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Ailleurs...

Ailleurs... : Partie 1 - Reconnaissance et Oubli

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Livre II


Nicolas passa, comme chaque matin depuis le soir tragique de la mort de son maître, par la salle de la Fontaine. Il avait pris l'habitude de toujours traverser cet endroit quelque fut sa destination finale. Un moyen peut-être de rendre hommage à Jordan, peut-être aussi un moyen de ne pas le laisser partir. Ce matin-là était un peu particulier, il s'arrêta alors qu'il n'était déjà pas en avance, devant la plaque de marbre qui indiquait :

« Première Esopolis, créée par l'image qu'en avait Jordan Lewis, Premier Archimage d'Entre-Monde. »

C'était en effet un bel édifice, le ciel, le vent, des saisons parfaitement réglées : des pluies au printemps, du soleil en été, du vent en automne et de la neige en hiver. Un environnement composé comme du papier à musique, peut-être un peu trop parfait, mais, pour un premier essai c'était un coup de maître.

Nicolas, regarda la plaque un moment et sourit, tristement.

« Ca fait trois ans, tu sais. », dit-il, « J'aurais tant aimé que ce qu'a dit la Dame soit réalité. Mais, je n'ai pas eu le courage de faire pour toi ce que tu avais fait pour moi. J'espère que tu pourras me pardonner un jour. »

Il refoula ses larmes et passa ses doigts sur la pierre froide, qui lui rappela le visage de Jordan, les yeux ouverts sur les flux de mana qui virevoltaient autour de la fontaine après que Vincent, Stephane et lui, Nicolas, avaient accompli l'incroyable : créer un monde de toutes pièces. Il n'avait réussi à voir le visage de son Maître, figé par la mort, que quelques instants avant de sombrer dans l'inconscience liée à son acte de haute magie. Lorsqu'il était revenu à lui, près de 78 heures plus tard, les Archimages lui avaient expliqué qu'il ne restait plus que quelques poussières du corps de Jordan, consumé par le Mana. Il y avait aussi eu la Dame qui lui avait juste dit : « Tu le reverras. », avant de disparaître de sa vie.

« J'aurais tant... J'aurais tant aimé que ce soit toi qui sois à mes cotés dans quelques minutes. J'aurais tellement voulu que tu me voies enfin atteindre ce que tu pensais être ma destinée. »

Il laissa tomber sa main, et une larme, avant de poursuivre son chemin vers le grand amphithéâtre qui servait maintenant de lieu de rassemblement.

La population de l'Esopolis comptait 924 âmes, des liens avaient été tissés avec les autres Universités qui avaient été capables de créer des havres semblable à celui de France. Il y en avait 42 en tout. Ce qui était loin de contenir l'intégralité de la population éveillée de la planète. Aucune voix ne s'était élevée de la Terre, meurtrie, rien n'avait jamais réussi à passer la protection et les Esos, en opposition aux Norms, étaient devenus des apatrides dans leurs cercles trop parfaits.

Nicolas passa la porte de l'amphithéâtre, il n'y avait là que les jeunes gens qui suivaient les cours de l'université de magie, c'est à dire un bon quart de la population de moins de 20 ans. En haut, les étudiants de 6e année, ainsi que les assistants et les jeunes diplômés qui devaient intégrer un des corps d'élite de l'ésocratie, quelques chercheurs aussi, vieux universitaires restés au sein de l'école qui les protégeait d'un monde extérieur un peu moins "metalogique". Puis, plus l'on descendait vers le bureau du conférencier et plus les élèves étaient jeunes, regroupés par classe et par niveau de connaissance. Cette troisième année d'exil était une grande année pour Nicolas, puisque son jeune frère était là, dans les premiers rangs. Il intégrait l'école de magie en premier cycle. Mais ce n'était pas cette nouvelle qui lui faisait trembler les mains fébrilement.

« Allons, allons, un peu de calme. », cria Ethan qui avait finalement réussi à trouver un ton réellement sévère après trois ans d'enseignement.

Le silence se fit. Nicolas descendait encore les marches, l'une après l'autre sans s'arrêter auprès de ses camarades de classe qui le regardèrent de travers. Il portait ce jour là un pantalon à pince, un paire de chaussures de ville et un pull en laine blanc sur lequel était jeté un manteau de laine noire. Ces cheveux, tressés en entrelacs complexes blanc et noir glissaient dans son dos, jusqu'au haut de ses hanches. Il déposa son sac de cours auprès de Samir et Anaïs ses deux seuls amis qui lui firent une place, mais il se contenta de sourire doucement et reprit la descente vers la chaire. Il se sentit envie de rire lorsque leurs visages se tintèrent de stupeur.

« C'est aujourd'hui l'heure d'ouvrir cette 4e année de cours de l'université de France. », annonça solennellement Stéphane, « Mais avant de poursuivre par la présentation des modules qui vous seront proposés ainsi que des professeurs qui vous seront assignés, nous voulions faire, Ethan, Vincent et moi-même une petite mise au point. »

Quelques murmures passèrent dans la salle, le rituel d'ouverture de l'année était déjà normalisé et immuable.

