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Interviews : Interview Kara

Interview réalisée lors de Japan Expo 2007 (lire le compte-rendu).

Rencontre avec Kara : un long entretien passionnant avec un auteur passionné !

yadana, pour TSD : Est-ce que tu peux te présenter rapidement ?

Kara: Je suis Kara. Ce n'est pas mon vrai nom, mais mon pseudonyme. Je suis auteur chez Soleil. J'ai sorti actuellement deux bandes dessinées, Gabrielle et Le Miroir des Alices en deux volumes. Le 25 juillet [2007] sort mon quatrième album et ma troisième série, à savoir Le Bleu du Ciel, qui est prévue normalement en trois volumes.

Petit à petit, tu augmentes le nombre de volumes...

Oui, c'est selon mon assurance et mon expérience. Pour Le Miroir des Alices par exemple, je devais faire trois volumes, mais je sortais de Gabrielle, j'étais épuisé. J'avais mis trois ans sur cet album. Je me suis dit « je préfère faire deux albums de qualité plutôt que trois de qualité un peu aléatoire ». Là, je me sens effectivement plus apte à faire trois albums.
BodoiJe suis également rédacteur pigiste pour le magazine Bodoï, où je fais tous les mois des chroniques manga. J'adore ce job parce que je suis payé pour dire ce que j'aime. Et ça franchement, c'est fabuleux. Je fais aussi de temps en temps des articles pour Animeland sur des séries télé. Mon dernier article, c'était sur la série télé Ikkitôsen Dragon Destiny, une série baston qui renouvelle les clichés du genre mais qui n'oublie pas de caresser la libido du téléspectateur masculin.
Je suis en fait des deux côtés de la barrière. C'est ça qui est intéressant. Je suis aussi bien du côté des critiques que du côté des auteurs. Tout en sachant que déontologiquement je préfère uniquement parler de manga, parce que si je commence à chroniquer des collègues... Mais bon, je pense être quelqu'un de très gentil. Généralement, quand je n'aime pas quelque chose, je n'en parle pas, ou alors de manière très diplomate, parce que je n'ai pas beaucoup de place dans les magazines, donc on garde vraiment la place pour les trucs qu'on aime bien.

De toute façon, à la base c'est pour donner envie de lire.

Oui, on partage un plaisir. Pour moi, une passion non partagée n'est pas une passion. Il n'y à rien de tel qui m'emmerde que, par exemple, d'aller au cinéma tout seul, parce que si je n'ai pas un pote avec qui discuter à la sortie, je cafarde. Surtout si le film est super bon (ou même mauvais car on peut aussi se marrer à regarder un bon nanar). Ca me donne presque envie d'accoster les gens en leur disant « alors vous avez aimé ? ».

Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours en tant qu'auteur de BD ? Est-ce que ça a été facile d'être édité ?

Oui et non. C'est assez paradoxal en fait. Au départ, je me destinais au dessin animé. Parce que je voulais faire plusieurs métiers. Je voulais faire réalisateur, acteur, dessinateur de BD, enfin plein de trucs quoi. En tout cas, quelque chose dans le domaine artistique. Là, je te parle de quand j'étais gamin. Et en fait, je me suis dit « mais le dessin animé, finalement, ça réunit tout ça » ! J'ai donc passé différents concours, et je suis rentré aux Gobelins mais en tant que story-boardeur. Et en fait, il s'est passé un truc bizarre. Le story-board m'intéressait, mais j'ai eu la révélation si j'ose dire pour le domaine dit de la décoration ! Attention, pas de la décoration intérieure, je parle de faire des décors pour le dessin animé ou le cinéma. Or avant, je détestais ça ! Le simple fait de faire un bête mur de briques me donnait de l'urticaire ! Et là, je sais pas, le déclic ! Donc je fais énormément de décors dans mes bandes dessinées.

Réalités - extrait

Lorsque j'ai débarqué il y a une dizaine d'années dans le milieu du dessin animé en France, ce n'était pas « aussi » riche qu'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'on était encore soit dans des productions très gamines, soit dans des productions trip d'auteur. J'en ai fait d'ailleurs, et je suis parfois tombé sur des projets très sympas mais assez éloignés de ce que je recherchais comme faire des productions de SF ou d'aventures. Au bout d'un moment, je me suis orienté tout naturellement vers la bande dessinée qui était encore un moyen de liberté et d'expression sans « contraintes budgétaires ». A l'époque, la bande dessinée était relativement en crise, les premières vagues massives de manga n'étaient pas encore arrivées. Enfin bon, y avait Akira, Dragon Ball... mais bon la BD s'adressait soit là encore à des gamins, soit à un public adulte parfois très pointu (il en faut, pourquoi pas !). Mais pour le public ado, il y avait un terrain encore à défricher.

Ce n'était pas encore aussi installé que maintenant.

Non, rien à voir. Y avait quoi, cinq manga qui sortaient par mois, et encore, je suis très généreux, quand ils arrivaient à tenir les périodicités. Donc je me suis lancé là-dedans. Premier éditeur, Pointe Noire.

Oui, pour Gabrielle.

