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Blackclaws : Blackclaws - 9

Au nord du Château de Mürd, au milieu des plaines arides du Séchman, un homme traversait l'étendue déserte. Vêtu de haillons et d'une capuche, il avançait tant bien que mal.
Il avait bu la dernière gorgée de sa gourde bien avant que le soleil ne disparaisse et ne laisse place à sa demi-soeur, la lune.
Parti depuis plus de trois jours, il était entré dans le désert depuis la veille et n'avait cessé de marcher.
S'il avait su, il aurait fait plus attention avec l'eau qu'il transportait.
Au moins, il ne craignait aucune attaque de monstre, préférant la chaleur du jour au froid de la nuit, tous les monstres se terraient sous le sable attendant que l'astre solaire revienne réchauffer l'étendue de sable.
Alors qu'il atteignait le sommet d'une des plus grandes dunes, il trébucha et s'affala dans le sable en jurant.
Il se releva, frotta ses habits et regarda ce qui avait provoqué sa chute.
Alors qu'il s'approchait, la lumière de la lune se refléta sur un objet pointu qui semblait sortir du sable, comme une petite pyramide noire.
L'homme tomba à genou et se mit à déterrer l'objet.
Alors qu'il creusait, il s'écorcha la main gauche et du sang tomba sur la pyramide ensevelie.
L'homme regarda sa main et fut recouvert d'une lumière rouge sombre. L'objet irradiant semblait prendre vie, il réagissait à la présence de l'homme. Celui-ci retira sa capuche. Son visage défiguré apparut à la lumière de la lune.
Une grande cicatrice partait de son arcade sourcilière droite jusqu'au menton. Le reste de son visage avait été gravement brûlé.
Il n'avait plus de lèvres et son nez était ravagé mais ses yeux avaient été épargnés. Il ne savait à quel dieu il devait ce miracle, mais il le remerciait tous les jours.
Hésitant, il s'approcha doucement de la lumière. Il se sentait de plus en plus attiré par cette grande colonne rougeoyante.
La lumière explosa.
La colonne rouge était maintenant incandescente. En son sein, une image trouble apparut devant l'homme balafré qui se tenait maintenant sur ses deux jambes.
L'image était floue mais avait une forme humanoïde. La forme, qui semblait animée, fut parcourue d'un frisson et changea de forme.

Gréols le Brûlé... Enfin te voilà, fit une voix sifflante dans la tête de l'homme.
« Oui, je suis Gréols. », bafouilla-t-il.
Que fuiiis-tuuu ?
« Qui etes vous, comment me connaissez-vous ? »
Pas de quessstion, besssoin de toi, beeesoin d'un hôte.
« D'un hote ? »
Oui,tuhh ne le regrrretteras passs.

Gréols savait très bien que ce genre d'événement n'était en rien bénéfique, mais c'était plus fort que lui, il devait accepter.
Un rire strident lui vrilla la tête alors que la lumière faiblit un instant. Le balafré poussa un long cri de douleur en tombant à genou.
La lune commençait à descendre quand le sol du désert trembla. Gréols était toujours prostré, paralysé par la douleur.
Une énorme explosion fit s'envoler une masse conséquente de sable, recouvrant entièrement Gréols.
La scène avait été complètement effacée par la déflagration, une petite brise passait doucement sur les dunes de sable.
Au bout de quelques minutes, le sable se fendit en deux ; au milieu apparu un silhouette humaine.
Gréols en sortit, entièrement nu.
Il observa son corps comme s'il le découvrait pour la première fois.
Quelques minutes auparavant, il avait du mal à se tenir droit, et le voila prêt à courir dans le désert.
Il toucha aussi son visage, plus aucune cicatrice ne le brouillait.
Une larme apparut au coin de ses yeux.
Il allait exclamer sa joie quand une sourde douleur le plia en deux.
De nouveau, un grand cri sortit de sa bouche, mais cette fois-ci beaucoup plus fort.
A bout de souffle, le cri s'éteignit, mais la douleur restait.
Il demeura ainsi quelques minutes avant de se redresser, frottant son corps de ses mains.
Une fois debout, il scruta longuement le désert de ses yeux sans pupille ni iris.
