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Nels : Histoire d'un mage sans passé : Chapitre 24

Dans un petit salon privé, je prenais un petit déjeuner tranquille afin de recevoir quelques instructions sur la ligne de conduite à tenir durant mes semaines de liberté. J'étais avec Basaïn qui m'expliquait qu'il comptait sur moi pour étudier quelque peu durant ces quelques jours des manuscrits avec de nouvelles techniques ainsi que des recueils de récits de batailles précédentes afin de m'inspirer des stratégies utilisées.
- Vous qui disiez que j'allais vivre comme un jeune homme normal, c'est plutôt comme un amateur de lecture normal que je vais être.
- Je sais bien que ce n'est pas le plus exaltant à faire dans ta situation actuelle mais nous n'avons pas le choix non plus. Le fait que tu sois accompagné ne doit pas te faire oublier que tu es avant tout un Grand Maître de l'Académie. Nous ne pouvons pas nous permettre de te laisser partir dans la nature, vu la situation.
- Et une fois que toute cette situation sera réglée ? Retrouverais-je mon passé ?
- Ecoute Nels, ton passé est loin. Tu devras construire ton futur. Et le futur qui est en train de s'offrir à toi n'a aucune contradiction avec ton passé, si c'est ce que tu te demandes. Tu ne trahirais personne en ayant une nouvelle famille.
- Merci, mon ami. Je pense que je suis attendu pour m'embarquer. Moi qui voulais passer par la caverne des corbeaux...
- Si je peux me permettre, laisse Elanor chez le vieux Jack. Ensuite tu seras libre de tes mouvements pendant quelque temps. Ne t'inquiète pas pour elle, le vieux Jack est toujours d'une grande courtoisie.
- C'est une bonne idée. Nous irons prendre nos chambres et ensuite j'irai voir le peuple de Karasu.
- Tu penses vraiment qu'ils pourront t'aider ?
- Ils l'ont déjà fait. C'est à moi de savoir les convaincre que les Sombres ne sont pas une solution avantageuse pour eux.
- Si les théories sur leur mode de communication sont justes, il se peut qu'ils puissent nous aider à trouver les principales bases des Sombres, ce qui nous faciliterait la tache pour ce qui est de l'attaque.
Nous sortions du petit salon, Zohrskt nous attendait avec Elanor qui était prête à partir.
- Mon oncle et moi avons déjeuné, qu'en est il de toi ?
- Pareil. Nous pouvons embarquer, je t'expliquerai le programme en route.

Le vent souffle, la brise caresse mon visage, et elle fait voleter les longs cheveux d'Elanor. Nous nous étions mis à l'avant du bateau, bien plus grand que la barque habituelle car nous étions partis avec les bateaux qui allaient pour le ravitaillement. Elanor me demanda dès que nous étions montés le fameux programme, que je lui expliquai succinctement, sans parler des corbeaux. Elle fit une petite moue à l'idée qu'elle allait se retrouver seule tout du moins jusqu'au lendemain matin, je comptais en effet passer la journée dans la grotte et ensuite seulement revenir en utilisant la course des Ombres. Elanor et moi bavardions de choses et d'autres sans vraiment en avoir le temps, nos marins étant des pratiquants du Bleu, il leur était facile d'accélérer la vitesse du navire.
Nous débarquâmes enfin au Greyport, après une traversée que je considérais chaque fois comme étant plus courte. Je me rendis directement à la fameuse Auberge des Marins.
- Que l'on ne me dise pas que le revoilà ! Et avec une Dame !, s'écria Jack suffisamment fort pour qu'on l'entende depuis le port.
- Oui me revoilà comme tu dis. Il me faut deux chambres...
- Deux ?, demanda Elanor.
- Oui deux, dit Jack, prévoyant ma réponse.
Ce dernier m'aida à prendre quelques bagages et nous conduisit à l'étage. Il ne parla pas beaucoup tout de suite, contrairement à son habitude mais semblait content de me voir. J'installai Elanor dans sa chambre, contiguë à la mienne, et Jack se permit d'entrer dans ma chambre au même temps que moi, tout en fermant la porte.
- Ca tombe bien que tu sois là mon vieux.
- Que se passe t'il encore ?
- Je sais pas trop mais quelqu'un m'a dit qu'un Sombre voulait se rendre à l'Académie. Un certain Vahirn.
- Il était déjà là bas. Il n'est plus, enfin plus sous une autre forme qu'un tas de cendres.
- Je vois, dit-il avec un grand sourire. Je ne sais pas comment il a pu tromper les contrôles à l'embarquement.
- Rien ne m'étonne de la part de cette racaille. Par contre il va falloir que tu racontes tout plein d'histoires à la jeune femme qui est avec moi.
- Ta femme ?
- Non.
- Ecoute, va faire tes affaires, et ne t'inquiète pas le vieux Jack va lui remonter le moral pendant que tu n'es pas là.