Voilà, pour Gabrielle. En fait, au départ, je travaillais pour eux occasionnellement et j'ai fait une petite histoire courte qu'on peut encore trouver dans les solderies je pense, mais qui était dans un album collectif qui s'appelait, ah mince alors, j'ai oublié le nom... Et mon éditeur disait « ah ce serait sympa si tu en faisais un album », donc je l'ai fait. Ensuite, c'est Soleil qui m'a appelé pour Le Miroir des Alices, enfin, pour me proposer de travailler pour eux. Donc je n'ai pas fait beaucoup de démarches auprès des éditeurs à la base, je n'ai pas réellement galéré au point de manger de « la vache enragée ». J'ai eu « du bol ». Je touche du bois à ce niveau-là [il tapote la table], bon pas trop parce que je vais faire grésiller le micro.
Beaucoup de gens disent « Soleil, c'est des méchants, c'est des pas beaux, c'est des vilains tout ça », qu'on a un manque de liberté par rapport à la création, enfin ce genre de choses quoi. Et bien moi je me rappellerai toujours mon rendez-vous avec Mourad Boudjellal, le patron, qui m'a dit « ce serait bien que tu bosses pour moi » « ok d'accord mais qu'est-ce que tu veux de moi graphiquement parlant ? » « ce que tu veux » « et scénaristiquement ? » « bah, ce que tu veux » « ok, donc en gros tu me donne carte blanche quoi ?» « bah oui ». Ah ouais, effectivement c'est un vrai boulot « d'esclavagiste » ! Je m'attendais pas à ça et je remercie encore Mourad pour sa confiance. En fait, il y avait une raison tout à fait logique dans sa démarche artistique de me confier un projet dans sa totalité, c'est-à-dire qu'il disait « là actuellement », on remonte à 2001-2002, « je reçois plein de projets de jeunes auteurs qui sont influencés par le manga et par le comics. Ils représentent jusqu'à 50 % des projets que je reçois ».
Le Bleu du Ciel 1Y avait aussi le comics qui entrait en ligne de compte, faut pas l'oublier celui-là. « Moi je ne sais pas encore quoi en faire. Je ne peux pas ignorer cette nouvelle génération. Est-ce que je les publie, est-ce que je les publie pas ? » Il fait une sélection et il dit « Moi, pour le moment, j'ai pas de scénariste qui soit spécialisé dans la BD hybride franco-nippono-américaine, je n'ai que des scénaristes franco-belges purs et durs. Le deal est donc très simple : je te laisse faire ta tambouille de ton côté. Si ça marche, tant mieux, si ça ne marche pas, on en discute. Voilà. » Voilà ce qui était un marché tout à fait honnête, évidemment. Donc je lui ai proposé l'histoire du Miroir des Alices tout en essayant de m'approprier un univers propre à Soleil, à savoir l'heroic fantasy, et de le retourner à ma manière. Et c'est donc là que l'aventure a commencé. Dernièrement je leur ai proposé de faire Le Bleu du Ciel, qui est une bande dessinée que j'ai voulu personnellement. Ils ne m'ont rien demandé, c'est moi qui ai proposé de faire une oeuvre un peu plus grand public, plus accessible et équilibrée dans la réflexion et l'action, tout en étant plus fun à lire et à faire aussi. Attention, cela ne veut pas dire baisser la qualité même de mes histoires originales au niveau de l'introspection par exemple, mais simplement faire quelque chose de plus fluide, plus rythmé. Et au niveau de pas mal de réactions que j'ai eu de visu ou sur le net, l'équilibre a bien pris dans l'ensemble. Il me faut donc améliorer encore la recette...
J'ai dit que j'étais un grand bavard ?

Je ne sais pas si tu vas battre la demi-heure, notre record personnel.

Ah quand même. Bah vas-y, je t'en prie.

Alors, pourquoi est-ce que tu as choisi de publier sous un pseudo et comment tu l'as choisi ?

En fait c'est très simple. Kara est un diminutif de mon nom de famille qui est plus long. C'est un nom de famille très particulier, il n'y en a pas beaucoup en France. Donc, comme je tenais à un minimum d'intimité, je me suis décidé à me chercher un pseudonyme. Cela a duré des années ! Alors, à un moment j'étais Dominion, à un moment c'était Sevan, le nom d'un lac en Arménie, puisque je suis d'origine arménienne. J'ai choisi 150 000 pseudonymes, et puis un jour un ancien auteur de Fluide Glacial, rien à voir avec le manga, m'a dit « Ecoute, tu nous emmerdes. Tout le monde t'appelle Kara, ton pseudo c'est Kara, point barre ». Et depuis ce jour-là, j'ai choisi donc Kara tout bêtement. J'ai eu du bol parce que quand j'ai signé chez Soleil, six mois après, mon directeur de collection m'a dit « Tu sais, y a un autre Kara qui nous a contactés. On lui a dit non trop tard, on en a déjà un, va falloir changer de pseudo. »

Est-ce que tu peux nous présenter très brièvement tes deux titres déjà sortis, Gabrielle et Le Miroir des Alices ?

