tout simple, et on passe de super moment au Black. Vous devriez passer quelques fois...
Ici, les habitués se connaissent sans se connaître, on se parle mais ça s'arrête là, je pourrais donc pas vous dire grand chose. Dans la bande, Franck est sans doute le moins bavard, il paraît qu'il a des problèmes chez lui... Enfin, ça n'explique pas tout... Et c'est peut être pas vrai... A l'opposé, Karl parle trop et surtout, on comprend souvent rien de ce qu'il dit, il arrête pas de parler de films que personne connaît et, surtout, de bouquins au nom interminable. Et c'est pas qu'on lise pas, quoique pour Marjie j'ai un doute, mais voilà, on a pas tellement le temps non plus. Bloom a beaucoup de livres aussi, dans la pièce du haut, donc je sais pas s'il a tout lu.
La pièce du haut, c'est la Russe qui l'occupe... Et, puisque j'en parle, j'aurais été nettement moins surpris si tout le bazar de mardi l'avait concerné elle, plutôt que Marina... C'est pas qu'elle soit pas sympathique, loin de là... Mais, moi, j'ai pas confiance... Elle est russe, vous comprenez... Elle est pas de chez nous et en plus elle vient de loin, et de là-bas... Et puis, vous savez, tout ce qu'on raconte sur elle, ça fait froid dans le dos. Il paraît qu'elle a abattu de sang froid un de ses complice lors d'un braquage...
Mais bon, c'est Marina, pas Milène, qui a toutes ces emmerdes... C'est vrai qu'elle racontait des choses, mais je l'ai jamais vraiment cru...Une femme comme elle, vous comprenez...

Milène
Malgré les bruits qui courent dans mon dos, je crois que je m'entends avec tout le monde ici. Ils sont tous très gentils, et s'ils sont méfiants, c'est pas vraiment de leur faute... Je les comprends vous savez... Je crois que je m'entendais surtout avec Bloom, M. Landrun, et Marina. Mais au fond, c'est normal, on travaillait ensemble, le soir, on mangeait tous les trois avant que les clients arrivent alors, évidemment, on tisse des liens. J'aurais jamais cru pour Marina... Je pensais pas que c'était vrai tout ça... Je pensais qu'elle disait juste ça pour provoquer les autres, pour les accuser de sexisme, parce qu'ici, y en a du sexisme, croyez-moi ! Mais quand on les a vu débarquer, alors, je me suis dit que peut être, pourquoi pas...
Les autres ont été surpris aussi...Même Franck a fait une drôle de tête, alors qu'en général, il s'occupe pas de grand chose. Karl lui, il s'était planqué sous une table, je m'en souviens, parce que j'ai pas arrêté de me foutre de lui après ça. Il le prend à la rigolade, mais au fond, je sais qu'il rit jaune... Il est comme ça Karl. Il a beau être sympathique, il y a aussi quelque chose d'incroyablement désagréable chez lui, derrière ces beaux mots qu'il utilise...