On frappa à la porte, Elanor entra avant que je ne le lui dise. Elle semblait avoir entendu ce que j'avais demandé à Jack, alors elle se plaignit en faisant la moue du fait que nous n'allions pas passer beaucoup de temps ensemble si c'était tout le temps comme ça. Jack, lui prenant le bras, l'emmena en lui expliquant qu'il fallait pas qu'une aussi jolie jeune femme attende un bonhomme aussi pris dans ses journées et qu'elle ferait mieux de venir goûter ses vins doux. J'étais tranquille pour la journée, et je passais à côté d'elle en lui disant à demain, et avant qu'elle n'ait eu le temps de réagir, j'étais dehors.
Une fois sur le port, je vis que l'on chargeait les navires de l'Académie, l'un d'entre eux avait amarré à sa coque une barque pour que je me rende dans la fameuse grotte aux corbeaux. Je naviguai donc, seul cette fois ci, assez inquiet pour mon avenir. Nul doute que Lemba ne m'appréciait pas, et il était du genre à se venger, d'après ce que disait son frère. Or s'il était le chef de l'armée de la Coalition, il aurait plus d'une occasion de me mettre vraiment à mal, et ça malgré ses remerciements si protocolaires. J'étais en vue de la fameuse grotte, et j'y entrai le plus vite possible. L'ancienne barque était toujours là, et j'eus tôt fait de retrouver les oiseaux, toujours dans la même grotte, eux qui avaient cet aspect si triste. Les animaux ont une capacité à sentir les gémissements de la Terre bien mieux que nous, vous n'avez qu'à demander à ceux qui ont déjà vécu un tremblement de terre : les premiers qui sentent ce qui va arriver sont les animaux. C'est ensuite seulement que le ciel devient comme recouvert d'une chape de plomb sombre. En attendant, je me retrouvai à scruter ces animaux qui semblaient moins sereins que la dernière fois, ce qui se notait dans leur langage encore moins aisé :
- Nous, souvenir de toi mage. Mais nous peur désormais. Nous peut être pas pouvoir aider cette fois ci...
- Pourtant, j'ai besoin de vous pour ôter cette peur.
- Ce n'est pas parce dernière fois fut succès, que vous vaincrez le Sombre...
- Je ne suis pas seul. Et je sais que vous vous n'êtes pas seuls non plus.
- Nous savons pas si pouvons faire confiance.
- Et que ferez vous si le Sombre réussit ? Son oeuvre est une oeuvre de destruction, ne croyez pas que vous seriez épargnés. Nous sommes en train de nous allier, nous les Humains avec les Elfes et les Nains... Ne pourriez vous pas faire en sorte de vous allier avec vos frères les autres oiseaux ?
- Nous pas comme Humains, Elfes, Nains. Pas besoin grande occasion pour alliance et aide. Nous aiderons humain, avec tous frères.

