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 Autrement...

Autrement... : Partie 4 - Mercurey

Ils étaient arrivés à bon port. Edouard regardait la ferme qui avait été remise à neuf pour servir de centre de vacances. Il n'était pas mécontent d'avoir enfin un endroit pour se poser, il avait de plus en plus de mal avec les voyages traditionnels. Il fit le tour du propriétaire pendant que Luc s'occupait des jeunes.
Il y avait encore cette petite chose qui effleurait son esprit à chaque instant. C'était quelque chose de désagréable, comme une idée qui est si proche qu'on pourrait la toucher sans pour autant arriver à la formuler.

La maison était un ancien corps de ferme qui avait été modifié pour permettre à une vingtaine de personnes d'y vivre agréablement. Aux alentours s'étendaient les montages et la forêt, un peu trop sombres pour le rassurer. La maison avait un air de calme parfait comme beaucoup de ces vieilles pierres cachées dans les campagnes. Il n'arrivait pas à voir le soleil couchant comme une belle soirée d'été. La couleur douce du soir n'arrivait pas à faire disparaître cette sensation de son esprit.

Il finit par retrouver le groupe qui se préparait à faire à manger.

Elisa regardait avec attention Luc préparer une salade pour en faire un plat complet. C'était une jeune fille métisse, aux yeux verts et au sourire improbablement fixe. Elle semblait toujours joyeuse, pourtant son regard disait autre chose. Edouard ne savait pas lire dans les esprits mais il savait comprendre les choses entre les lignes.

- Qu'est-ce que tu faisais, Edward, on a encore un peu de pain sur la planche avant le dîner !
- J'ai fait le tour du propriétaire. Je ressens comme une oppression depuis que nous sommes arrivés.

Il tourna les yeux vers l'étang qui se trouvait près de la maison, Maxime menait la conquête du territoire avec Nathan et Sarah. Maxime était le plus grand, par la taille comme par l'âge, du groupe. Il avait le style casse-cou qui faisait dire à Edouard qu'il n'avait pas autant d'assurance qu'il voulait bien le faire croire. C'était un colosse de près d'un mètre quatre vingt, à la largeur d'épaule impressionnante et à l'esprit aiguisé. Nathan était le gamin du groupe, seulement douze ans alors que les autres approchaient tous des quinze. Il avait pris Maxime comme modèle ce qui provoquait parfois des catastrophes car il n'était pas aussi solide que lui. C'était un garçon assez petit, même pour son âge, aux yeux marron pétillants et à la candeur de l'enfance. Sarah, quand à elle, était une belle jeune fille de 14 ans à l'air rebelle et aux réactions de garçon manqué. Luc disait en plaisantant qu'elle devait avoir une autre raison de suivre Maxime de si près.

Tim et Kevin, des jumeaux de quatorze ans, étaient encore dans les chambres quand il les avait quittés. C'est Gwenne, une jeune fille aux cheveux couleur paille et aux yeux incroyablement bleus qui vint lui prendre le bras, pour le faire sortir de ses pensées.

- Je crois que Julian ne va pas bien. Il est près de la forêt avec Stéphanie. Elle voudrait que tu viennes.
- Elle ou lui, demanda Edouard sentant les ennuis commencer.
- Je ne sais pas trop, c'est elle qui m'a demandée de venir te chercher.

Il soupira et il emboîta le pas. Lorsqu'ils arrivèrent sur place, Stéphanie était installée près d'un garçon aux cheveux noirs mi-longs qui cachaient son visage à cet instant précis. Il était installé le dos contre la roche, ses jambes serrées contre lui. Son téléphone portable était abandonné près de lui.

Edouard comprit instantanément que le problème n'était pas physique, Julian était un garçon plein de santé. Il lui fallut moins d'une seconde pour comprendre qu'il pleurait.

*
**

Jordan regardait attentivement les personnes qui se trouvaient autour de la table. Les discussions le lassaient profondément. Entre un crétin du très jeune ministère du troisième monde, qui ne semblait rien savoir du monde de la magie, et 12 mages, sorciers, shamans ou oracles qui parlaient pour eux-mêmes histoire de garder le peu de pouvoir qu'ils avaient sur la communauté qu'ils géraient, les débats ne pouvaient pas être très fructueux.