Franck
Je m'étais jamais vraiment occupé de Marina jusque là. Je veux dire, elle était celle qui faisait la cuisine, on la saluait en arrivant, on la félicitait en repartant, et puis c'était tout. De temps en temps, quand on avait pas beaucoup de clients, elle venait s'asseoir avec nous, elle buvait toujours la même chose mais j'ai oublié ce que c'était parce que, moi, j'aime pas trop l'alcool. Je sais juste que ça puait vachement son truc. Alors quand elle était avec nous, elle nous racontait des histoires invraisemblables, complètement débiles. Evidemment je la croyais pas, mais je me contentais de hocher la tête, c'est ce que je fais toujours, comme ça au moins, on fait de peine à personne. Bloom aussi disait pareil, enfin, faisait pareil, puisqu'en fait, il disait rien du tout. Les autres par contre, gueulaient de plus belle et tout le monde commençait à s'énerver, entre ceux qui y croyaient, et qui soutenaient Marina et ceux qui y croyaient pas qu'arrêtaient pas de crier « Mais c'est n'importe quoi ! ». Je sais bien comment ça se passait moi, parce que c'était toujours pareil ces choses là. Karl et Marjie défendaient Marina, mais n'importe comment, Laurent qui voulait même pas essayer de l'admettre, et, parfois, Bloom et même Milène qui se rangeait de son côté aussi. Et pourtant, on sait ce qu'on raconte à propos de celle-là... Non pas que j'y prête attention mais bon, si y en a une qui pouvait défendre Marina, c'était bien la Russe...
Enfin bref, ça se finissait toujours de la même façon, Marina attendait de finir sa clope, tapait du point sur la table, ce qui faisait trembler tous les verres, et qui partait en gueulant que « De toute façon vous y comprenez rien, si j'avais été un homme, y aurait pas eu tout ça ! », ce à quoi Laurent répondait sur le même ton « Si t'avais été un homme, tu s'rais pas aussi chiante ! ».
Ce genre de choses, bien sûr, ça peu paraître un peu bizarre, mais avec eux, il suffisait de s'y habituer. Au fond, je crois que tout le monde s'aime bien, ils ont juste leurs tempérament, faut l'accepter. Si le « Mister », c'est comme ça qu'on appelait M.Vilan par ici, si le « Mister » était toujours en vie, je crois que personne aurait osé élever la voix comme ça... Enfin, je peux me tromper aussi...

Karl
La caractéristique principale qui émane de ces gens, quels qu'ils soient, c'est leur incommensurable sens de l'accueil et leur amitié. Vous comprenez, en ce qui me concerne, je ne suis pas d'ici. Enfin, bien sûr, comme vous le savez, j'ai élu domicile ici, mais ce que j'entends par-là ce que je ne naquis pas dans cette charmante région, aux yeux de celle-ci je ne suis donc qu'un étranger, vous comprenez. Mais, malgré cet écueil, toute cette charmante petite clique du Black and White m'a accueilli comme l'un des leurs, et je le sais, je ne leur en serais jamais suffisamment redevable...
Pour ce qui est de Marina, je dois avouer que je ne comprends guère toute cette dégringolade... Je ne sais pas vraiment si je l'ai réellement crue... J'ai eu la sympathie et le respect de ne pas mettre sa parole en doute mais je ne pense pas, aussi loin que je puisse revenir en arrière, que je ne l'ai jamais réellement crue de façon totale et absolue.
Je crois même que la Russe, pardon, mademoiselle Milène, l'ait jamais cru également. Et pourtant, elle aurait eu toutes les raisons de lui confier une confiance sans faille, compte tenu de ce qu'elle a, elle, vécu dans sa déjà lointaine jeunesse. Puisque nous parlons de cette chère mademoiselle Milène, je dois d'ailleurs vous confier que je ne cesse de l'admirer. Cette petite possède un courage incroyable et, je crois que, pour ma part, je n'aurais jamais pu en faire autant... Je l'admire profondément... Il se dit d'ailleurs qu'elle aurait été obligée de tuer un de ses « clients », si vous voyez ce que je veux dire, d'une balle dans la gorge ! Alors, vous voyez, ça fait réfléchir... Je l'admire vraiment... Et, c'est étrange mais je vais vous confier comment je le ressens, je crois qu'elle ressent quelque chose de similaire à mon égard, malgré les petites plaisanteries qu'elle lance à mon égard...

4. Marina...

Karl
Comme je vous l'ai confié tout à l'heure, je dois avouer que je suis resté pantois l'autre jour, lorsque tout est arrivé. Je vous l'ai dit, je n'ai jamais vraiment cru à ces histoires, aussi, ce fut un réel choc d'apprendre cela, vraiment, je crois d'ailleurs que je ne m'en suis toujours pas remis... Excusez-moi...

Marjolaine
Pov' Marina... J'viendrais souvent lui rendre visite... Moi j'l'ai toujours cru d'abord. Il faut que ça se sache... J'ai rien dit à personne parce que, Marina, c'était une amie, bien plus qu'on pouvait l'croire... Arrêtez-moi, si vous voulez, passez-moi les bracelets, comme ça, j'irai en taule avec elle ! Elle avait raison d'toute façon la Chef, pourquoi qu'une femme elle pourrait pas tuer des gens hein ? C'est pas un boulot d'homme merde à la fin ! Nous aussi on peut tout faire ! J'suis fière de toi la Chef !