Il fit craquer son dos et sa nuque et s'en fut d'un pas rapide vers l'ouest. Alors qu'il marchait, le sable alentour se colla à sa peau, puis prit la forme de vêtements.
Maintenant, mes fidèles !

Le petit matin commençait à éclairer la forêt. Les plantes comme les animaux sortaient de leur tanière tandis que les chouettes et autres nocturnes rentraient se coucher.
Au milieu de cette forêt, se fondant entièrement dans le décor, une petite maison de pierre était posée là, entre deux chênes plus de deux fois centenaires.
Sous les tuiles du toit, un bon nombre d'oiseaux avaient élu domicile. Alors que tout ce petit monde se réveillait, un léger froissement les fit s'envoler.
La porte de la cabane s'ouvrit.
Thäan en tête du groupe, suivi de ses deux acolytes Loâ et Wakao. Les quatre garous sortirent à leur tour, talonnés par le mage Lyokham.
Ce dernier, une fois sortit ferma doucement la porte et posa sa main en son centre. D'un coup, la porte se mura.
« - J'aurais pensé que votre demeure eut été plus... grande de l'extérieur. », fit Wakao.
« - C'est moi qui me suis installé dans cette forêt et non l'inverse. », répondit le mage, « C'est donc à moi de faire attention à ne pas trop m'imposer. »
Un bruissement les fit se retourner.
Les deux loups se tenaient juste derrière eux. Thäan s'accroupit et les deux canidés s'avancèrent.
« Vous allez devoir rester ici mes amis, je ne peux vous prendre. », leur dit-il, « Mais je vais vous donner une mission très importante : veillez sur mon père, qu'il ne lui arrive rien et, surtout qu'il ne fasse pas de bêtises. »
Ils penchèrent tous deux la tête et aboyèrent en choeur. Ils firent un gros câlin au jeune homme et disparurent dans les fourrés.
Thäan se releva et regarda l'assemblée.
« Et si nous allions sauver le monde ? », fit-il en mettant son sac sur le dos.
« C'est une bonne idée, pas très originale, mais une bonne idée. », fit Wakao en souriant.
« Tu trouves ça banal ? », demanda Loa.
« Bah oui, à chaque fois que quelqu'un se retrouve avec des supers pouvoirs, il est là pour sauver le monde... et bien souvent d'un ennemi qu'il est impossible de détruire tellement il est balèze. »
« De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités... », intervint Adanay.
« Oui, oui, bien sûr, j'ai l'impression d'entendre mon oncle Ben... »
Thäan, ignorant Wakao, s'était approché de Lyokham.
« Se reverra-t-on un jour ? », s'enquit le jeune homme.
« Cela, nul ne le sait si ce n'est les dieux. Tu as un poids énorme sur les épaules, mais n'oublie jamais que tes amis sont là pour t'aider à le porter ! »
Le mage se tut et fouilla dans ses poches. Il sortit un manuscrit qu'il ouvrit.
« Voici une carte qui vous mènera jusqu'au Château du Roi Doménick. Elle vous servira aussi de laissez-passer pour avoir une audience auprès du Roi. »
Thäan la prit et la donna à Adanay.
« Je vous en prie mes amis, revenez nous en vie. N'ayez pas peur de fuir, c'est des fois dans la fuite que vous saurez au mieux affronter ce qui fait face. »
Thäan et le mage s'étreignirent un léger moment avant que le jeune ne tourne le dos. Il avança tout droit.
A son passage, chacun prenait ses affaires et le suivait.
Thäan ne se retourna pas, il voulait surtout garder ces images en lui, sachant en son coeur qu'il ne reviendrait jamais...



Ils voyageaient depuis maintenant trois jours et n'avaient rencontré que peu de résistance. Quelques pillards, un ou deux Orcs ainsi qu'une plante carnivore dont la sève et les racines permirent à Usarahk de fabriquer un bon paquet de potions régénératrices et de guérison.
Profitant du périple, ils firent plus ample connaissance. Loa, Thäan et Wakao apprirent de leurs acolytes que dans leur village chaque personne avait une spécialité bien à lui.