GabrielleBrièvement, je vais essayer.
Gabrielle, le pitch c'est : pour gagner sa place en Enfer, l'archange Gabrielle décide de devenir un serial killer. Donc, en gros, Gabrielle c'est un récit un peu philosophique et introspectif entrecoupé de scènes d'action inspirées de films d'aventure et de Capes et d'Epées. C'est une réflexion sur la lutte du Bien contre le Mal, mais de façon non manichéenne. Je pose le question de ce qu'est le mal et le bien, mais surtout qu'est-ce que la frontière les séparant ? Là, on est dans un monde steam punk, Jules Vernes en gros, où l'archange Gabrielle, qui est représenté sous les traits d'une petite fille, découvre que le Paradis n'existe plus et, comme pour elle, il est hors de question de vivre parmi les humains, elle décide de gagner sa place en Enfer. Et pour cela, il faut qu'elle commette des crimes, bref, qu'elle devienne vraiment une « méchante ». Le Diable passe des deals avec Gabrielle par l'intermédiaire de démons pour tester sa volonté.
Et il y a l'archange Raphaëlle, qui est aussi une gamine, sa soeur, qui va essayer de l'arrêter de son côté. Il y a toute une réflexion sur l'immortalité par rapport à une vision humaine. J'ai voulu vraiment créer des personnages qui étaient forts, qui étaient humains. On peut ressentir des choses pour elles. Gabrielle, on peut l'aimer, on peut la détester mais ressentez quelque chose pour elle, ça c'est très important.
Le Miroir des Alices 1C'est quelque chose en réaction à la bande dessinée franco-belge de l'époque où franchement je ne m'attachais à aucun personnage. Je les trouvais extrêmement creux. Mais c'est un ressenti personnel.
Concernant Le Miroir des Alices, l'approche est un peu différente, c'est-à-dire qu'au départ je voulais faire un récit d'heroic fantasy dans un univers virtuel, un petit peu en réaction à Matrix, que j'avais quand même cordialement détesté, que je trouvais d'une crétinerie manichéenne absolument ahurissante, et moralement très douteuse. Y a des répliques dans Matrix qui me faisaient frissonner, parce que c'était limite un appel à la dictature du bonheur, un peu comme un certain président des USA voulant imposer SA vision du monde à la Terre entière sans même respecter les cultures des autres. En construisant mon histoire, je me suis aperçu que dans mon récit d'heroic fantasy, il n'y avait pas de méchant, pas de mort et pas d'arme. Il y a même certains critiques qui ont été désarçonnés en disant « Mais comment tu peux raconter une histoire comme ça, y a pas la base manichéenne de bons récits de fantasy. ». Bah, justement, je veux prouver qu'on peut raconter une histoire sans forcément qu'on détruise la moitié de la planète... Bon, j'ai mis des belles nanas, parce qu'il y a un minimum quand même, chuis un mec hein ! Mais là encore, je les ai dotés de cerveaux !
Et à ce propos, j'ai une anecdote assez rigolote. Beaucoup de gens pensaient au départ, déjà dès Gabrielle, que j'étais une femme, de par mon pseudonyme Kara qui est assez androgyne et surtout du fait que j'utilisais beaucoup de personnages féminins et que je ne les décrivais jamais sous une forme de fantasme pour mec (à part pour les formes généreuses, parce que bon, c'est agréable à l'oeil non ?), enfin c'était toujours des personnages dont j'essaie de fouiller la psychologie le plus loin possible. Et j'avais des lectrices qui disaient sur les forums internet : « Kara, ça peut être qu'une nana parce qu'un mec n'est pas capable de créer des personnages féminins comme ça. »

Oui, il y en a quelques uns. Justement, c'était une de mes questions.

Effectivement, c'est un cliché. Je connais des tas d'auteurs de bande dessinée français ou même japonais qui créent de très beaux personnages féminins, aussi bien dans la forme que dans le fond, comme Katsura par exemple. Et à partir de là, les gens pensaient tout de même que j'étais une femme. Quand j'arrivais dans les séances de dédicaces, les gens étaient très étonnés. Soit ils disaient « Ah, effectivement, pauvre fille, non seulement elle est très moche, mais en plus, elle a de la barbe. » Soit effectivement, « C'est un mec. ». Coup de bol, beaucoup disaient « c'est un mec. ». C'est pour ça que je me laisse un peu pousser la barbe, pour éviter la confusion. Ce dernier chapitre est un gag évidement ! Mais encore aujourd'hui, et c'est vrai, certains continuent de parler de moi au féminin. Ma première BD date de 2001, mais sur internet on parle encore de moi au féminin. Pour moi, c'est un compliment.
Le Miroir des Alices 2Donc à partir de là, pour en revenir Aux Alices, le récit était surtout basé sur la psychologie des personnages et c'étaient la personnalité et la psychologie des personnages qui faisaient avancer l'histoire. Le récit du Miroir des Alices est effectivement très linéaire, c'est-à-dire que les personnages vont du point A au point B, ils savent où ils vont, mais c'est tout le cheminement, tout le parcours intérieur - parce qu'en fait c'est un voyage intérieur - où les personnages vont apprendre à évoluer et à se connaître, qui fait qu'ils vont se remettre en question et faire justement donc avancer le récit. Ainsi, une femme se retrouve plongée dans un univers virtuel créé pour les malades plongés dans le coma. Elle va petit à petit construire son propre univers, mais cela ne va pas l'empêcher de connaître un certain mal être du fait d'un passé tumultueux dans la vie réelle. Comment gérer alors ce conflit intérieur alors que le monde - même virtuel - s'offre à vous ? Autre exemple, imaginez que deux personnes issues de deux pays en guerre se retrouvent dans un monde virtuel. Est-ce que leur colère, leur haine vis-à-vis de l'autre va pour autant disparaître ? Sauront-elles faire la paix ? Chaque personnage du Miroir des Alices, même doté d'un pouvoir quasi infini est impuissant face à ses frustrations, à ses regrets, ses remords, et il doit vivre avec. Cette quête de paix intérieure, je la couple enfin avec des scènes d'action à grand spectacle avec des dragons, des combats à grand renforts de pouvoirs destructeurs, etc.
Le Bleu du Ciel - ExtraitPour Le Bleu du Ciel, j'ai voulu rééquilibrer ce mélange action-réflexion. J'ai fait quelque chose d'un peu moins psychologique, mais plus basé sur l'action et les péripéties d'un récit moins linéaire. Parce que bon, j'avoue, j'adore tout ce qui est trip d'auteur, mais je suis un grand fan de toutes les grosses productions américaines, Mourir Dur 4 [sic], je vais essayer d'aller le voir dans le mois, Transformers, I Robot, Les ailes de l'Enfer, Sahara, etc... Evidemment je ne m'attends pas à des histoires à la Sigmund Freud et autres, mais j'adore les films pop corn. Je suis un grand fan du nanar qu'est Van Helsing. Oui, c'est un nanar mais je m'en fous, j'ai pris mon pied à regarder cette espèce de gros pop corn movie, cette espèce de gros gâteau dégoulinant, mais rien à foutre, c'était super sympa.
Concernant le mélange action et réflexion, ce sont les manga qui me l'ont appris. Chose qui d'ailleurs a été tentée avec Matrix, plus ou moins maladroitement d'un point de vue du résultat final, mais dans la forme et dans la démarche, c'est ce qui était prévu ; et on peut tout de même saluer la démarche (qui a nettement été plus aboutie avec Animatrix par la suite). En Occident, une oeuvre populaire est forcément connotée crétine, et une oeuvre plus intellectuelle est connotée élitiste, voire ennuyeuse. Or, le manga l'a prouvé plus d'une fois : on peut raconter des histoires passionnantes avec un discours intelligent, on peut parler de philosophie et d'introspection en parallèle avec une action trépidante et bourrine. Tout est une question de dosage, d'équilibre. En ce sens, des oeuvres comme Evangelion ou Ghost in The Shell (le manga, comme les films) ont réussi haut la main ce cocktail détonnant.