Laurent
Marina c'était un vrai cuistot ! Jamais j'ai mangé d'aussi bon repas qu'au Black dans toute ma vie ! Elle avait pas le caractère facile, ça d'accord, mais on pouvait pas dire qu'elle faisait de la mauvaise bouffe, ça non...
Et puis on s'engueulait souvent, ça d'accord, mais merde ! Cette femme là, j'aurais jamais cru ! Je veux dire, c'était trop énorme pour être pris au sérieux, vous comprenez. Et qu'est-ce que vous vouliez que j'y fasse d'abord ? Que je ferme ma gueule et que je fasse oui avec la tête comme tous les autres ? Bah non, moi, quand je suis pas d'accord, je suis pas d'accord et c'est comme ça, un point c'est tout. Et en l'occurrence, j'étais pas d'accord, alors c'était comme ça un point c'est tout.
Mais je me suis trompé... Mais quoi ? Ca arrive à tout le monde de se tromper, non ? Bah moi, je me suis trompé... On peut pas dire que je me trompe souvent mais ce jour là, ou plutôt tous ces jours là, bah je me suis salement planté, fin de l'histoire... Et puis merde quoi, je veux dire, vous êtes vraiment sur de vous ? Peut être qu'elle vous a embobiné aussi non ? Parce que, merde, les meurtres, la mafia, j'veux dire, c'est des conneries tout ça, non ? Y a que dans les films que ça arrive... Je veux dire, si ça avait été un homme peut être que... Ou peut être que si ça avait été une femme différente, mais... Merde quoi !

Marina
Si j'avais été un homme, y aurait pas eu tout ce bordel... Ils auraient tous eu la trouille et puis fin de l'histoire... Ces cons là croient que...

Milène
... Y a vraiment que dans les films que ça arrive ! Mais chapeau la Chef, hein ! Parce que, pour une femme, vraiment, je suis sciée ! Pas vous ? Enfin, « chapeau », peut-être pas, mais vous me comprenez hein ? Si j'avais su, j'aurais pas mis sa parole en doute comme ça, j'aurais passé plus de temps avec elle... En tout cas, c'est clair que tout le monde va encore en parler dans quelques années hein ! Ca va peut être même encourager des vocations, qui sait ? Je veux dire, ce serait pas bien, mais, pour la parité...

Franck
Merde, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, elle a tué des gens, c'est son problème !

Bloom
Ah... Marina... Sans doute le meilleur cuistot que j'ai jamais eu... Ce sera une grosse perte pour le Black mais bon, on fera avec... Je vais d'ailleurs pas vous le cachez, j'avais jamais vraiment cru à tout ça, je veux dire, on se vante pas de ce genre de chose d'habitude, alors, évidemment, ça faisait bizarre.
Mais, maintenant, je crois que je suis toujours autant persuadé que c'était quelqu'un de bien, c'est étrange hein ?

5. Le Mardi 6 vers vingt heure vingt...

Marjolaine
Ils ont fait un de ces boucans ! C'est que vous y êtes pas allé de main morte avec toute s't'affaire hein ? Ils ont d'abord enfoncé la porte ! C'était pas très finaud parce que, vous vous doutez bien qu'on était ouverts à c't'heure là ! Alors évidemment, quand on pousse la porte comme ça, bah y a du fracas, et quand y a du fracas, bah y a tout plein de poussière et plein de trucs qui tombent du plafond alors, bah, comme d'habitude quand ça arrive c'genre de trucs, bah, j'ai couvert mon verre avec une de mes mains pour pas qu'y ait des trucs qui tombent dedans parce que sinon, bah j'peux plus l'boire... Et puis ils sont tous rentrés, il paraît même qu'ils sont entrés aussi par les autres portes, mais ça, bah j'lai pas vu vraiment... En tout cas ils étaient préparés hein ! Fouillou ! Ils étaient tous avec des gilets contre les balles, et pis tous armés ! Y en avait même qu'avaient des gros fusils ! J'veux dire, qu'est-ce qu'ils s'attendaient à trouver ici ? Un commando ? A moins qu'ils avaient peur d'la Chef, elle aurait pu leur donner un coup de louche, ou d'la Russe, qu'aurait sortit une Barychnikov, ou un truc dans l'genre... Et pis ils sont tous partis, l'type en rouge aussi, avec Marina, avec la Chef, alors on avait plus rien à manger... Ah oui ! Il faut qu'j'vous parle du type en rouge aussi !