Le reste de la journée que je passais dans cette caverne fut consacré à l'étude des divers liens des oiseaux entre eux. Ils m'expliquèrent que je pourrai m'adresser à quasiment n'importe quel oiseau d'ici quelques jours afin d'entrer en communication avec eux, si j'avais besoin d'information. Par contre ils semblèrent peu enclins à ce que quelqu'un d'autre le fasse, si ce n'était à la rigueur Bardéak. Nous étions ceux grâce à qui ils avaient pu constituer quelques réserves de nourriture après tout. Ils me firent la leçon, ils ne parvenaient pas à comprendre comment nous autres les sans ailes pouvions ne pas être alliés tous en permanence que ce soient les Elfes, les Nains, les Humains. Ils ne comprenaient pas pourquoi les Sombres voulaient autant détruire la vie autour d'eux. Je profitai donc de la sagesse naturelle de ces oiseaux, qui avaient grâce à la mise en commun de leurs potentiels réussi à développer une intelligence commune.

La nuit était tombée et je n'avais pas envie d'aller vite dès le départ, j'avais un peu besoin de marcher seul et de faire le point. J'avais réussi ma mission d'annoncer le Grand Conseil, j'avais trouvé les Nains des Hauteurs, j'avais aussi aidé à l'entraînement des élèves. J'avais découvert le mariage de Naëria, alors que la revoir était une de mes motivations premières pour revenir en bon état si l'on peut dire. Tout ce que je vivais jusqu'ici n'était motivé que par mon devoir et, pour une fois que quelque chose d'autre que mon devoir m'interpellait, cet espoir s'était évanoui. Pourtant, dans une chambre d'auberge à quelques kilomètres, il y a quelqu'un qui croit que nous, moi et elle, pourrions vivre sans avoir de devoir... Avant, il fallait pourtant se concentrer sur ce qu'il me restait à faire en tant que Grand Maître. Je ne savais pas encore quelles seraient les séquelles de l'affrontement futur. Il se pouvait même que je ne revienne pas, qu'adviendrait il alors d'Elanor ? Je me décidai enfin à courir, le plus vite possible. Quitte à ne vivre normalement que pour quelques semaines, autant en profiter. J'arrivai au petit matin, comme la dernière fois, sauf que cette fois ci je n'avais aucune charge à accomplir. Savourant cette liberté toute relative, je me rendis droit à l'auberge.
- Alors mon vieux ? On a crapahuté toute la nuit ?
- Oui, et en plus je meurs de faim. Prépare moi un plateau avec un bon petit déjeuner pour deux personnes.
- Viens avec moi, il n'y a pas beaucoup de clients et je pense déjà avoir servi tout le monde.
- Tu veux me dire quelque chose ?
- Viens je te dis.
Une fois dans la cuisine, il commença de préparer des oeufs et diverses autres choses et me regardant fixement me dit :
- Tu ne m'avais pas dit que c'était la fille de Drayde cachottier.
- C'est pour cela que tu m'as entraîné dans ta cuisine Jack ?
- Non, ça c'est pour détendre l'atmosphère. Dis moi Grand Maître Nels, que penses tu de ce tatouage ?
Il me montra son bras gauche. Il portait le tatouage de la société secrète des Vespasiens. Cette société secrète était connue pour son réseau d'informateurs très efficaces, qui avaient beaucoup servi l'Académie à une certaine époque. Malheureusement, l'avènement du Sombre et la difficulté à trouver de nouvelles recrues capables des prouesses nécessaires avaient fait dépérir ce mouvement.
- Dis moi donc, Vespasien Jack, quelles sont les nouvelles ?
- On m'a dit que tu pouvais communiquer avec le vieux Basaïn, de plus loin que n'importe qui...
- Et ?
- Et donc il faut que tu lui fasses mon rapport. Mes informateurs m'ont fait part de grands mouvements de troupes qui quittaient leurs Royaumes vers les Terres Oubliées mais je ne t'apprends rien. Le plus troublant vient du fait que ce ne sont que très rarement de simples soldats qui partent.
- Que veux tu dire ?