Pour en revenir au Bleu du Ciel, j'ai vu que tu avais fait une présentation de ce titre sur certains forums. Quel intérêt représente Internet dans ton travail ?

Déjà, Le Miroir des Alices se passe sur Internet, dans un univers virtuel. Moi-même, je suis une espèce de geek, n'ayons pas peur des mots. J'ai eu ma période hardcore gamer comme pas mal de gens. Mon genre de prédilection est le F.P.S. J'aimerais beaucoup faire des R.P.G., mais bon déjà faut acheter une console et ça je refuse parce que c'est un piège pour moi. Tout le monde me dit « Mais achète une PS2, tu vas voir, c'est formidable ! ». Non, je ne veux pas, faut que je bosse !

On l'a fait, on est passés du côté obscur...

Mais je crois que je vais craquer à Noël. C'est horrible, mais y a certains R.P.G. japonais que je vois qui sont trop beaux, ne serait-ce que pour avoir les cinématiques de début, quoi. Les Valkyrie Profile, le tout dernier qui vient de sortir, je vois à chaque fois les cinématiques...

Je ne crois pas qu'il soit encore sorti...

Non, mais en anglais on peut le chopper, donc je devrais pouvoir me débrouiller.
Réalités - ExtraitPour en revenir au net, je vais sortir des clichés, c'est un outil formidable de diffusion d'information, de communication et de promotion tout simplement. Quand j'ai commencé, j'avais un 56k pour Gabrielle, mais là maintenant j'ai mon petit ADSL tranquille. Enfin, ça prend quand même du temps, parce qu'il faut rédiger le message, quelques fois il faut personnaliser suivant les forums. C'est pas toujours le même public et il y a des forums où je suis connu en tant qu'inscrit où je débarque en disant « Salut les mecs, je vous présente ma nouvelle BD », et d'autres forums où je dis « Bonjour, je m'appelle Kara, je travaille en tant qu'auteur chez untel, je parcours les forums pour faire la promotion de mon album, je vous présente donc mon album, etc. ». Donc voilà. Y a des formules de politesse un minimum à respecter. C'est pas parce qu'on est sur Internet « entre geeks » qu'il y a pas un minimum de bienséance à tenir.
Et à partir de là, c'est vrai que je commence à promouvoir Le Bleu du Ciel sur les forums. Le but est déjà, ne soyons pas hypocrites, de faire de la pub, gratos, c'est de la promotion, bien évidemment, et en même temps de discuter tout simplement avec les potentiels futurs lecteurs et même d'anciens lecteurs, qui suivent tout simplement ce que je fais. Après ça dépend, sur certains forums ça part complètement en sucette. Y a un forum où on est en train de parler de bouffe. Rien à voir avec la BD, mais c'est pas grave, je suis un gros gourmand donc ça va. Y a un autre forum où là on était plus techniques, certaines personnes ont même redessiné certaines de mes cases, en disant « Bah tiens, moi je l'aurais vu plus comme ça et comme ça », et ça se fait de manière très courtoise. Là, je touche du bois, je n'ai que très peu de trolls ou de simples fous furieux qui disent « gnia gnia, caca boudin ». En général, c'est toujours fait de manière relax, courtoise et on discute de choses et d'autres. J'apprends des choses d'ailleurs, je recueille des impressions qui peuvent m'être parfois très très utiles. Je note et puis c'est convivial, c'est sympa. Oui je crois qu'en fait c'est ça, c'est parce que c'est sympa.

Quelles sont tes sources d'inspiration ?

Alors, elles sont très diverses. Parce qu'en fait, à un moment, j'étais vraiment ce qu'on appelle un taliban de la bande dessinée asiatique. Moi tout ce qui était japonais, c'était une grande merveille et tout le reste c'était de la merde. Heureusement, cette période est rapidement passée pour plusieurs raisons. A la base, je suis un enfant de la bande dessinée franco-belge. J'étais, et je suis toujours, un fan de Bob de Moor. Je le préfère très nettement à Hergé personnellement, j'adore la grande école classique franco-belge. Ensuite, j'ai fait énormément d'histoire de l'art durant mes études de graphisme, ça m'a ouvert à pas mal d'horizons. Et j'ai eu la chance de tomber sur des profs absolument formidables. On jubilait littéralement à certains cours d'histoire de l'art parce qu'on savait que pendant 2 heures on allait s'éclater, et ça c'était fabuleux. C'est aussi pour ça que ça m'a donné l'envie de me diversifier, l'air de rien, un bon prof ça peut changer beaucoup de choses. Donc, mes sources d'inspiration sont vraiment très diverses. Ca va des Impressionnistes du XIXe siècle en passant surtout par la période romantique de la peinture française que j'adore complètement, David Caspar Friedrich, Panini, pas les sandwichs hein, le peintre, Hubert Robert, etc. Je suis à genoux devant leurs tableaux. Leurs couleurs, leurs impressions, justement, me marquent énormément. Maintenant, bien évidemment les manga, les dessins animés. Une chose intéressante à souligner, c'est que les auteurs trentenaires dont je fais partie ont plus été influencés par les dessins animés - on en voyait beaucoup plus souvent à la télé - que par les manga, on n'avait pas beaucoup de manga à l'époque. Alors qu'aujourd'hui, les jeunes auteurs, ceux qui ont la vingtaine, s'inspirent directement des manga. Donc c'est vrai qu'ils ont peut-être une plus grande facilité en terme de narration, au niveau de la narration manga typique, au niveau des scènes d'action, des scènes d'ambiance et autres, alors que nous, on a plus une vision animée de la chose, on fait des couleurs en aplat qui rappellent les couleurs des celluloïds. On a une façon, enfin au niveau du mouvement, qui est plus audiovisuelle. Je pense que ça crée vraiment une espèce d'émulation. Maintenant, moi aussi je m'inspire du manga, mais c'est vrai que ma première source d'inspiration était vraiment des dessins animés. BD franco-belges, manga, peintures classiques, un peu de sculpture aussi. Je me fiche de savoir à la rigueur qu'est-ce que c'est la source. Moi, si c'est bien, si c'est beau, je prends, je m'en fous. Je veux dire, si je croise une BD camerounaise, si je la trouve fabuleuse, je vais pas la rejeter parce que c'est camerounais. Je m'en fiche, c'est beau je prends. D'ailleurs dernièrement sur Internet, j'ai vu des extraits de bande dessinée hindoue... Wahou... Ca a de la gueule. Bon, le scénario, je sais pas, mais graphiquement, le mec il prend Painter, tac tac tac, trois coups de pinceau, une ambiance, wah, c'est fabuleux, quoi. La BD chinoise, c'est en train de percer littéralement. Donc, non je pense que l'eldorado phylactérien asiatique n'est pas encore épuisé, loin de là.

