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Chronique de l'anneau d'hiver : Chronique de l'anneau d'hiver - Chapitre 6

Le repos du guerrier
Mirabar





La plaine s'étendait aussi loin que mon regard portait, l'herbe verte ondulait par vague au gré de la légère brise qui aérait la région. Le ciel était comme toujours d'un gris bleu uni et de temps à autre des portails s'y ouvraient, laissant passer diverses créatures ailées, tantôt anges, tantôt démons ; les messagers des dieux venant chercher les fidèles pour les emmener dans leur dernière demeure. Des gens erraient sur cette immense plaine mais aucun son ne semblait se propager en ce lieu. Une sérénité toute naturelle émanait de cet environnement, le genre de paix qu'on ne ressent que lorsqu'on a quitté le monde des vivants. Comme à mon habitude je me dirigeai vers les quelques bâtiments de couleurs blanc cassé qui étaient regroupés autour d'une fontaine à quelques centaines de mètres de là. Six personnes s'y trouvaient, quatre humains étaient en compagnie de deux êtres plus larges, trapus et portant de grosses armures, sans doute des nains. Je m'étais assez approché d'eux aussi j'allais leur signaler ma présence, me concentrant pour me focaliser sur leurs esprits pour les saluer, quand l'espace face à moi scintilla pendant un cours instant et ensuite, un cercle à la surface ondulante et miroitante, de couleur bleue, se forma. A travers le portail, le visage ridé d'une dame d'un certain âge apparut.
- Mère Aiola, quelle surprise ! Je suppose que c'est pour moi que vous êtes là ?
- Exact vaillant gnome, tes amis souhaitent ardemment te revoir.
- Permettez-moi d'en douter quelque peu, mais bon, en route.

Elle se retira du passage et je m'y engageai. Aussitôt, je sentis mon corps subir une pression implacable, se faire étirer dans tous les sens, les os se faisant broyer par cette force surnaturelle. La douleur était atroce et m'arrachait des cris à n'en plus finir. Et aussi soudainement qu'elle était apparue, la souffrance s'en alla et j'eus l'impression d'être dans un monde de coton, tout n'étant que douceur et quiétude. Je me risquai à ouvrir les yeux et je constatai que j'étais dans une pièce à la décoration sommaire mais aux tons reposants. Je gisais dans un lit confortable et à mon chevet se tenait Mère Aiola, les yeux fermés et les traits tirés par l'immense effort qu'elle fournissait pour me ressouder les os, retendre les muscles et recoller les bouts de chair. Elle fit son maximum pour remettre un peu d'ordre dans ce corps brisé par une chute des plus vertigineuse, mais lorsqu'elle arrêta, je sentis encore de nombreuses zones douloureuses. Lorsqu'elle ouvrit les paupières, elle eut un sourire de contentement en voyant le travail accompli, ensuite elle posa sa main gauche sur mon crâne tout en se remettant à prier.
- Dors vaillant gnome, tu en as grandement besoin. Je sentis la torpeur me gagner et j'acceptai à bras ouverts le sommeil réparateur.

***



- Quelle heure est-il ?
- Bientôt midi, et cela fait deux jours que tu es revenu parmi nous Zouran. Me répondit une voix peu assurée mais fort mélodieuse.
Je me mis sur le dos mais bien trop vivement, et une abominable douleur se propagea dans mon corps, la vague remontant rapidement le long de ma colonne vertébrale et vint éclater dans l'arrière du crâne. Je crois que je n'ai, aujourd'hui encore, jamais crié aussi fort.
- Non ne bouge pas, tu as encore le bassin brisé et de nombreuses autres lésions. Il te faudra encore des soins particuliers et quelques jours de repos.
- Quelles bonnes nouvelles m'apportes-tu là mon ami elfe ! C'est bon d'être réconforté ainsi. Lui dis-je en tentant de sourire malgré la douleur ce qui ma foi était bien difficile. Tu sais ce qui est le plus pénible quand on revient de là-bas ? C'est l'attente... Attendre de pouvoir à nouveau bouger, incanter et faire des conneries.
- Au moins, ça te permettra de faire le point, de réfléchir à ta vie et ce genre de choses.
- Je te vois venir là mon lascar, tu vas encore me reprocher d'être mort.
- Mais non voyons.
- Allez ça va, arrête ton cirque, je t'ai démasqué. Bon, cessons ce petit jeu. Tu as profité de ton temps libre pour te renseigner d'avantage sur ce maudit anneau ?
- Je n'ai pas encore de nouveaux renseignements, mais ce soir je devrais recevoir de quoi l'identifier.
- Tu veux dire qu'il est...
- Oui, me coupa l'elfe. Nous l'avons récupéré, et ces deux prêtres de malheur ne sont pas près de revenir nous ennuyer. En ce moment, c'est Conrad qui est en possession de l'anneau.
- Magnifique, enfin une bonne nouvelle, articulai-je en baillant. Bon, tu m'excuses mais je sens que je vais replonger. Et je posai la tête sur l'oreiller, m'endormant quasi instantanément.