Que même si cette spécialité ne plaisait pas, ils n'avaient d'autre choix que de vivre avec.
Usarahk, le lapin garou, était herboriste. Aucune plante n'avait de secret pour lui et sa façon de préparer les décoctions ou autre potion magique relevait plus de l'art que la science. D'ailleurs, il s'était illustré lors de plusieurs batailles contre une grande bande de Demi-Ogres qui se faisaient appeler les Rohmins. C'était grâce à une potion qui donnait une force extraordinaire que les Rohmins furent vaincus.
LaDruu, le koala garou, était le mage du groupe. Il excellait dans les sorts d'altérations d'état. Le sort qu'il réussissait le mieux était celui de sommeil. Il avait réussi à endormir toute une famille pendant un long moment. Moment qui dura assez longtemps puisque l'enchanteur s'était aussi jeté le sort à lui-même.
Le chat garou, Ne'h, était un pisteur-chasseur de premier ordre. Il maniait l'arc comme aucun. Il était capable de viser une mouche sur le cul d'un âne au galop.
Enfin, la dernière, Adanay, était une experte de la bagarre au corps à corps. Rien ne lui résistait et malgré sa transformation en humaine, elle n'avait rien perdu de sa force.
Adanay était avant sa capture le chef de son escouade, Usarak était le responsable technique, Ne'h était le bras droit de la jeune femme et la remplaçait quand il le fallait. Ladruu, lui, était le diplomate négociateur.
En plus de leur spécialité, les garous avaient, bien entendu, la possibilité de se transformer en animaux.
Mais si pour Adanay et Ne'h cela pouvait être très pratique, un lapin et un koala n'était pas vraiment des animaux de guerre ou de combat... Surtout Usarahk qui pouvait finir rapidement en civet.
Usarahk et LaDruu avaient donc décidé de rester en version humanoïde, sauf en cas d'extrême urgence ou de situation exceptionnelle.
C'était ainsi qu'était né leur équipe, connue comme une des meilleures de leur pays : les Rêveurs de l'Ombre

Le matin se levait sur la Grande Forêt. Un léger voile de brume était tombé. Adanay et Ne'h s'affairaient déjà à rassembler leurs affaires. Les autres étaient encore en plein sommeil. Usarahk et LaDruu s'étaient transformés. Ils dormaient lovés dans les bras de Loa. Seul Thäan manquait à l'appel.
Il réapparut quelques minutes plus tard. Il réveilla ses compagnons et prépara son paquetage. Les deux polymorphes quittèrent leurs habits de poils et finirent de préparer leur sac.
Une fois tout le monde prêt, ils reprirent leur route. Le soleil était à peine levé et la vie reprenait dans la Grande Forêt. En rang par deux, ils se frayaient un chemin à travers l'épaisse végétation.
Thäan menait la marche, les griffes sorties, il faisait de son mieux pour faciliter le passage à ses compères. Pourtant, depuis le matin, il sentait comme un malaise au fond de lui.
Ils avançaient à un très bon rythme mais beaucoup moins vite que s'ils avaient pris la route commerçante. Ils en avaient discuté longuement et, après avoir déduit des événements précédents qu'ils seraient très certainement recherchés, ils en conclurent que la Grande Forêt serait une bonne planque en cas d'attaque. Ils avaient donc décidé d'aller tout droit, à travers la végétation.
Après avoir traversé une partie du bois, les alentours changèrent brusquement. Alors qu'ils ne voyaient pas à deux mètres, les herbes se firent moins hautes, moins touffues. Ils purent enfin voir ce qui les entourait.
Chênes, peupliers et autres saules se côtoyaient en bon voisinage avec de multiples fleurs multicolores à leurs pieds. Malgré l'immensité des arbres, on trouvait ça et là de petites trouées dans le feuillage laissant passer le soleil plus intensément.
En bas, de grands ronds de lumière éclairaient alors de petits arbustes tout fraîchement sortis de terre ; ce qui leur permettait de pouvoir profiter des rayons de l'astre brillant comme de la pluie, les jours de gros temps.
Alors que cette forêt luxuriante semblait douée de vie, il y avait au milieu une magnifique clairière. Une grande trouée dans cette énorme végétation qui favorisait l'évolution des centaines de fleurs et de plantes aromatiques.