Ton éditeur, Soleil, te présente comme un auteur très influencé par le manga. Est-ce que tu es d'accord avec ça ?

Bah, écoute, franchement, ça ne serait pas honnête de dire le contraire. Oui bien sûr, je suis influencé par le manga. Mais je suis d'autant plus influencé que j'en lis énormément, ne serait-ce que pour mon job au magazine Bodoï (j'adooooore ce job !!). Forcément je suis influencé. C'est pas forcément une mauvaise chose. A un moment, il y avait un côté péjoratif dans le fait d'être déclaré comme influencé par le manga. Aujourd'hui, ça va un petit peu mieux, c'est pas encore ça, mais c'est un petit peu mieux. Je pense qu'avec les années ça ira de mieux en mieux, tout simplement. D'ailleurs, ils le disent dans ma fiche de présentation. Je ne suis pas influencé que par le manga. Tant qu'il y a ce « oui, mais », moi je suis content.

Le Bleu du Ciel - extrait

Je ne vais pas te demander si tu t'intéresses au manga, mais est-ce que tu t'intéresses aux autres productions asiatiques ?

La Corée en ce moment est un vivier d'illustrateurs absolument incroyables. Malheureusement, dans la tête de nombreux lecteurs occidentaux, la BD coréenne et chinoise n'est qu'une resucée sans âme du manga nippon. Ce qui est faux. Mais le véritable problème est le suivant : les premières vagues de BD coréennes et chinoises nous ont montré toute une génération d'auteurs influencé par le manga, et pas toujours de manière très originale, voire médiocre. Or, il existe au Japon et en Chine une autre école de BD qui, au contraire, produit des auteurs originaux (même influencés par le manga et mais de façon plus intelligente). Aujourd'hui, ces auteurs sont enfin édités en France. Hélas, le mal est déjà fait dans la culture populaire du fan de BD asiatique en France. Il va être difficile et long de changer cela, mais c'est en cours. Aujourd'hui, cela va aussi beaucoup mieux. Des éditeurs comme Casterman nous offre des BD coréennes de grande qualité ayant une identité forte et différentes du manga nippon. Je ne dis pas que copier le manga est mal (je suis mal placé pour faire la leçon !), mais si l'on n'y ajoute pas sa touche personnelle, l'intérêt est limité je pense.
Si la BD coréenne et chinoise va mieux aujourd'hui grâce à des auteurs comme Benjamin, le milieu même de l'illustration coréen et chinois a déjà séduit de nombreux amateurs de belles images via le net. Je parle par exemple de Hyung Tae Kim, qui malgré un style fortement influencé par les univers de Squaresoft au Japon, a su très rapidement imposer son propre univers personnel doublé d'une virtuosité graphique exceptionnelle ! Il suffit de taper son nom sur Google pour voir l'étendue de son talent qui en influença plus d'un en quelques années sur la toile. C'est un illustrateur qui a, je ne dirai pas révolutionné, mais qui a changé énormément le regard de nombreux graphistes occidentaux sur la couleur numérique. « Mais on peut faire ça en couleur numérique ? La vache, c'est mortel et tout. » Merci Internet, là encore. Voilà. Donc oui, il y a un vivier graphique absolument fabuleux en Corée mais d'un point de vue technique, maintenant ce qui leur faut c'est leur identité. Alors, quand je parle d'identité, je ne dis pas un truc typiquement folklorique coréen, parce que dans ce cas-là Sergio Leone qui est italien n'aurait jamais fait de westerns américains ou les Américains n'auraient jamais fait de péplums romains. Donc à ce niveau-là, il ne faut pas non plus être sectaire. Il faut que les Coréens trouvent tout simplement leur propre identité.

C'est une question de travail et de temps.

Oui, de temps, d'expérience et y a déjà de très très bons manga coréens qui sortent, Le nouvel Angyo Onshi, qui est une claque monumentale dans l'univers de l'heroic fantasy. Bon, certains diront même « Ouais, c'est une commande japonaise », mais c'est des Coréens.

Pour les Coréens, travailler au Japon, c'est l'eldorado. C'est leur but ultime.

