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Choses sérieuses... : Une vie

"Une vie...

Une vie de Rimbaud ? Une vie de Rambo ?
Une vie de ringard ? Une vie de rencards ?
Moi qui suis là-haut, je peux vous dire que j'en ai vu défiler, des vies...
Et des morts. Des millions de personnes.
J'en vois plusieurs centaines par jour, des individus qui passent de vie à trépas.
Où je suis, la vie (si je puis encore parler de vie) se déroule lentement. J'ai perdu la notion du temps. Le seul de mes six sens que j'ai conservé, me semble-t-il, est la vue. Je parle, on ne m'écoute pas ; j'écoute, on ne me parle pas ; je mange, cela n'a aucun goût. C'est la même chose pour tout.
J'ai gardé mon âme.
Solitude, donc. Extrême solitude, qui me ronge jour et nuit, jours et nuits. Je ne dors pas.

Cette faculté m'a été confisquée. Je vis comme un ascète, en quelque sorte. Il ne me reste plus qu'une chose à observer : les humains.
Je les vois tous les jours à toute heure. Quand je le veux. Et quand je ne le veux pas. Ils s'imposent à moi sans vergogne et en toute impunité. Je les vois se battre, s'aimer, s'amuser, et, comme moi, s'ennuyer. Cela me rapproche d'eux.
Ils gâchent leur vie, en fait. Tous. Aucun d'entre eux ne sait profiter pleinement du temps qui leur est offert.
Ils s'imaginent, voire s'imposent, un substitut de bonheur, un ersatz de joie, en toute situation.
Ils appellent cela l'optimisme. C'est, pour eux, le fait de chercher le bien au fond de tout malheur. C'est, pour moi, le fait de cacher sa souffrance sous une muraille d'apparences.
C'est ce que j'ai compris en tout cas.
Je n'ai plus que le loisir (passez-moi l'expression) de la pensée et de la vue, donc.
Cela me laisse le temps de réfléchir... ce qui n'est pas forcément une bonne chose.
Une réflexion sur la vie ne peut pas laisser derrière elle que du bien.
Je ne puis vous dire si je regrette la vie que j'ai menée. Je n'en ai pas assez profité, certes, mourir jeune n'est pas de tout repos (sans mauvais jeu de mots). Quand je vois la manière dont évoluent les individus au fil des ans, je me dis que ce n'est pas plus mal.
J'en suis aujourd'hui réduit à les regarder au quotidien. Une vague de voyeurisme me pousse à le faire.
Je ne comprends rien à leur vie. Je m'imaginais beaucoup d'autres choses. D'autres réalités que cette hypocrisie, cette haine... Je voyais plutôt une vie d'amour, de sincérité. Une vie sans encombres.
L'amour.
Il a causé ma mort, indirectement. La plus belle chose du monde : un "je t'aime". On s'habitue rapidement à cette belle preuve d'amour.
Trop rapidement.
Le jour où deux vies basculent. Une vie disparaît, emportant avec elle tous ses "je t'aime". Une autre s'affaiblit, en manque de "je t'aime".
Mourir d'amour.
Elle essaie, cette âme perdue, de se raccrocher à d'autres choses, plus ou moins futiles.
En vain.
Les vies complémentaires.
Inséparables.
L'une disparaît, l'autre suit.
Je n'ai pas eu de vie.
Mais...

Je vois défiler des vies... Et des morts. Des millions de personnes...
J'en vois plusieurs centaines par jour, des individus qui passent de vie à trépas.
La télévision.
La télévision me montre cette atrocité. Cette mort. N'en suis-je pas assez conscient ? Ne l'ai-je pas déjà à l'esprit jour et nuit pour que l'on vienne me la rabattre sur les oreilles à longueur de journée?
Mes sens... Et le système.
Quelle aberration que ce système. J'en suis prisonnier. Il ne me reste plus que la vue.
Je ne puis m'exprimer librement. Plus de liberté.
Je vois les individus toute la journée.
La télé réalité.
On me l'impose, on en parle et on la montre partout. Je vois les personnes quand je veux les voir et quand je ne le veux pas.
La réalité.
Je suis ici. Je suis vivant. Je me croyais parti.
On me parle, on m'entend, je suis vivant.
On m'oublie, on m'ignore, je suis mort.
Une mort, je le souhaite, pour la paix.
Une mort que je cherche toujours.
Une mort que j'ai méritée.
Une mort par amour.
Une mort..."

Zeke

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