« Nous voulions... », poursuivit Stephane, « ...vous informer, ainsi que nos amis les journalistes... »

Il indiqua le devant de l'estrade.

« ... de la réalité des faits, concernant la mort de Jordan et la formation du Mandala qui soutient notre Esopolis. »

Cette fois, les murmures se firent plus présents. Ethan n'eut qu'à hausser un sourcil pour que le calme revienne.

« - Comme vous avez pu l'étudier tous à divers degrés, » poursuivit Vincent, « le Mandala requière la force combinée de trois Archimages pour s'éveiller, et comme vous l'avez entendu dire, Jordan est tombé lors des premières minutes de la création. »

« - Plusieurs personnes ont fait circuler l'idée que ce fut moi, », enchaîna Ethan, « qui prit la place de l'Archimage pour finir le Rituel. Malheureusement, je suis du Peuple de l'Automne et je n'ai pas la possibilité d'unir mon pouvoir avec les Magiciens. Nous avons toutefois, par mesure de précaution mais aussi pour sa tranquillité d'esprit, laissé courir ce bruit. »

« - Nous avons tous trois le plaisir, et l'honneur, de remettre la vérité à la place où elle devrait être, et d'accueillir un troisième Archimage au poste qu'il devrait occuper. », continua Stéphane.

Nicolas, les mains dans le dos, se trouvait maintenant au pied de l'estrade, le coeur battant la chamade.

« A la suite de Jordan Lewis, fondateur de l'université Esotérique de France, et par l'acte de haute magie dont il a fait preuve devant témoin, le conseil ésotérique nomme le 4e Archimage, Monsieur Nicolas Kaplan. »

Il monta tranquillement les trois marches qui donnaient accès au pupitre de l'orateur, laissant s'égrainer le bruit des voix qui dissertaient déjà sur les implications que poserait la nomination d'un archimage si jeune, des raisons d'un si lourd secret, mais aussi des diverses conjectures sur l'avenir qu'il allait avoir.

« Je suis heureux, que la charge d'Archimage me revienne maintenant. », dit-il d'une voix forte et assurée, « Car il est évident que je n'aurais certainement pas réussi à l'assumer à la mort de mon ami et mentor. J'aimerais lui dédier quelques mots, puisque son esprit est invoqué par cette situation. Il est vrai, comme viennent de le dire Stephane et Vincent, que j'ai offert mon énergie et ma vie pour la création de cette structure que l'on appelle actuellement Esopolis, toutefois, ce n'est pas moi qui ai réussi à mettre au point le rituel, ni imaginer, ou prévoir qu'il serait nécessaire. »

Il fit une pause qui, étrangement, ne fut pas remplie d'un vrombissement.

« Celui qui porte cette cité sur ses épaules et qui protège nos vies des affres de la xénophobie, c'est Jordan Lewis et personne d'autre. », ajouta-il avec conviction, « J'ai entendu des personnes, des professeurs même, douter en public du bien-fondé des théories et des actions de Jordan, et par là, douter de ma vie même puisque je la lui dois. Alors messieurs, prenez mes premiers mots comme Archimage comme un acte de foi. Je crois que la force est le recours des lâches. Je crois que la magie est une puissance de création et l'âme humaine une énergie de destruction, mais que l'inverse est faux. Et je crois aussi, ce qui serait facile à démontrer, que personne de notre lignage ne serait capable de vivre civilement sur la Terre que nous regrettons tant. Nous vivons dans l'unique endroit qui nous permettra de construire la réhabilitation de nos croyances en l'énergie de la magie, et cet habitat est la création de Jordan Lewis. »

Une nouvelle pause, et cette fois, une partie des auditeurs applaudirent.

« Vous attendez certainement que je vous dise ce que sera le devoir de ma charge. », poursuivit-il sans attendre, « Alors, ma vision des choses est que l'étude est un pas indispensable à la réussite, dans l'Art de la Magie comme dans le reste, mais cet art demande aussi une harmonie que l'on n'acquiert qu'en sachant prendre des risques, le risque d'essayer et de réussir. Mon souhait le plus cher est que plus personne n'ait peur de posséder le pouvoir du Mana en lui. »

Pour ponctuer la fin de sa dernière phrase, il laissa libre court au feu-mana qui ne l'avait jamais quitté depuis l'activation du Mandala et ses yeux laissèrent échapper deux énormes langues de flammes magiques, plus spectaculaires que dangereuses.

*
**

« Tu ne dois pas dormir ici, éveille-toi... », disait la voix dans sa tête.

Il se força à ouvrir les yeux. Il était gelé. Son corps, couché contre le sol froid commençait à se raidir. Il comprit qu'il était en danger. Il se leva difficilement et se dirigea vers le supermarché le plus proche. Il était fermé pour la nuit, mais lorsqu'il posa la main sur la porte vitrée de l'entrée, elle s'ouvrit pour lui offrir un abri. Il regarda le thermomètre dans la vitre de la pharmacie qui se trouvait à sa gauche. Il indiquait -8 °C. C'était la raison la plus évidente de son malaise. Mais, il regarda ses mains, petites et à la peau noire. Elles lui parurent incongrues. Il chercha une explication à ce sentiment mais n'en trouva pas.