Le groupe n'en croyait pas ses yeux. Depuis le début de leur périple, leur environnement n'avait cessé de changer et ils n'y avaient pas vraiment prêté attention, surveillant surtout d'éventuels ennemis.
C'était Thäan qui s'était aperçu du réel changement le premier. Alors qu'il marchait en tête, discutant avec Ne'h et Adanay de leur village et de ses coutumes, il s'arrêta et regarda alentour avant de s'accroupir pour toucher la terre. Les autres s'arrêtèrent à leur tour.
«Je la sens au bout de mes doigts. », murmura-t-il.
« Quoi donc ? », demandèrent Ladruu et Usarahk en choeur.
« La forêt... », répondit Loa, « Moi aussi, je la sens. »
Thäan acquiesça.
Loa sourit doucement et s'accroupit à côté du jeune homme.
« Tes yeux ont pris une nouvelle couleur, ils sont vert clair. »
Thäan regardait autour de lui. La couleur de ses yeux avait changé, mais aussi son regard. Il semblait rempli d'innocence, comme s'il découvrait pour la première fois une grande forêt.
Alors qu'il se relevait, une mésange vint se poser sur son épaule.
Adanay intervint.
« Excusez moi mais le temps presse... »
Mais Thäan ne l'écoutait pas, il continuait à regarder, écouter et sentir les environs.
« Qu'est-ce-qu'il t'arrive ? Tu ne sembles pas dans ton état normal. », s'enquit Wakao.
« Cette forêt est vivante », répondit-il, la mésange toujours sur l'épaule.
Il prit une grande bouffée d'air qu'il expira doucement.
« Il y a une clairière non loin. » continua-t-il.
Et il partit d'un pas très rapide. Les autres ne posèrent aucune question et le suivirent.
C'est ainsi qu'ils arrivèrent dans cette magnifique clairière.
Les rayons du soleil tombaient doucement sur l'immense champ de fleurs. Au milieu, trois grands troncs morts s'entrelaçaient en une arche naturelle recouverte de volubilis aux énormes fleurs bleues.
Contrairement à ses compagnons, Thäan ne s'était pas arrêté et avait continué à marcher pendant quelques secondes. Il leva la tête et ferma les yeux. Une petite brise se leva et traversa la forêt, emportant avec elle des multitudes de pétales de fleurs et de pollen qui traversèrent la clairière.
L'herbe verte et fleurie entra dans une danse magique. Le jeune homme écarta les bras doucement, se laissant porter par le vent.
Il ouvrit chacun de ses sens au maximum mais garda les yeux fermés. Un léger frisson le parcourut quand sa magie se réveilla et entra en résonance avec la nature. A la frontière entre la clairière et la forêt, le reste du groupe aperçut plusieurs animaux qui se rassemblaient.
Plusieurs familles de lapins sortirent de leur tanière et des cerfs aux grands bois, des renards ainsi qu'un nombre incalculable d'oiseaux qui se posèrent alentour.
Malgré ses habits, Thäan sentait les moindres mouvements de tout ce qui l'entourait. Tout autour de lui respirait la paix et la tranquillité, pourtant, la sensation de malaise se fit plus précise dans cette clairière.
Il ne savait pas précisément ce que c'était, mais il sentait comme une force sombre quelque part au nord-ouest de la clairière.
Derrière lui, les quatre polymorphes ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait. Thäan n'était pas très prolixe sur son passé, mais Wakao et Loa en savaient assez pour expliquer beaucoup de choses. Ainsi, ils leur expliquèrent les liens de Thäan avec la Magie et leur enjoignirent d'éviter de poser des questions à l'intéressé.
Wakao et Loa laissèrent assez de portes ouvertes à leurs interlocuteurs pour qu'ils comprennent plus qu'il ne leur était dit.
Ne'h et Adanay se regardèrent avant de poser leurs yeux sur le jeune homme aux griffes. Ce dernier était toujours les yeux fermés et les bras en croix.
Le chat garou s'approcha doucement du jeune homme en transe. Quand il fut assez près, il s'arrêta et regarda le jeune homme sans bouger ni faire de bruit. Les yeux jaunes fendus scrutèrent longuement le fils de Keld.