***



Balkoth, sans son armure, Conrad et Tanator prenaient leur dîner dans la cantine du temple de Chauntéa, pièce d'une trentaine de mètres sur vingt. Leurs vêtements avaient encore les traces du dur labeur de ces six derniers jours. Ils avaient décidé d'à nouveau aider Mirabar en la remettant en état après les ravages commis par l'alliance d'Alarkan et de Kel'Syrtas. Ce matin, je les avais observés depuis la fenêtre de ma chambre au premier étage et j'avais pu voir qu'ils mettaient tout leur coeur à la tâche.

Conrad allait se resservir du potage quand après un léger claquement sonore, deux hommes, l'un recouvert des pieds à la tête par une armure noire, hérissée de piques, l'autre emmitouflé dans une épaisse robe blanche à collerette bleu pâle, la robe arborant le symbole d'Auril, apparurent à une dizaine de pas en face d'eux. La réaction ne se fit pas attendre dans les rangs de mes amis. Balkoth avait renversé la table et sauté par-dessus, s'élançant vers les ennemis armés de son couteau, suivi de près par Conrad, armé de sa chaise alors que Tanator avait plongé à l'abri derrière la table. Alarkan éclata de rire alors que Balkoth se rapprochait dangereusement de Kel'Syrtas et lorsque le chevalier allait lui porter un premier coup de son arme improvisée, les deux intrus disparurent en un éclair.