« Je suis... », dit-il pour s'entendre.

Ca non plus, ça ne collait pas, sa voix était trop aiguë, trop jeune. Il passa les mains sur son visage, trop lisse, trop maigre aussi, puis se regarda dans la vitrine. Il vit un jeune garçon, d'une dizaine d'années, le regard violet et la peau sombre, l'air perdu, des dreedlocks tombantes jusqu'à ses épaules. Il ne se souvenait pas de lui, pas de cette image, pas même de son nom, il n'était pas lui-même et ses yeux étranges, c'était des yeux d'Eveillé, mais il n'avait pas le souvenir d'être un Eveillé.
Il s'affala près du radiateur, loin de la porte en verre qui servait d'entrée au magasin pour tenter de se réchauffer. Son corps réagit plutôt bien mais son âme était glacée. Il n'arrivait pas à faire réapparaitre la moindre image de son passé, rien qui puisse lui indiquer d'où il venait. Il regarda ses vétements et explora la dizaine de poches qui s'y trouvait. Il y découvrit une carte de bus avec une photo. La case "nom" indiquait Moïse Varner, un nom qui ne lui disait rien. Au dos, il y avait une adresse : "Institut Heriot, DASS". Aucune image ne lui revint.

Il soupira, perdu dans une brume alimentée par la douce chaleur provenant du convecteur.

Lorsqu'il refit surface des cris provenaient de l'extérieur du complexe. il regarda par la fenêtre et vit quatre hommes taper comme des fous sur un corps au sol. En faisant attention de ne pas se faire remarquer, il sortit et s'approcha de la scène.

« Alors comme ça, on est de sortie, sale mutant. », ricana un des bourreaux en ponctuant sa phrase d'un coup de pied dans les côtes de la victime, au sol.

Un autre porta sa bouteille de bière aux lèvres et cracha une partie de son nectar sur le corps dans un fou rire. Il s'approcha et fit la même chose que son comparse.

« Et on passe sur notre territoire en croyant que les esprits vont te protéger contre nous ? HEIN ? », hurla le premier, « Mais les esprits, ils sont partis avec l'université, il y a trois ans déjà. Tu peux plus rien nous faire maintenant ! »

Moïse, puisqu'il s'appelait ainsi, croisa le regard suppliant de l'être au sol. Lui aussi avait les yeux couleur violette, lui aussi avait la peau noire et s'il n'y avait pas prêté attention, il aurait pu croire que c'était son jumeau que l'on maltraitait devant ses yeux. Mais, le garçon était certainement un peu plus vieux que lui, quinze ans peut-être. le coup suivant arriva très vite et le sang fut expulsé de sa bouche alors que ses poumons se vidaient. Moïse sentit une profonde rage s'emparer de lui, et il s'approcha, l'âme bestiale.

« Vous n'avez rien compris, les esprits n'ont rien à voir là dedans, », dit-il d'une voix qui ne cadrait pas avec le physique, « du moins pas ceux qui baignent dans la Magie la plus pure. Il ne reste que les esprits simples dans votre genre pour accabler ceux qui ne peuvent se défendre. »

Les paroles sortaient de sa bouche comme un discours qu'il aurait déjà prononcé, une phrase toute faite, mais une de celles qui ont été vécues.
« Bon sang, regardez-moi ça les gars, on en a deux pour le prix d'un, », cria le plus belliqueux, « une autre de ces petites fées puantes pour nous amuser. »

« Et si c'était notre tour de nous venger ? », murmura Moïse.

Et lorsqu'il ferma les mains en des poings de colère, l'univers autour de lui explosa, l'air se transforma en marée de magma et les flammes qui entouraient maintenant son corps étaient blanches tellement la chaleur était intense. Aucun des trois ne put rien faire, les corps s'éparpillèrent en une nuée de cendres en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et bizarrement, le seul à n'avoir rien subi, c'était la victime.

Moïse se pencha sur le garçon, qui se recroquevilla.

« N'aie pas peur, je sais me contrôler. Je ne sais pas pourquoi mais je sais le faire. », dit-il

Il posa sa main sur la poitrine de la jeune victime et une légère lueur verte en émana. Rapidement, le sifflement saccadé qui en provenait disparu et la toux chargée de sang s'arrêta. Plusieurs os craquèrent pour se remettre en place, ce qui fit grimacer le garçon. Il l'aida à se mettre au chaud, dans son abri.

« Tu cherchais un endroit contre le froid, c'est ça ? », demanda Moïse.

« Oui, », répondit l'autre, « Je viens souvent ici, la nuit, Faizel, le gardien est un chic type, il laisse la porte ouverte pour que je crève pas pendant des nuits comme celle-là. J'm'appelle Joshua et toi ? »

« D'après ma carte d'identité, c'est Moïse, mais je ne me souviens de rien. »

« Bienvenue dans mon enfer, Moïse. Vu ce que tu sais faire, tu dois être mon diable personnel, je signe où ? », dit-il en souriant.

Nehwon

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