Karl
Il était vêtu de façon relativement excentrique, et quand j'utilise le mot « excentrique » par ici, ça veut dire chic, tout simplement. Tout en rouge, avec un pantalon rouge, une chemise rouge, une veste rouge, un chapeau rouge (pardonnez moi les répétitions) et ainsi de suite de façon à ce que seule cette couleur aux reflets vermeil n'apparaissait sur ses attributs vestimentaires... Aujourd'hui encore, j'ignore comment il se prénommait, tout simplement parce que je n'ai pas eu la bonne idée de faire attention. Enfin, passons, il est donc arrivé une petite heure avant que cette violente escouade ne pénètre de force dans l'établissement. C'était une sorte de, comment dire...

Franck
Un gros abruti, c'était vraiment un gros abruti ce type ! Tout en rouge, comme ça, à nous parler de son théâtre machin chose, franchement, on avait autre chose à foutre nous autres... Alors, évidemment, j'ai pas écouté ce qu'il a dit...

Laurent
Je me souviens parfaitement de ce qu'il a dit, il était venu pour faire un peu de pub pour sa pièce, qui se jouait en ce moment au théâtre de la ville. Il a distribué des petits papiers à tout le monde et puis il a expliqué un peu ce que c'était comme genre de truc. J'ai gardé le papier, le prospectus en question, avec le nom de la pièce marqué dessus en lettres rouges très vifs. Ca s'appelait d'ailleurs « ROUGE », avec, en sous titre « Raides Caractères »...
D'après ce que j'en ai compris, c'était une pièce un peu absurde où le type en rouge nous disait au début que tout était faux et qu'il ne fallait rien croire... C'est tout ce dont je me rappelle je crois, et comme je l'ai pas vu la pièce en question, je peux pas en dire plus... Peut être que la Russe se rappelle mieux...

Milène
Je pense que les autres doivent mieux se rappeler de tout ça, parce que, de mon côté, j'étais sans arrêt entre les cuisines et la salle principale, ce qui fait que je n'ai ni vu le fameux type en rouge, ni même l'assaut pour prendre la Chef... Mais, d'après ce que j'ai entendu dire, le type en rouge était un espion, pour savoir si la Chef était bien là...

Marina
Il faisait chaud et vous m'avez cassé une côte bande d'idiots !

Bloom
Rien ne laissait présager une telle opération, une telle chose... Vraiment, aujourd'hui encore, j'en suis abasourdi... Non seulement c'est terrible pour l'établissement, on va peut être rester fermés quelques temps, jusqu'à ce qu'on trouve un remplaçant, vous comprenez, mais c'est aussi terrible pour nous, parce que, plus qu'une collègue, c'est une amie qu'on est en train de perde.

6. Un message pour Marina ?

Franck
Non.

Milène
On est tous avec toi ma Chef préférée ! On te rendra visite dès qu'on pourra, t'inquiète pas, on sera avec toi ! Et, quelque chose de plus personnel.... T'en as tué combien ?

Laurent
Aller, t'inquiète pas, c'est sûrement une erreur judiciaire de toute façon... Une femme comme toi, franchement... Tiens le coup !

Marjolaine
T'va nous manquer ma grande, j'sais pas quoi dire d'autre !

Karl
Adieu ma très chère cuisinière adorée, vous resterez dans nos coeurs à tous, soyez-en sûre !

Bloom
Je veux juste dire que... Tu vas nous manquer... On viendra te voir, bon courage...

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