Je ne pus me contenir plus longtemps et éclatai de rire, révélant ainsi ma présence aux trois autres.
- ZOURAN ! ! S'écrièrent-ils lorsque j'émergeai de ma cachette, dans le buffet.
- Laissez-moi le tuer ! Rugit Balkoth en courant vers moi et tendant un bras pour m'empoigner.
Je me laissai attraper sans trop broncher. Il me souleva et porta mes yeux à hauteur des siens, me fixant d'un sombre regard. Conrad, lui, riait de bon coeur et Tanator avait l'air lui aussi d'avoir apprécié ma petite farce. Sentant qu'il n'était pas appuyé par les deux autres, Balkoth me lâcha négligemment, me faisant rudement atterrir sur le sol, et s'en alla redresser la table puis quitta la pièce, cela sous le regard hilare de Conrad et Tanator.
- Il va revenir d'ici dix minutes quand il aura compris qu'il n'y avait rien de bien méchant. En tout cas, ton retour parmi nous restera mémorable. Bon, viens t'asseoir, nous avons à parler.
- Oui, j'espère que vous avez un peu avancé dans les recherches. Lui répondis-je tout en prenant place à table.
- Tu ne crois pas si bien dire. Déclara Conrad, le visage empli de satisfaction. Au cours de quelques discussions avec des créatures d'autres plans, j'ai pu découvrir différentes choses sur l'anneau, notamment que son porteur devient immortel, enfin il ne vieillit plus et les maladies ne l'affectent plus.
J'avais l'impression que Conrad allait bondir de sa chaise tellement il paraissait excité.
- Mais quel en est le prix à payer ? Demandai-je afin de tenter de calmer le druide.
- Il semblerait qu'il cause un dérèglement du climat partout où il passe, y amenant un hiver permanent pour être exact. Précisa Tanator.
- C'est pour cela que nous devons le détruire ! ! Explosa Conrad. Un tel objet est une réelle menace pour le monde, c'est une abomination pour la planète, seul un esprit dément à pu engendrer pareille création. Nous devons réunir nos talents afin de remédier aux dégâts qu'il a déjà causés par sa simple présence en cette région. Vous avez tout comme moi constaté que les animaux étaient quasiment absents de la forêt, cet anneau sème la mort et la désolation !
- Hum, et tu as bien entendu une solution aisée à nous soumettre.
- Je n'ai jamais dit qu'il serait facile d'atteindre notre but Zouran.
- NOTRE but ? Souligna Tanator. Cette discussion n'a t'elle pas justement pour but de déterminer si oui ou non nous allons agir d'avantage ?
- Et bien, j'estime qu'il est de notre devoir de nous assurer de sa destruction.
- Dis-moi, quand t'ai-je donné les rênes de ma vie Conrad ?
- Pardon Zouran ? Je ... je n'ai pas compris.
- Ca ne m'étonne pas... Bon, je désire savoir depuis quand tu décides de ce que JE dois faire. Il eut l'air quelque peu dérouté mais se reprit très vite.
- Et bien, depuis que nous avons sorti l'Anneau de cette grotte, notre destin s'y est lié.
- Et si je décidais simplement de le remettre dans la grotte ?
- Ce serait une chose tout à fait irresponsable. Tu as bien vu que ces deux clergés le désirent ! Nous ne pouvons le laisser comme cela, si tu veux le remettre dans la grotte, dis-moi pourquoi t'es-tu battu, pourquoi es-tu mort à Mirabar ?
- Tu es convaincu toi Tan' ?
- On peut dire qu'il n'a pas tout à fait tort.
- Pas comme toi ! Lui dis-je en souriant.
- Quoi ?
- Rien rien, une connerie. Il n'a pas tort, pas comme toi, donc tu as tort, Tan' a tort, bêtise je te disais donc.
- Oulala, tu as encore besoin de repos je pense. Bon je reprends. Tu n'as pas entièrement tort mais tu oublies quelques détails, car pour moi, l'aventure pourrait être intéressante.
- Pour moi, ce sera certainement l'occasion d'en apprendre plus dans le domaine des artefacts, puisque c'est de cela qu'il s'agit, et une aventure passionnante s'offrant ainsi à nous, pourquoi la refuser ? Oh bien entendu « sauver l'équilibre » peut être une excuse valable pour s'occuper de l'anneau mais bon, ce n'est pas cet aspect là qui me motive le plus.
- Reste plus qu'à avoir l'avis de Balkoth alors, je m'en vais le lui demander.
Alors que Conrad s'en allait quérir le râleur, Tanator me tendit un petit objet, une sorte de broche en cuivre rehaussée de dessins dorés.
- Tiens, c'est pour toi.
- C'est pas moche, mais pourquoi me donnes-tu cela ?
- Tu as aussi droit à ta part du butin, ça appartenait à Alarkan. Je me suis dis qu'un objet annulant les projectiles magiques te ferait plaisir.
- Oh ? Merci beaucoup.
Conrad revint quelques minutes plus tard, un sourire radieux illuminant son visage.
- Balkoth était d'abord réticent, mais à force de lui parler du danger que représente un tel objet, il a accepté de nous accompagner dans notre quête.
- Merci Conrad, j'allais justement révéler à Zouran ce que nous avons apprit d'autres sur l'Anneau.
- Oui, assieds-toi vite s'il te plait, ça m'intéresse.
- Donc, l'identification m'a apprit les différents pouvoirs de l'Anneau, tu vas voir, ce n'est pas rien. Tout d'abord, il a des pouvoirs constants. Une fois qu'il l'a au doigt, le porteur devient immortel, comme l'a dit Conrad un peu plus tôt, mais également immunisé au froid et à la chaleur, que ce soit à cause d'effet magique ou non. Il semblerait qu'on puisse se déplacer dans le plan de la glace sans problème avec ce truc au doigt et les élémentaux de glace qu'on convoque lorsqu'on est muni de l'Anneau ne se révoltent pas. Ensuite, les pouvoirs qu'on peut activer. Une fois par jour, on peut lancer un cône de froid particulièrement puissant, apparemment de l'ordre du double de la version d'un mage. Une tempête glaciale ou un mur de glace, d'une intensité égale à celle qu'aurait le sort d'un mage ayant accès à la septième arcane. Toutes les semaines, il serait capable de générer un rayon de froid absolu, ce qui tuerait la cible instantanément, je pense que c'est ce que tu as eu Zouran.
- Sauf qu'il ne m'a pas tué, c'est la chute qui m'a... enfin soit, continue.