Wakao, inquiet, demanda à Adanay
« Que fait-il ? »
« Il juge Thäan. », répondit-elle, « Il faut comprendre que depuis ce qui est arrivé à notre village, on a un peu de mal avec ce qui représente la magie. »
Le reste du groupe pénétra à son tour plus loin dans la clairière. Entre la traversée de la forêt et la transe de Thäan, la journée était sur son déclin. D'ici quelques heures, le soleil atteindrait l'horizon.
Les ombres commençaient déjà à s'allonger et Adanay n'avait pas vraiment envie de se retrouver en terrain découvert en pleine nuit. Elle s'approcha de Ne'h.
« Il faut qu'on quitte cette clairière, se faire surprendre par la nuit ne serait pas vraiment bénéfique. »
« Ne t'inquiète pas. », fit Thäan, « S'il y a un endroit sécurisé, c'est bien celui-ci. »
Le jeune homme regardait Adanay droit dans les yeux. Ses iris avaient repris leurs mouvements arc-en-ciel.
« Ce que j'ai sentit tout a l'heure comme de la vie était en fait de la Magie. », dit le jeune homme, « Cet endroit n'apparaît sûrement pas sur les cartes. »
« Je suis d'accord avec notre jeune ami. », fit Loa, « Cet endroit est spécial, la charge constante de Mah-na est très forte... »
La jeune femme s'approcha de l'arche et posa les mains dessus. Les images qu'elle vit lui firent lâcher prise. Ici même avait eu lieu le massacre de plusieurs dizaines de personnes.
« Toi aussi tu les as vus ? », demanda Thäan.
La jeune femme acquiesça.
« Vous nous expliquez ? » demanda Usarak.
Ne'h regarda son confrère.
« Tu ne sens pas toute la Magie qu'il y a dans ce lieu ? », demanda-t-il. « Il s'est passé certaines choses ici et la puissance développée lors de cet événement est assez sensationnelle. »
« Le sentiment de malaise ? », demanda-t-il.
« Oui. », répondit Thäan, « Comme le dit Ne'h, il a tant de résidus que tout être lié à la Magie est forcément attiré par ce lieu et c'est aussi pour ça que ce lieu est sécurisé. »
« Gnein ? », firent Usarak et Ladruu.
« Si nous sommes entrés dans cette partie de la forêt...», expliqua Thäan, « c'est que la forêt nous a acceptés. Rappelez-vous ce que Lyokham a dit lorsque nous sommes sortis de chez lui, c'est la forêt qui nous accepte, pas l'inverse. C'est lui qui m'a appris presque tout ce que je sais et notamment que la Magie est une partie intégrante de la Nature, c'est Elle qui dicte les lois. Sans la Nature, aucune évolution n'aurait pu être possible. »
Il continua d'une voix grave.
« Ici a eu lieu un événement si violent que notre environnement en a gardé des séquelles. Vous ne trouvez pas que cette clairière est vraiment florissante ? Il n'y a rien qui vous choque ? Nous marchons sur des cadavres ! Cette clairière a servi d'autel et de sépulture à plus d'une centaine de personnes et l'arche que nous voyons là est en fait un monument à la mémoire de ceux qui sont morts ce jour-là ! »
Entendant cela, Usarak et Ladruu sautèrent légèrement sur place.
« Comment sais-tu tout cela ? », demanda Adanay.
« Très bonne question. », répondit Thäan, « Je n'en suis pas vraiment sûr, mais depuis le réveil des pierres sur mes bracelets, mes sens sont beaucoup plus affinés. Ici, les résidus magiques sont si forts que je vois presque les fantômes des disparus. »
Il tourna la tête comme si quelqu'un l'appelait. Son regard se perdit au nord-ouest quelques secondes. Il cligna des yeux et revint vers son interlocutrice, en jetant un oeil à Ne'h au passage. Ce dernier lui fit un signe de la tête pour confirmer ce à quoi pensait Thäan.