Oui, enfin, comme disait une de mes connaissances qui a travaillé au Japon, à prendre vraiment au 72e degré : « De toute façon les riches coréens se prennent pour des Japonais. ». Alors, voir ce qui est derrière cette phrase, s'il s'agit d'une « réalité » ou d'une blague de mauvais goût tout bêtement, je ne sais pas. En tout cas, je ne pense pas que l'on peut caricaturer comme ça. L'herbe n'est pas forcément plus verte chez le voisin. Par exemple, je publie en France et j'en suis fier. Publier au Japon (voire en Corée ?) est aussi un rêve, mais pas une finalité. Je pense que c'est pareil pour nombres d'auteurs coréens. Editer au Japon, c'est la classe, mais éditer dans son propre pays, c'est aussi une fierté en soi. Je ne suis jamais allé au Japon ni même en Corée, ça m'intéresserait beaucoup évidemment. Il y a aussi le manhua, la bande dessinée chinoise qui est très bien. Au départ on avait eu droit aux bandes dessinées de Hong-Kong, Alors là c'était marqué dessus « copie de manga mais la couleur en plus ». Super. Mais c'est tout. Et là justement, l'éditeur Xiao Pan nous montre une bande dessinée asiatique très différente avec une identité graphique et narrative très forte. Là aussi, on accroche ou pas, mais effectivement c'est quelque chose de différent, même si on sent encore l'influence au niveau des fameux « gros yeux japonais ». Il y a vraiment une identité narrative, graphique, au niveau même de l'esprit.

Il y a un petit peu de tout qui commence à arriver.

Oui, y a un peu de tout qui commence à arriver et c'est très bien. C'est vrai que par exemple la Corée a été un peu désavantagée parce que les premiers manga coréens qui sont arrivés en France étaient pas les meilleurs de la production. L'eldorado phylactérien, ce que je disais tout à l'heure, d'un point de vue de l'Asie est encore loin d'être épuisé. Maintenant, ce qu'il faut faire véritablement, c'est une très grosse sélection drastique.

Donc, il faudrait que les éditeurs soient plus sur le terrain peut-être, pour aller chercher les petites perles.

Oui, et c'est pas parce qu'un truc marche là-bas que ça va marcher chez nous. Je prends un exemple tout bête, en terme de dessin animé, Ulysse 31 et Les cités d'or, c'est des trucs méga cultes, des succès colossaux, 20-30 ans après on en parle encore. Au Japon, c'est quoi ça ? Ils ne savent pas ce que c'est (ou si peu !). Donc, maintenant il faut se méfier. Evidemment, il y a des succès internationaux : Naruto, qui fait un carton au Japon, fait un carton en France. Y a des trucs évidents. Mais on a beaucoup prospecté le Japon et les éditeurs savent maintenant comment ça marche et où fouiller. Le défi, c'est que maintenant on est en train de chercher dans les autres pays d'Asie et là tout est à refaire, tout est à recommencer. Je passe sur des visions « racistes », c'est pas parce que c'est l'Asie qu'ils sont tous pareils. Non, non, ça n'a rien à voir. Chaque pays a sa spécificité, c'est comme si on disait « La bande dessinée italienne et la bande dessinée française, c'est la même chose ». Non, ça n'a rien à voir même si les deux sont en Europe, même le format est différent. Donc, il faut recommencer à prospecter, recommencer à chercher des contacts, faire du relationnel, trouver les bons éditeurs et interlocuteurs. Et surtout leur prouver que nous sommes capables de leur fournir en France un boulot de qualité comme nous l'avons fait pour le manga. Quelque fois, faut y aller, excusez-moi l'expression, avec sa « bite et son couteau », aller dans les librairies, ouvrir les bouquins « vas-y, prends les coordonnées, on va voir, peut-être qu'il a un autre truc ». C'est ce qui a été fait d'ailleurs avec l'éditeur SEEBD quand ils ont édité leurs premières BD coréennes, ils y sont allés, vaille que vaille, ils ont fait ce qu'ils ont pu, avec une volonté de bien faire, y a eu du bon, y a eu du mauvais. Idem pour le manga en France. Maintenant, on a de l'expérience. Il faut encore prospecter dans toute l'Asie. Et c'est formidable parce que l'Asie c'est pas que la Chine, c'est pas que Hong Kong, c'est pas que le Japon, il y a encore plein d'autres pays à découvrir. Je parlais tout à l'heure de l'Inde, si ça se trouve en Inde, y a sans doute des super bandes dessinées. Déjà moi, le peu d'extraits que j'ai vus, graphiquement y a des trucs superbes. Faut voir les scénarios, la narration, les bouquins, les droits, combien ça coûte. Voilà, c'est ça le truc. Donc, je pense qu'on en a encore pour pas mal d'années de découverte, si les éditeurs font bien leur boulot, bien évidemment. Ou tout simplement que les fans suivent aussi et fassent passer l'information, et au final achètent. Parce qu'il ne faut pas oublier le rôle d'Internet. Parfois, Internet a un peu d'avance sur le format papier. Donc Hyung Tae Kim, il était super connu d'abord sur Internet, par les fans, ensuite les premiers artbooks de Hyung Tae Kim sont arrivés du Japon, dans les boutiques d'import ou par des voies un peu plus officielles. Donc je pense que les internautes du monde entier ont leur rôle à jouer là-dedans.

Réalités - extrait

Quels titres franco-belges actuels t'intéressent ?