- Donc, un rayon de zéro absolu, il permet aussi de faire une convocation du climat, mais du genre que ferait un druide hiérophante et également une sphère glaciale d'Otikule. Et attends, maintenant le pire. A chaque utilisation d'un de ces pouvoirs, il y'a des chances de déclencher une sorte de blizzard, qui durerait entre douze et vingt heures, avec une neige particulièrement résistante puisqu'elle ne fondrait pas sous les vingt degrés. Et par sa simple présence, il abaisse la température à cinq degrés sous zéro en permanence, les seules formes de précipitations seraient de la grêle ou de la neige. Si on reste plus d'un jour sur place, il abaisse encore la température de cinq degrés par jour.
J'étais atterré par la monstruosité que contenait ce petit anneau.
- Comment un simple anneau peut-il être aussi maléfique ? C'est effrayant. Imaginez le pouvoir de celui qui l'a crée ! ! Et tu as une idée pour la destruction de cette abomination ?
- Pas la moindre...
- Et bien, Conrad, j'ai une idée.
- Ah bon ? Quoi donc ?
- Si on s'occupait de ta malédiction avant l'Anneau ? Ca nous permettra d'y voir plus clair mais également de nous faire un peu d'argent, la quête de l'Anneau risque de nous coûter cher.
- Oh oui, c'est juste, je l'avais oubliée cette malédiction ! Et bien, va pour Kemalok la perdue.
- Et toi Tanator ? Toujours partant pour la ville des nains ?
- Ca me va, bien entendu, allons un peu voir comment vivaient ces pouilleux court sur pattes.
- Merci pour le « court sur patte »...
- Mais toi tu n'es pas un pouilleux.
- C'est juste, merci.
- Une ville de nain ? Ca fait de bonnes haches un nain, alors imaginez ce qu'on peut trouver dans toute une ville de nains ! Je viens aussi !
- Tiens, voilà Balkoth, excuse-moi pour tantôt, je ne pensais pas que ça aurait pu te mettre de mauvais poil.
- Je te pardonnerai si tu me conduis à cette ville.
- Et bien, départ après-demain aux petites heures, cela vous convient-il ? Je devrais être entièrement remis d'ici là.
- Pas de problème pour nous, nous terminons nos travaux ce soir. D'ailleurs il va être temps de rejoindre le frère Oskir derrière, il va finir par s'impatienter.
Joignant le geste à la parole, Conrad et Tanator se levèrent et rejoignirent Balkoth dans le couloir.
- Attendez-moi, je dois aller voir la Mère supérieure.
Nous déambulâmes dans les couloirs une bonne minute, le temple n'étant pas très grand, et après avoir poussé une porte en bois, nous débouchâmes dans une sorte de pièce servant de vestiaire, les murs étant recouverts de long et épais manteaux en laine. Conrad farfouilla un peu et me tendit finalement un manteau plus adapté à ma taille alors que les autres avaient déjà enfilé les leurs.
- Mets le, il y a pas mal de neige aujourd'hui.
- Ca devrait aller, j'ai beaucoup dormi, je me sens prêt à affronter la Tarasque.
- Espérons qu'on ne la croise pas aujourd'hui, j'ai oublié mon bouclier. Gloussa le druide.
Et c'est dans la bonne humeur que nous sortîmes. La neige tombait paisiblement mais à gros flocons, le sol en étant recouvert à perte de vue. Nous longeâmes le temple part la gauche et lorsque nous tournâmes le coin, je vis un champ totalement dénué de neige où un homme, vêtu pareillement à mes amis, assis en tailleur, semblait être en transe. Nous entendant arriver, il se releva et vint à notre rencontre.
- Bonjour Messire Zouran, je suis content de vous voir à nouveau debout. Je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait pour notre ville. Si je puis un jour vous être utile, n'hésitez pas à me le faire savoir.
- Et bien vous allez pouvoir m'aider bien plus vite que vous ne le pensez, j'aimerais savoir où trouver Mère Aiola.
- Elle est en train de déblayer le champ ouest, de l'autre côté du temple.
- Merci à vous, bonne journée. Les gars, à plus tard, et bon boulot.
Je pris congé de mes amis et me rendis de l'autre côté du temple, où se trouvait un champ identique au premier. Je trouvai la mère supérieure sur le dit champ, en train d'y semer, à une quarantaine de mètres de moi.
- Excusez-moi, avez-vous un instant à m'accorder ? Lui criai-je.
- Mais bien entendu, dit-elle après m'avoir reconnu. Elle vint à ma rencontre et déposa le panier qu'elle tenait en main.
- Bonjour mon cher Zouran, vous avez l'air de vous être bien remis. je suis heureuse de vous voir ainsi.
- Et moi donc ! Je suis venu vous remercier pour vos soins qui se sont révélés extrêmement efficaces. Sept jours de repos et me revoici presque entièrement remis de cette chute.
- Mais c'est tout à fait naturel voyons, nous vous devions bien cela après tant d'efforts pour notre petite ville. Voyez en votre rétablissement le remerciement d'une communauté de simples gens qui ont bien failli tout perdre.
- Je, hum, je ne sais pas trop comment vous dire cela. C'est plutôt gênant voyez-vous.
- Et bien, à quel sujet est-ce ?
- Est-ce que je dois donner quelque chose au temple ? Lui demandai-je timidement. Je sentis mon visage s'empourprer, la chaleur me montant aux joues.
- Si vous le désirez, tout don est le bienvenu, mais ce n'est pas du tout obligatoire car, comme je vous l'ai dit, c'est un échange de service.
- D'accord, merci pour cette réponse, je vais vous laisser travailler maintenant, encore merci, à ce soir pour le souper.
Je la laissai retourner à son semis et retournai dans ma chambre. Pour tuer le temps, je sortis ma dernière pierre non taillée et me mis à la tâche, il allait falloir créer un petit bijou en remerciement de l'accueil. C'était un petit héliotrope jaune tirant sur l'orange d'une pureté rare. Je m'installai à la petite table qui occupait un coin de ma cellule, allumai la lampe à huile et commençai à réfléchir aux parties à modifier. Le temps passa et j'entamai enfin le travail. Par petits coups successifs, je travaillais la pierre afin d'éliminer les parties moins nettes et de faire ressortir ses formes les plus belles. Le temps passait et la pierre prenait forme quand on vint frapper à ma porte.
- Oui ?
- Zouran, tu ne viens pas manger ?
- Conrad ? Mais entre seulement.
- Ah ok, t'es occupé, tu veux que je monte ton dîner ?
- Non c'est bon, je viens. Je n'ai pas vu le temps passer. Ca doit bien faire six heures que je suis sur cette pierre, manger un bout me fera du bien.
Je rangeai outils et pierre dans ma poche et suivis le druide.