« On va devoir passer la nuit ici. », continua Thäan, « La journée est trop avancée pour continuer. »
« On va en profiter pour refaire nos réserves d'eau et de nourriture. », continua Ne'h, « Des volontaires ? »
Loa et Usarahk levèrent la main.
« J'ai repéré un petit cours d'eau tout à l'heure. », fit la jeune femme rousse, « Et Usarahk a besoin de voir quelles sont les plantes des alentours. »
« Je me charge du gibier. », continua Adanay, « Tu me prêtes un arc Ne'h ? »
« Et moi, je vais trouver des baies ou des fruits pour le dessert. », fit Ladruu.
Le chat garou lança son arc moyen ainsi qu'un carquois à la jeune femme qui partit en courant dans la forêt.
Thäan s'afférait déjà à préparer le campement pour la nuit. A côté de l'arche, une partie de la clairière était à nu. Un rectangle de un mètre sur deux de terre et de cailloux.
Thäan posa sa main sur le sol. L'image d'un groupe d'aventurier semblable au leur en plein feu de camp lui apparut. Ce qu'il vit ensuite lui fit rompre le contact avec la terre.
« Tu as vu quelques chose ? », demanda Ne'h.
Thäan ne répondit pas, mais se tourna vers son compère à poil roux.
« Toi aussi tu l'as senti, n'est-ce-pas ? », continua Ne'h, « Ce lieu est maudit et je ne comprends pas pourquoi tu veux qu'on reste ici. »
« C'est pourtant simple, je sais que tu sens toi aussi ce qu'il y a au nord-ouest, cette zone d'ombre qui semble vivante. »
Thäan continuait d'installer le bivouac en parlant.
« - Plus le temps passe et plus mes sens s'aiguisent. Je commence à entrevoir beaucoup de choses autour de moi et s'il y a un truc de sûr, c'est que cette zone d'ombre n'est pas naturelle.
- Et tu penses que passer la nuit sur un lieu de culte, de sacrifices et de sépulture serait mieux ?
- Ne'h, je croyais que les chats avaient de l'intuition et savaient "voir". Depuis qu'on est entrés ici, ton poil n'a pas bougé, tes yeux sont toujours calmes, tu sais au fond de toi que ce lieu n'est pas dangereux. Quand j'étais en transe, je sentais tout ce qu'il y avait autour de moi et si je suis sûr d'un truc c'est qu'ici, nous sommes en sécurité. »
Thäan avait le regard droit, il semblait sûr de lui. Malgré cela, Ne'h regardait le jeune homme d'un air sceptique.
Il s'accroupit à côté de Thäan et l'aida à fixer le grand paravent.
Thäan s'assit et fixa son interlocuteur à poil roux. Il comprit ce qui le tourmentait.
« Je ne suis pas un chef, je ne fais que proposer et les autres exécutent. A tout moment, vous pouvez mettre votre grain de sel, si vous n'êtes pas d'accord, je suis ouvert à toute proposition. Mais reconnais que même toi, tu ne sens aucune menace en cette clairière. »
« Oui, c'est vrai que c'est un endroit calme. », avoua-t-il, « Mon côté humain se sent bien ici, mais mon côté animal ressent la présence du mana et sa puissance... et ça me met très mal à l'aise. »
Thäan se releva lentement et posa sa main sur l'épaule du chat garou.
« Ca doit pas être facile d'avoir une double personnalité. », fit Thäan.
« Ca a ses avantages. », répondit Ne'h en souriant.
Il se leva et suivit son compagnon pour chercher du bois.

Le soleil allait bientôt toucher la cime des arbres, dans la forêt toute la vie diurne commençait à s'arrêter pour laisser la place à la vie nocturne.
A un peu plus de deux kilomètres de la clairière, à la sortie de la forêt, une caravane de plusieurs chariots avançait doucement.
Strémend, qui dirigeait la caravane, aurait voulu atteindre la prochaine ville, mais deux chariots aux roues cassées avaient grandement ralenti la marche de la caravane.
Ainsi, il avait prévu de s'arrêter à l'orée de la Grande Forêt et d'y passer la nuit avec tout son équipage.
Alors que le soleil continuait son déclin, les sept chariots s'arrêtèrent et formèrent le bivouac pour la nuit. Rapidement, le feu de camp fut allumé et les femmes s'affairèrent à préparer le repas du soir. Une trentaine de personnes formait cette caravane.