- Qu'en pensez-vous, Archimage Jordan ?, lui demanda-t-on.
- J'en pense que je suis en train de perdre mon temps.

Le silence se fit dans la pièce, enfin. Certains semblaient outrés de cette réaction, d'autres esquissèrent un petit sourire, mais tous revinrent à des dispositions plus calmes.

- Vous êtes en train de discuter sur un moyen de légiférer sur la magie, mais cette question est hors de propos, commença-t-il dans un but d'explication, vous ne pourrez pas écrire des lois qui régissent la façon d'être d'une personne. Je ne parle pas de son comportement ni de ses croyances, je parle de son être profond.
- Que pouvons-nous faire alors ?
- Utilisez les ésotéristes pour qu'ils fassent respecter les lois qui existent déjà parmi vos forces de police. Vous ne pourrez pas faire respecter des lois qui sont contre la liberté d'existence ou nous retournerons vers le génocide de la guerre de 1939 - 1945, à la différence que les juifs n'étaient pas capables de faire exploser un bâtiment à la seule force de leur pensée. Peut-être aurait-ce été différent dans ce cas d'ailleurs et aurions-nous sauvé des millions de vies humaines.
- S'il n'existe pas de lois concernant les pouvoirs magiques, ça va être le chaos.
- Parce que vous croyez sans doute, M. - Jordan se pencha pour lire son badge - M. Fortplaine que nous naissons à la magie en choisissant nos pouvoirs ou la capacité que nous avons de faire de la magie ? Personne ne sait actuellement comment s'éveille un mage, un loup-garou ou une fée au troisième monde. Nous avons des centaines de scientifiques et de mages qui travaillent sur le sujet depuis près de deux ans et ils n'ont toujours pas la moindre ombre d'explication. Comment pouvez-vous nous proposer une loi qui condamnerait un être simplement parce qu'il est né avec telle ou telle capacité ?
- Ce n'est pas ce que dit le texte, il ...
- Attendez, l'interprétation est facile, ce texte parle du Mana comme si nous en avions le contrôle. Un enfant qui viendrait de s'éveiller pourrait, sans le vouloir provoquer des dégâts importants par magie. C'était déjà arrivé. Ca m'est arrivé pour être plus exact. Dans ce cas, votre « principe de précaution » voudrait qu'on enferme cet enfant jusqu'à ce qu'il puisse contrôler son pouvoir. Le problème c'est que si cet enfant est un mage alors il ne contrôlera jamais le Mana complètement, il sera donc toujours potentiellement dangereux. Vous comptez donc nous enfermer tous à vie par souci de « précaution » ?
- Je... Je vais reporter vos réticences au gouvernement qui attend mon rapport sur le sujet.
- Faites donc, mais j'aimerais aussi rencontrer le Président, j'aimerais lui parler des problèmes qui vont potentiellement intervenir quand l'opinion publique sera au courant de ce type de manoeuvre politique.

Le silence devenait pesant. Beaucoup des autres ésotéristes regardaient Jordan en hochant la tête d'approbation.

- Vous savez où en est une certaine partie de la population des « norms » n'est-ce pas ? La peur xénophobique que cette population a pour nous ne va certainement pas s'éteindre en entendant que nous sommes « coupable d'exister », ne croyez-vous pas ?
- Je crois que je vous comprends pleinement maintenant, Archimage.

Le délégué se leva pour se diriger vers la porte.

- Je vais rapporter fidèlement vos propos aux membres du gouvernement et à M. le Président, je lui ferai aussi part de votre demande de rendez-vous.

Jordan se leva et serra la main de l'homme. Sa vision de l'avenir ne put lui prédire ce qui allait se passer, il était incapable de dénouer l'écheveau des fils du destin. Lorsque le délégué fut parti, il se laissa tomber sur son siège. L'un des autres ésotéristes se leva pour prendre la parole :

- Nous devons envisager de nous préparer à défendre nos vies et nos populations, Messieurs.
- Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution pour éviter le conflit, Mercurey, le reprit Jordan. Nous venons de tenter de lui faire comprendre qu'il nous mettait dans l'embarras si cette loi était votée. Ne penses-tu pas que tu risques de les alarmer et par là même de faire voter la loi ?