Nous arrivâmes assez vite à la cantine, j'avais finalement l'estomac dans les talons et j'avais fait presser le pas à Conrad. Lorsqu'il poussa la porte de la cantine, je découvris Tanator dégustant une assiette d'un rôti accompagné de feuilles de salades tandis que Balkoth était déjà en train de dévorer la pomme du dessert.
- C'est gentil de m'avoir attendu.
- Tiens, un gnome, t'es pas mort ?
- Non Balkoth, désolé, je ne te ferai pas ce plaisir avant quelques jours je le crains.
- Mais peut-être daigneras-tu tout de même m'en dire plus sur cette cité naine alors ?
- Ca, je peux oui, mais tu permets que je m'installe et me serve une assiette ?
- Bien entendu, prends place.
Conrad ayant finit son repas se chargea de me confectionner une assiette alors que j'allais me laver les mains.
Je mangeai un peu histoire de calmer ma faim et de faire patienter le guerrier. Ses yeux bruns me regardaient fixement, pas le moindre de mes mouvements ne semblait lui échapper. Quel être étrange tout de même ce Balkoth, jamais le sourire, à croire que sa présence parmi nous l'ennuyait.
- Bon, que désires-tu savoir exactement sur Kemalok ?
- Et bien, commence peut-être par le début, où se situe cette ville ?
- A la source de la rivière qui coule au nord de Mirabar.
- Ah oui ? Et comment peux-tu en être aussi sûr ?
- Nous étions, il y a peu encore, en compagnie d'un nain dont la famille a vécu là-bas, il y'a pas mal d'années de cela. Il nous a lancé dans le projet de retrouver la ville de ses ancêtres aussi avons-nous fait pas mal de recherches pour en arriver à ces conclusions. Elle a été assaillie il y'a près de quatre cents ans de ça et n'a pas survécue à l'assaut. Depuis, plus personne n'y a mis les pieds puisque, selon la légende, les portes ont été scellées. C'était une ville réputée pour la qualité de ses armes et le sérieux de ses commerçants, il y a donc de fortes chances de trouver pas mal de matériel. Cela te convient comme mise en bouche ?
- Ca me semble pas mal oui.
- Et bien attend la suite alors. Conrad, ainsi que quatre autres personnes, ont été maudits par un puissant mage, et ils le seront tant qu'ils n'auront pas ramené un certain objet qui se trouve dans cette cité. Nous risquons donc de rencontrer du monde dans les environs de la cité. Et pas forcement des amis, car Markalor, le mage dont je t'ai parlé, offre souvent de bien belles récompenses, il se peut donc que les autres maudits n'aient pas envie de partager avec nous.
- Ca m'a l'air bien complexe tout cela.
- Tu l'as dit.
- Mais Zouran, tu penses que Markalor m'ôtera vraiment la malédiction ?
- Oui, à mon avis il tente de rester discret. Alors il ne prendra pas le risque de se faire des ennemis.