Pour la plupart commerçants, ils vendaient des bibelots, des produits artisanaux ; d'autres assuraient le spectacle avec jonglages, cracheurs de feu...
Le repas battait son plein quand Strémend, qui montait la garde, sentit un vent froid lui caresser l'échine. Quelque chose n'allait pas, il le sentait.
Il regarda vers la forêt puis se retourna vers ses compagnons. Tout ce qu'il voyait était la joie de ses compères, de sa famille. Pourtant, il sentait comme un grand danger autour d'eux.
Alors que l'astre solaire touchait l'horizon, et que Thäan et ses compagnons finissaient leur repas, le groupe de Strémend avait fini de préparer les grillades et en distribuait à qui en voulait.
Ce doit être mon imagination, se dit Strémend.
Il croqua allègrement dans une cuisse de lièvre et but une rasade de vin. Il se repassa les dernières haltes qui avaient occasionné d'assez grandes rentrées d'argent. Assez pour que chaque famille ait de quoi se nourrir et changer de chariot presque toutes les saisons.
Une branche craqua derrière lui.
Il se retourna d'un geste rapide et sortit une dague qu'il avait dans son dos. Derrière lui, les autres continuaient à festoyer.
Tous les sens aux aguets, il scruta la nuit naissante.
Il sentit une présence derrière lui. Il tourna la tête pour voir ce que c'était...
Rien...
Quelque chose bougea à l'extrémité de son champ de vision.
Il n'eut pas le temps de faire quoique ce soit, une grande main griffue lui saisit la gorge. La main le souleva et l'amena devant un visage.
La tête, énorme, était pourvue de deux grands yeux jaune clair qui luisaient légèrement. Tous les os de la tête étaient saillants au point de donner l'impression qu'ils étaient prêts à sortir de la peau. Celle-ci était quasi-translucide. La lumière du feu derrière Strémend passait à travers l'épiderme de la créature et dévoilait des veines remplies de liquide noir.
Sa mâchoire, longue et pointue se finissait par deux cornes. Cette même mâchoire était traversée par un énorme rictus figeant un grand sourire plein de dents aussi acérées que des couteaux.
Pouvant à peine respirer, le chef de la caravane essaya de bouger, mais la créature serra de plus belle. Ses yeux riaient.
Une douleur effroyable lui vrilla la tête quand le démon Kristalin pénétra son esprit.
Manger !
Strémend comprit rapidement et commença se débattre, il ne pensait pas a lui, mais à tous ses amis, sa famille.
Il entendit le rire sec et sifflant du Kristalin qui fut annihilé par un grand cri de peur et de douleur derrière lui.
Le Kristalin le fit tourner pour lui montrer le campement. Ce que Strémend vit le glaça d'horreur.
Une vingtaine de créatures, identiques à celle qui le tenait par la gorge, envahissaient le bivouac. De là où il était, il put voir précisément à quoi elles ressemblaient.
De grands êtres très maigres aux os saillants. Sur chaque coude et chaque genou, une corne sortait de la peau. Leur maigreur ne leur enlevait aucune force. Les habitants de la caravane se faisaient massacrer. Toute la compagnie essayait d'échapper aux assaillants. Certains tentèrent de lutter, mais en vain.
Strémend vit Diolé, sa femme, attrapée par un Kristalin. Une seconde plus tard, la colonne vertébrale de la femme volait dans les airs.
En quelques minutes, toute la caravane fut décimée. Le Kristalin qui tenait Strémend, le fit revenir face à lui. L'homme tenta de donner un coup de pied mais fut interrompu par la deuxième main du Kristalin qui s'enfonça lentement dans son abdomen.
Strémend sentit la main déchirer sa ceinture abdominale, traverser le péritoine, puis se refermer sur les intestins.
La dernière chose qu'il sentit, ce fut une main qui fouillait son ventre. Il mourut alors que le Kristalin lui arrachait les boyaux.

Plus loin au sud-est, Thäan et Ne'h se retournèrent en sursaut, un frisson leur parcourant l'échine.

Drizzt

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