L'anneau des sept mondes chez Les Humanos est vraiment très bon et est fait par un collectif d'Italiens très influencés Miyazaki. C'est un trait qui est très simple, très sensible, trois coups de crayon ça suffit largement. C'est très bien foutu. Il y a quelques artistes « qui ont plus sorti grand-chose depuis quelques années » comme Claire Wendling que j'adore littéralement, que je trouve formidable. Les lumières de l'Amalou chez Delcourt, c'est des albums qui sont formidables. En auteurs actuels, qu'est-ce que j'aime ? Bon évidemment, les auteurs de Sky.Doll, Barbucci et Canepa, j'adore ce qu'ils font. C'est formidable ce qu'il s'est passé autour d'eux, en moins de trois albums, c'est le rêve de tout dessinateur de BD, mais bon c'était mérité ! Il y a tout un courant aussi chez Soleil que j'aime bien, chez certains autres éditeurs aussi. Les titres comme ça ne me viennent pas en tête à chaud. Ca reste très hétéroclite. Largo Winch j'adore. Je trouve ça vraiment sympa, le dessin est clair, certains diront « oui bon, c'est académique ». Bah ouais mais de l'académique comme ça, faut le maîtriser, c'est pas évident. Je vois la manière dont le gars dessine tout bêtement des rochers, par exemple, là c'est le dessinateur qui parle, pas le lecteur, mais quand je vois la manière dont il dessine ses montagnes, ses rochers, trois coups de trait bien foutus, tout de suite ça a dix fois plus de gueule, donc bah ça roule, quoi.
Concernant le style franco-nippon qui émerge chez des auteurs comme ceux de Shogun chez les Humanos, il y a des choses intéressantes. Je pense par contre que cela peut préfigurer une sorte de mondialisation d'un style académique pronippon. Par exemple, en Allemagne, aux USA, etc. on croise de nombreux auteurs influencés par le manga. C'est bien, mais je continue de militer aussi pour des BD différentes qui n'ont rien à voir avec la BD asiatique. Car c'est de la différence que viendra la richesse même de ce média !

Même question pour les comics, si tu en lis.

Non, alors les comics, c'est ça qui est marrant, pour ma dernière BD, beaucoup de gens disent que les couleurs font comics, mais je ne lis quasiment aucun comics. Le seul auteur américain que je continue à suivre, j'ai énormément de mal à avoir ses bandes dessinées en France, je pense que je vais devoir passer justement là encore par Internet pour les avoir - merci Amazon - c'est Adam Warren, qui n'est pas très connu en France. Il a eu une période connue en France, mais pas dans le bon sens du terme. C'est Adam Warren qui avait repris à son compte les fameuses Dirty Pair de Dan et Dany, qui a littéralement transcendé le genre même de Dirty Pair. Comme disait un de mes copains « Il a fait du vrai Dirty Pair. ». Si on veut du vrai Dirty Pair, il faut aller du côté des Américains et d'Adam Warren. Et c'est un auteur lui aussi qui est très influencé par le manga mais qui a un côté encore très américain dans sa mise en page, dans son encrage. C'est vraiment quelqu'un que je suis vraiment depuis un bail. Sinon, il y a quelques auteurs, des grands classiques, Frazetta, Norman Rockwell, mais bon, ils sont purement contemporains, Kirby, ça fait partie des grands classiques.

Je suis allée sur ton site. J'ai vu qu'il y avait une galerie de photos. Est-ce que tu es aussi photographe ?

Je suis photographe amateur, vraiment très amateur. J'ai la chance de connaître quelques jolies filles, qui ne sont pas opposées à poser pour moi. La plupart sont cosplayeuses, elles fabriquent elles-mêmes leurs costumes...

Oui, j'ai vu des photos de Nadia...

Moi je suis un énorme fan de Nadia. Je fais de la photo vraiment en amateur. J'aime bien, ça c'est mon côté effets spéciaux, faire des fonds en 3D et incruster mes modèles dedans. Là ce que tu as vu sur mon site, c'est 10 % de ce que j'ai pris en photo. J'ai pas tout mis parce que je n'ai pas eu le temps de tout retaper, parce que je retape énormément mes photographies. J'aime bien la photo naturelle, mais quand je fais de la photo reportage. Par exemple, dernièrement quand je suis allé en Arménie, j'ai fait vraiment des photos sur le vif, sur la vie de tous les jours. Mais quand je fais de la photo de pin-up, c'est complètement différent. J'essaie de les rendre les plus sexy, les plus glamour possible, même si ça reste grand public. Maintenant, faire de la photo plus sexy, charme, bon, on verra plus tard. Ma prochaine envie, c'est plus de faire un petit court-métrage en utilisant justement des techniques de 3D, l'expérience que j'ai acquise en faisant des photos. Mais j'aime bien la photo. C'est le numérique qui m'a vraiment libéré. La photographie, j'adorais ça bien avant, mais ça me coûtait une fortune et j'en avais ras-le-bol. A chaque fois que j'appuyais sur l'obturateur, j'entendais le déclic du tiroir-caisse du photographe, ça m'énervait. Et là, tu vois le résultat. En même temps je suis un mec, photographier des jolies filles, y a plus désagréable franchement. Faut être honnête.

On va retourner un petit peu sur la BD. Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui veut se faire publier aujourd'hui ?

C'est difficile. Comme ça, je n'ai pas vraiment de conseil à donner, à part pratiques comme par exemple comment constituer un dossier pour un éditeur, mais dans ce cas, il vaut mieux venir me voir pour en discuter de visu. Mais aider quelqu'un à prendre la décision de se lancer dans ce métier, c'est vraiment une décision personnelle et c'est vraiment un choix de vie particulier. Je ne me sens pas le droit moral pour l'instant de conseiller les gens sur ce choix. C'est un métier où l'on se remet souvent en question, que cela soit au niveau du choix de vie, que des choix purement artistiques (pourquoi je choisi de dessiner ça et pas ça, pourquoi tel cadrage, pourquoi je raconte comme ça et pas comme ça, etc.). De même, avoir la niaque et l'envie, oui c'est important, le talent aussi bien sûr, mais c'est quoi le talent ? Certains trouveront vos oeuvres géniales et d'autres diront que c'est nul. Qui a tort ou raison ? La question se pose-t-elle d'ailleurs lorsque l'on essaie de juger ce qui n'est qu'au final qu'une question de goûts ? Je pense qu'au-delà du niveau pur en dessin, il faut avoir un univers, quelque chose à montrer ou à raconter, c'est la base. Enfin je crois...

RéalitésQuels sont tes prochains projets ?