Le repas se termina paisiblement, Balkoth ayant l'esprit ailleurs, sans doute déjà en train de penser à ce que nous allions trouver dans ces ruines. Je finis mon repas avant Tanator, Conrad et Balkoth discutant de leurs aventures passées et les laissai là, m'en allant terminer le travail de joaillerie dans ma chambrée.

***



- Itakarpacondriax ! A ces mots je m'éveillai. Encore cette vision, je m'en rappelais maintenant. Cette scène, avec cet obélisque dans une clairière sombre, je l'avais déjà vue quelque part, mais où ? Rapidement, quelqu'un vint frapper à ma porte.
- Zouran ? Zouran tout va bien ? C'était la voix de Tanator, il ne dormait donc jamais ?
- Je... je crois bien qu'oui, j'ai fais un rêve un peu mouvementé, mais c'est bon maintenant, tu peux te recoucher.
- D'accord, à tantôt, tâche d'être en forme. Je l'entendis s'en aller d'un pas léger, quasi imperceptible. Je replongeai sous ma couverture et tentai de mettre un peu d'ordre dans mes idées. Une clairière dans un bois sombre et dense de feuillus, avec un obélisque en plein milieu, en roche grise incrustée de multiples joyaux. Qu'étais-ce donc ? Et ce nom, gravé dans une plaque en métal bleu-vert : « Itakarpacondriax », où avais-je déjà vu cela, car j'en étais certain, je l'avais déjà vu. J'étais plongé dans mes réflexions et je ne remarquai pas une masse se faufiler dans ma chambre, jusqu'à mon lit. Mais lorsque la chose bondit sur mon lit, je ne manquai pas de le constater. Je voyais une forme d'une trentaine de centimètres de haut, un chien apparemment... J'étais comme figé par l'étonnement.
- Bonjour Zouran, dit-il d'une voix grave au débit lent et posé. Je fis des yeux ronds et me donnai une claque !
- Mais c'est quoi ce délire ! Faut que j'arrête de manger avant de dormir moi.
- Tu ne rêves pas Zouran, je suis bien sur ton lit en train de parler. Tu m'as appelé il y a quelques jours, me voici enfin.
- Que...qu'entends-tu par « appelé » ? ? Et d'abord, comment ça se fait que tu parles ?
- Et bien je serai ton suivant, un familier si tu préfères, il semblerait qu'un de tes derniers sorts en soit la cause. Et pour répondre à ta seconde question, je pourrais bien te demander comment cela se fait-il que tu parles également !
- Mais je n'ai jamais lancé de sort pour avoir un fami... Sur ce, je compris.
- Exactement, un hiatus causé par ton talent d'entropiste m'a fait venir à toi. Et je pense que tu ne seras pas déçu, je te serai d'un grand secours.
- Que veux-tu dire par-là ?
- Disons que je pourrais t'accorder certains de tes désirs. Je restai sans voix à la suite de cette révélation. Et je me nomme Itacarpacondriax, mais je préfère Shirley, c'est plus discret et passe-partout
Je devais vraiment avoir l'air bête avec ma bouche grande ouverte et mes yeux exorbités. Après quelques secondes d'un silence de mort, le chien se mit en boule sur le lit et sembla s'assoupir. Je tentai de faire la même chose mais le sommeil ne vint pas, tant de choses se bousculaient dans ma tête. Finalement, sans m'en rendre compte, je glissai dans un sommeil réparateur.