Jordan releva les yeux et affronta ceux de son adversaire. Albert Mercurey était un partisan de la guerre des races, Jordan le savait. Il était d'autant plus dangereux qu'une escalade serait assez simple si une chose aussi stupide que la loi sur la restriction des pouvoirs venait à être votée.

- Mais je suppose, reprit Jordan, que tu ne vas en faire qu'à ta tête, comme d'habitude.

Les yeux des deux hommes étaient assassins. Généralement, personne ne se mêlait de ce type de joute de peur de s'opposer à l'un des deux. Cette fois, ce fut différent.

- Je ne préparerais certainement pas une guerre tant que la paix est encore possible, désolée, Mercurey, dit vivement Aura, la seule femme du conseil des Esotéristes.

Plusieurs autres voix s'élevèrent pour signifier leur accord. Jordan reposa les yeux sur le texte de loi qui s'étalait devant lui, les doigts croisés, le menton posé sur ceux-ci. Il supposa que si l'avenir lui était si impossible à découvrir c'est qu'ils devaient l'écrire à ce moment même.

- Je vous prédis un désastre, reprit Mercurey sur un ton plus populaire, ils ne s'arrêteront pas en si bon chemin, ils nous extermineront tous comme des rats.
- Arrête un peu de dire n'importe quoi, tu ne peux rien prédire du tout dans le flou du destin, certainement pas toi et tes capacités limitées sur le sujet. Tu as bien des pouvoirs Mercurey, mais laisse-moi la Divination et arrête de nous prendre pour tes ouailles fanatiques. Tu sais parfaitement que nous avons une vision plus globale du problème et que faire le mouvement que tu suggères actuellement nous mènera à la guerre civile, contra Jordan
- Je suis de l'avis de Jordan, reprit Aura. Je ne veux pas voir des émeutes dans les rues parce que j'aurais suivi tes conseils, Mercurey. Chaque fois que j'ai fait le choix de te suivre, ça s'est retourné contre moi et contre les gens que je suis sensée protéger. Pas une fois de plus.

Jordan venait de mettre aux voix, imperceptiblement, une motion de défiance contre le président du conseil, Mercurey. Les mains se levèrent, les unes après les autres, comme une sentence inévitable. Ce fut Jordan qui termina le cercle. Mercurey explosa de rage.

- Nous verrons bien quand ce pays, ce continent, ce monde sera à feu et à sang si je n'avais pas raison, cria-t-il en rougissant de colère.

Il écrasa son poing sur la table.

- Vous le paierez tous.

Jordan se leva d'un bond.

- C'est une menace ?, cria-t-il.

Cela transforma l'atmosphère en une sorte de gelée glaciale, ralentissant les corps et gelant les âmes. Aucun des Esotéristes n'avait jamais vu Jordan se mettre en colère ni même perdre son sang-froid.

- Je suis près à t'affronter, politiquement, médiatiquement voire magiquement si tu t'engages sur cette voix et, si tu nous conduis à nous résigner à faire ce que tu suggères être l'avenir, je te promets que c'est toi qui le payeras dans un « Certamen Morte ».

Ses yeux brûlaient littéralement. Nicolas, assis dans un coin de la pièce, avait presque peur de lui maintenant.

Mercurey prit ses papiers et battit en retraite aussi vite que possible, la fureur encore accrochée à son visage.

Le silence se fit et Jordan soupira. Il avait toujours haï Mercurey et ses airs supérieurs, ses réflexions racistes et ses idées jusqu'au-boutistes. Maintenant qu'il l'avait défié, il savait que ce serait le pire de ses ennemis. Bien que ses pouvoirs n'égalaient pas ceux de Jordan, sa plume et sa verve étaient certainement bien pires que tout le reste.

- Il va nous falloir un nouveau président, annonça Aura pour briser la glace.

Nehwon

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