Là actuellement, je travaille sur une bande dessinée qui s'appelle Réalités. C'est un projet de la collection Fusion chez Soleil. C'est une BD qui est en fait franco-nippone ou nippone-française.

Ca fait partie du projet de Soleil de faire des collaborations entre Français et étrangers...

Oui, et surtout asiatiques dans la collection Fusion. Donc là, je suis en contact avec un dessinateur japonais qui me fait le dessin et les planches, et moi je lui fais la mise en couleurs avec un ami, Elrem. Donc c'est un projet, on va dire, à trois personnes, limite un peu studio. J'ai fait le scénario, j'ai fait le story-board, le Japonais a fait le dessin et à deux, on est en train de mettre ça en couleur. On espère sortir ça pour fin octobre [sortie en janvier 2008, ndlr]. On a des délais très serrés. Après, des vacances, pour moi, une semaine au moins j'espère et Le Bleu du Ciel volume 2 et peut-être un jour mon court-métrage. Voilà. C'est déjà pas mal, je trouve.

Avant-dernière question. Qu'est-ce que tu dirais à quelqu'un qui ne connaît pas ton univers, tes BD pour lui donner envie de te lire ?

Que les apparences sont souvent trompeuses. C'est pas parce que ma BD ressemble à ça que ça l'est forcément. Ma BD Le Miroir des Alices, c'est vrai que ça ressemble beaucoup à une BD d'heroic fantasy, mais c'est plus un récit psychanalytique, d'introspection, de philosophie. Pareil pour Gabrielle. Gabrielle est un petit peu plus évident, une lutte d'archanges et de démons. Idem pour Le Bleu du Ciel. Mais c'est vrai que dans mes univers, l'apparence est trompeuse. Quand je raconte quelques bribes de mes histoires, quand je fais ce fameux pitch, Le Miroir des Alices, c'est un récit d'heroic fantasy sans mort, sans méchant et sans arme. Donc, ça interpelle suffisamment la personne en face pour que le dialogue soit engagé. Maintenant, évidemment, la personne va pas tourner sur ses talons en disant « je vais aller l'acheter tout de suite », ou alors c'est vraiment un aficionado. Une fois que le débat est ouvert, la moitié du boulot est déjà faite.

La dernière question n'est pas une. Est-ce que tu as quelque chose à rajouter par rapport à ce qu'on a dit, une question que je ne t'aurais pas posée ? Voilà, c'est le mot de la fin.

Déjà, je vous souhaite une bonne lecture de cette interview qui, j'espère, n'a pas été trop longue. Je fais partie d'une certaine génération de dessinateurs qui ont été influencés plus ou moins bien par le manga et par le dessin animé japonais. Ne nous jugez pas trop vite, nous ne sommes pas opportunistes, nous ne faisons pas du « gros yeux » parce que soi-disant ça va mieux se vendre, nous faisons des « gros yeux » parce qu'on aime ça, tout bêtement. Beaucoup de gens me posent la question « Pourquoi dans les dessins animés japonais ils ont des gros yeux ? ». Moi je leur réponds « parce qu'ils aiment ça, tout simplement » « ah bon, c'est tout ? » « bah oui ». Faut pas voir de symbolique à la con, c'est juste parce qu'ils aiment ça, parce que c'est joli, parce que c'est kawaï-choupi. Généralement, nous sommes, je pense, pour la plupart des gens relativement sincères dans notre démarche. Simplement, nous avons été influencés par une culture, nous essayons de la digérer et parfois cela prends du temps. Certains l'ont digérée comme l'auteur de Rapaces [Marini], quand on dit « ce mec-là a été influencé par le manga », franchement faut chercher loin. Le graphisme est super chouette, c'est super personnel, c'est lui. Mais il a bouffé du Katsuhiro Otomo à tire larigot. Quand j'ai vu ses premières BD, c'était marqué dessus Katsuhiro Otomo. Les premiers volumes de Gipsy, c'était marqué Katsuhiro Otomo, mais il ne l'a jamais renié, je pense. Et maintenant, il a un graphisme très personnel unanimement salué. Laissez-nous le temps de digérer nos influences, laissez-nous faire nos essais, laissez-nous vous montrer que nous pouvons faire de belles choses, de bonnes choses sincères et personnelles qui sauront aussi bien vous divertir que vous toucher. Je pense que vous ne serez pas déçus du voyage car, n'oublions pas une chose, nous sommes nous aussi consommateurs, nous sommes nous aussi des lecteurs et nous aussi on a envie de lire de bonnes BD, quelles que soient leurs origines... Au-delà du graphisme, nous sommes influencés par une pensée, une démarche narrative et esthétique, un fond particulier s'alliant à une forme qui se cherche encore. Et je pense que les gens commencent vraiment à s'en apercevoir, on ne fait pas que du « gros yeux » parce que « waaah, c'est style, c'est in, c'est djeunz ». Non, c'est parce que y a une vraie démarche esthétique, psychologique, éthique, spirituelle parfois derrière, une vraie démarche de réinventer, de recréer une forme de narration qui va vers quelque part, on ne sait pas trop où, mais on y va, c'est déjà ça. Idem pour la création de personnages, idem, peut-être, pour la couleur. Nos albums sont certes en couleur, bon je ne parle pas de ceux qui bossent chez Shogun tout en noir et blanc, mais c'est vrai que moi, je suis aussi bien influencé par les peintures romantiques que par certains illustrateurs japonais qui travaillent en couleur (et qui eux-mêmes sont influencés par l'art occidental !) et, à partir de là, ma foi, on essaie d'ingurgiter et de sortir quelque chose qui, je pense, nous sera personnel, une espèce de troisième voie entre la BD franco-belge et le manga. Faites l'essai, je pense que vous trouverez chaussure à votre pied, tout simplement.

dédicaces : Gabrielle - Le Bleu du Ciel

Yadana

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