***



L'heure du départ était arrivée, nous étions dans le hall d'entrée du temple. Conrad était arrivé le dernier, il était encore en train de prier lorsque j'étais passé le prendre dans sa chambre pour le départ. La veille, j'étais allé m'acheter de nouveaux vêtements, les précédents étant quelque peu abîmés par des mois de vagabondages et d'aventures. J'avais déniché une paire de godillots dans une boutique pour enfants et demandé au cordonnier d'y faire quelques retouches afin de les adapter à mes pieds gnomiques. C'était des chausses en cuir noir épais mais souple, l'idéal pour voyager dans des contrées montagneuses et enneigées. J'avais conservé ma vieille robe de mage mais j'avais une nouvelle cape par-dessus, rougeâtre à bord doré. Elle me descendait jusqu'à l'arrière des genoux et pourtant c'était le plus petit modèle dont disposait la vendeuse. J'avais aussi acquis quelques affaires chaudes à passer par-dessous ma robe dont un magnifique bonnet à pompon bleu ciel, de quoi pouvoir être repéré par mes amis en cas de chute dans la neige. Fil de Lune pendait le long de ma jambe droite et la nimbait de sa lumière blanche laiteuse, mon bâton étant accroché dans le dos, à côté du sac. Et mon chien était là, couché à mes côtés. Balkoth et Tanator furent étonnés en le voyant et ils m'expliquèrent comment ils l'avaient rencontrés lors du combat contre Alarkan et Kel'Syrtas. A son arrivée, Conrad fut heureux de voir la bestiole, et c'est le coeur léger que nous repartîmes vers l'aventure.

***



La neige ne tombait plus, mais elle n'en maculait pas moins le moindre espace exposé aux caprices du ciel. L'agglomération de Mirabar, avec ses maisons en bois de hêtre aux toits de chaumes pour la plupart, n'en devenait que plus rustique. Le ciel où d'épais nuages blancs côtoyaient de plus sombres nimbus, était bien plus clément que lors des semaines précédentes et depuis deux jours, le vent avait enfin daigné arrêter de souffler. Au loin, la forêt commençait à émerger de la brume, les hauts sapins étaient couverts de neige en leurs sommets. Le chemin y menait en ligne droite mais Conrad, toujours en tête de notre groupe, obliqua de manière à la longer par la droite, afin de trouver plus facilement la rivière dont la source nous permettrait d'arriver à cette cité disparue. Nous avancions lentement afin de ne pas nous prendre les pieds dans un nid de poule ou dans tout autre danger masqué par la neige, mais surtout pour nous permettre, à Shirley et moi, de suivre le groupe. La marche permettait de rester au chaud aussi tentions-nous de ne pas trop souvent nous arrêter. Après deux heures à marcher vers l'est, la lisère de la forêt avait replongée vers le nord, nous révélant ainsi le cours d'eau, recouvert par une fine couche de glace, à quelques centaines de mètres de nous.
- Je suggère qu'on fasse notre première pause ici, il ne doit pas être loin de treize heures et cette balade m'a donné grand faim.
- Pourquoi pas, je suis plutôt de l'avis de Balkoth, et je dois bien avouer que suivre vos grandes enjambées, en pareille circonstance, est chose bien pénible.
- Et bien soit, je vais aller débusquer de quoi réchauffer nos membres et notre repas. Et Tanator s'en alla chercher quelques branches d'arbres.
Après un repas revitalisant à bases de légumes d'hiver et de viande de chevreuil rôtie, nous reprîmes la route, longeant la rivière sur sa rive gauche.