- A chaque fois ce sont des hommes qui ont étudié toute la stratégie de l'armée voire dans le cas de Vahirn, qui ont établi toute la stratégie à adopter. Donc ils savent déjà de quelle manière vous allez agir.
- Donc nous sommes en grand danger...
- Tu l'as dit. Le plus grave reste à venir. J'ai pas encore eu confirmation mais un agent m'a laissé entendre que des Chevaliers Noirs auraient été aperçus dernièrement, avec leurs armures de mort.
- Il ne manquait plus que ça... Bon je te remercie, je ferai mon rapport au plus vite.
- Allez, emmène à cette pauvre jeune femme ce petit déjeuner, et fais semblant de ne pas avoir de gros soucis.
- Merci Jack. Non pas en tant que Grand Maître, mais en tant qu'ami.
- Je sais ce que c'est de ne plus avoir de vie à cause du devoir. Nous sommes trop à être passés par là. Le Sombre doit payer non seulement pour les vies qu'il a prises mais aussi pour celles qui ont été gâchées pour le combattre.
J'avais le plateau en main, et j'étais inquiet de la tournure que prenaient les événements. Qu'il y ait une multitude d'Orcs, de Trolls, de Gobelins n'était pas le plus terrible. Ces bêtes féroces étaient dangereuses mais manquaient de réflexion une fois sur le champ de bataille, or les chevaliers Noirs sont non seulement des guerriers redoutables mais des mages en puissance, du même niveau que Vahirn. Je me promis d'ailleurs de me remémorer tout mon combat contre lui afin de découvrir pourquoi je ne l'avais pas abattu plus vite mais avant je comptais bien oublier totalement ma charge et ce pour la journée. Jack m'avait confié un double de la clé de la chambre d'Elanor, j'entrai sans bruit et posai le plateau sur une table. Son visage était paisible quand je la regardai et je ne voulus pas la réveiller trop brusquement. Cependant le fumet du copieux petit déjeuner sembla vaincre son sommeil. Elle s'étira tranquillement et lorsqu'elle me vit se replongea dans son lit au plus vite :
- Ca ne vas pas de m'espionner dans mon sommeil ? Et si j'avais été en train de dormir dans le plus simple appareil ?
- Allons ne fais pas l'enfant. Mets quelque chose et viens donc prendre le petit déjeuner.
- Tu as tout prévu, tu es adorable, dit-elle en me sautant au cou.
Autant quand Naëria m'avait embrassé j'avais été surpris mais, étrangement sans plus, autant j'avais le coeur qui battait la chamade maintenant.
- Tu as passé toute la nuit dehors, je suis furieuse.
- Tu n'imagines même pas à quel point j'étais bien accompagné je pense.
- Et tu te crois malin ? Sers moi plutôt ce petit déjeuner, pour te faire pardonner.
Nous mangeâmes tranquillement, sans nous presser. Elle me regardait bizarrement mais ne disait rien, je ne savais pas pourquoi. Au bout d'un moment l'abcès éclata :
- Tu t'es battu cette nuit, n'est ce pas ?
- Tu n'y es pas du tout.
- Et toutes ces traces sur ta tenue ?
- Tu ne comprendrais pas tout à fait ce que j'ai fait hier et cette nuit. Mais ne t'inquiète pas, mon rendez vous n'était pas aussi sexy que toi, dis-je en clignant de l'oeil.
- Nous partons quand ?
- Dans la journée. Nous en aurons pour une semaine et ensuite nous serons chez toi.
- Mes parents seront heureux de nous voir...
- Pareil pour moi.
- Tu parleras à mon père, non ?
- A quel sujet ?
- Tu es cruel de me demander ça ! Pour la peine je vais bouder.
La candeur de la discussion qui suivit fut très rafraîchissante pour moi, qui avait tellement pris l'habitude de briefings de bataille et de conseils politiques. Je me sentais enfin être quelqu'un qui n'aurait pas tous les problèmes d'une ville à résoudre, enfin ne plus se demander s'il n'y a pas un Sombre embusqué.

C'est ainsi que se déroula cette mémorable semaine qui me laissa un agréable souvenir, parmi les plus beaux que je n'aie jamais eu. C'est ainsi que par une belle journée, je me retrouvai à une des portes de la troisième enceinte :
- Décurion Nels, c'est bien vous ?

Nels

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