La rivière s'était enfoncée dans la forêt depuis trois bonnes heures maintenant et la végétation s'épaississait toujours plus, ralentissant d'avantage notre progression. Peu de neige avait percé jusqu'au sol mais les buissons de houx, les champs de ronces et les racines s'entremêlaient pour notre plus grand malheur. La rive était également impraticable, la rivière étant au fond d'une ravine des plus verticale.
- Cette partie de la forêt semble être rarement visitée, mais je crains que nous ne soyons pas encore assez remontés vers le nord. Je suggère que dans une heure environ nous nous arrêtions afin d'avoir une bonne nuit de repos car la route de demain risque d'être longue et difficile.
- Ainsi soit-il Conrad, le gnome t'en remerciera certainement quand il nous aura rejoint, il est à la traîne avec son bête chien.
- C'est gentil de nous le faire remarquer Tan', je l'avais oublié.
- Moi pas, soupira Balkoth.
- Je n'aime pas ce que je ressens, dit soudainement Conrad, l'esprit ailleurs. On dirait que ces lieux... ces lieux sont...
- Ces lieux sont quoi ? Demanda brusquement Balkoth. T'en as pas assez de jouer au shaman de pacotille ?
- Soit, tu ne remarques pas qu'il manque quelque chose ?
- Et bien à part mon cheval je ne vois pas. Jamais plus j'en aurai un comme lui...
- Tu n'es pas loin, cherche encore.
- Je n'aime pas les jeux druidiques alors dis-moi quoi, histoire qu'on en finisse, fit-il d'une voix lasse.
- Les animaux ! Il n'y en a plus aucun dans les environs.
- Normal, avec tout le boucan que notre ami Balkoth fait avec son imposante armure...
- Te voilà Zouran. Pour en revenir à mon problème, il semble vraiment ne plus y avoir d'animaux dans cette forêt.
- Sans doute l'Anneau les aura-t'il effrayés. On dirait que toute la région est sous l'emprise du froid.
- Je pense la même chose que toi Tan' et ça m'inquiète beaucoup. Il y aura pas mal de boulot pour remettre cette région en état.
- Merci d'avoir attendu les gars. Et j'ai également remarqué que les animaux semblaient avoir déserté les lieux, je n'ai pas remarqué d'animaux à part ce vieux blaireau.
- Un blaireau ? Quand ça ?
- La fois où nous avons dormis dans un terrier. Un blaireau nous à rejoint dans le courant de la journée afin de se reposer.
- T'aurais pu me le dire !
- Mais il était au bout du terrier, je ne pouvais pas savoir que tu étais aussi malvoyant que ça !
- Et bien ce blaireau porte à trente-huit le nombre d'animaux que j'ai répertorié depuis que j'ère dans la région. Et trente-huit animaux pour toute une forêt, ce n'est vraiment pas grand chose...
- Désolé pour tes petites bêtes, mais y'en a un ici qui ne tient plus en place, on y va oui ? On sentait l'impatience pointer dans sa voix. Balkoth devait vraiment en avoir assez d'attendre que Conrad se décide à reprendre la marche.
- Oui on parlera de ça ce soir alors. Et le druide reprit la tête de l'expédition.

La forêt commençait à imprégner mes vêtements de ses odeurs de pins verts, de sève et une vague odeur de feu de bois nous accompagnait sans cesse. Le bruit des pas dans la neige, une sorte de léger couinement grave, berçait mes oreilles. Et c'est en rêvassant que je me retrouvai d'un coup dans une clairière. Passé la seconde d'étonnement, je jetai un rapide coup d'oeil circulaire. Tout autour de moi, la forêt, sombre et paisible. Devant moi, mes amis, tout étonnés également, regardaient la rivière : ici semblait se joindre deux confluents, l'un venant du nord-est, l'autre tournant vers l'ouest.
- C'était pas prévu ça, nous dit Conrad, l'air déconcerté.
- T'inquiète pas, j'ai une solution à te proposer.
- C'est le moment de camper, suggéra Tanator, déjà en train de ramasser du bois.

Zouran

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