D, comme ... : 05 - Destruction

These wounds won't seem to heal
This pain is just too real
There's just too much that time cannot erase

"My Immortal", Fallen, Evanescence.


Boston, Williams Street, 6 février 2006, 2 heures du matin.

Adam regarda par dessus son épaule, Lisa le suivait avec souplesse. Elle portait, comme lui, une combinaison noire. Son visage, masqué par le maquillage sombre et un bonnet noir, était marqué par le stress. C'était sa première mission.

Leur but était le huitième étage d'un grand hôtel du centre-ville, le Golden Lion. L'intégralité de l'étage avait été loué il y a peu par une personne, Loreene McLeena, morte depuis plus de dix ans. Adam supposait que la Mère avait repris du service, il voulait comprendre pourquoi. Maintenant, il voyait les fenêtres illuminées du grand hôtel. Il était bien sûr impossible de lancer une attaque directe. Il fallait prendre quelques précautions et surtout tenter une approche moins abrupte.

Il s'accouda au muret qui faisait le bord du toit et regarda dans ses jumelles. Pas de garde, pas de sécurité, pas même une petite caméra à cet étage, très étrange, de plus en plus étrange. Lisa venait de s'agenouiller près de lui, encore fébrile, mais pleine d'adrénaline. Elle avait perdu ce visage désabusé qui avait tant choqué Adam lors de leur rencontre. Il était devenu dur et déterminé. Il se disait qu'il n'avait peut-être pas fait que du mal en la prenant sous son aile.

Son communicateur crachota.

« - Adam, Lisa, je suis connecté, y'a rien à voir dans ce bâtiment, je n'ai aucun accès aux caméras de cet étage, s'il y a un circuit vidéo, alors il est très bien caché ou simplement interne à l'étage uniquement. », dit la voix crachotante.

« - D'accord, Ange, monte-nous rejoindre. », dit Adam.

Ce gamin était bon, bien plus qu'il ne l'aurait cru au départ, c'était un vrai génie qui n'avait demandé qu'un peu de ténacité pour se libérer. Il avait été marqué par la mort de son frère mais ne semblait plus en vouloir particulièrement à Adam. Il semblait au contraire le vénérer. Ce qui le gênait particulièrement puisqu'il lui semblait que vénérer un démon, même une moitié, était une erreur monumentale.

Ange lui rappelait son propre regard sur Luc alors qu'il était encore un ado.


Le refuge dans le Nevada, juin 1992, en fin d'après-midi.

Tonk, Tonk, Tonk

« Azrael, arrête un peu ce bruit deux minutes, le gamin a besoin de concentration. », hurla Luc.

« Bien, Maître, », répondit l'intéressé en posant la hache contre le billot sur lequel il était resté un morceau de bois.

« Ce qu'il peut m'agacer par moment... », ajouta Luc.

Adam réussit finalement à souder les deux fils minuscules à la place qu'ils devaient occuper sur la plaque électronique.

« Terminé. », dit-il simplement.

Luc appuya sur le bouton de son chronomètre.

« 24 minutes, ça n'est pas un record, mais pour une première fois, c'est pas mal. », dit-il, visiblement pas trop mécontent.

Il prit l'objet cylindrique du support attaché à la table, pressa le bouton qui se trouvait dessus. Un compte à rebours de 12 secondes s'afficha. Il garda le cylindre dans la main pendant 4 secondes et le lança de toutes ses forces. Alors que l'objet parcourait les airs avec vélocité, Adam avait croisé les doigts à s'en faire mal. L'objet approcha du sol, il entendit distinctement Luc compter 12, et l'objet explosa. Adam soupira de soulagement.

« C'est une grande réussite, Adam, chronométrage parfait, mélange détonant impeccable, composition solide. Vraiment pour un premier essai, c'est très bien. »

Adam savoura ce que disait Luc, ce n'était pas souvent qu'il le félicitait, bien que ce fait exceptionnel avait tendance à se répéter. L'être étrange qu'il avait devant lui semblait devenir plus abordable au fur et à mesure qu'ils faisaient connaissance. Luc était un homme de grande taille, à la musculature puissante et sèche, à la souplesse et à la vitesse d'un félin. Il portait des cheveux longs gris généralement attachés en queue de cheval tombant loin dans son dos. Le plus troublant était certainement ses yeux, gris acier, terriblement perçants et glaciaux. Il lui suffisait d'un regard pour intimer le silence ou pour transir de peur. Le sourire qu'il portait sur le visage fit bondir le coeur d'Adam comme jamais. Il était dur de réussir à le contenter, mais quand il réussissait, c'était un homme très agréable.

« Je crois que tu es définitivement très doué pour l'électronique et l'informatique, jeune homme, malheureusement tu n'es pas si bon avec certaines armes, en particulier les armes à longue portée. Qu'importe, chacun ses faiblesses, nous les compenserons ensemble. »

Il regarda Azrael. C'était un homme assez jeune, un peu efféminé, ce qui était aussi bien sa force qu'une déplorable manie. Contrairement à l'allure assez frêle qu'il montrait, c'était un combattant hors pair et un adversaire redoutable, qui avait tendance à être sous-estimé par ses adversaires. Adam en gardait un cuisant souvenir. Par ailleurs, ses manières exagérées avaient tendance à énerver Luc assez promptement, ce qui posait généralement des problèmes. Ce qu'Adam ne comprenait pas encore, c'était la raison de sa servilité.

« - Un peu d'amusement ne nous fera aucun mal, après les quelques mois que nous avons passés. N'est-ce pas, Adam ? », dit Luc, « Par ailleurs, il me semble que c'est aujourd'hui un jour un peu spécial, non ? Azrael, dis-moi que tout est prêt comme nous l'avions prévu. »

« - Tout est prêt, Maître. », répondit l'autre.

« - Très bien », reprit Luc. « L'entraînement se termine ici pour aujourd'hui. Va te laver et passe les vêtements qui se trouvent sur ton lit. Nous nous retrouvons dehors dans 25 minutes. »


Boston, Williams Street, 6 février 2006, 2h10 du matin.

« Adam ? », dit Ange en le regardant.

Il sursauta et sortit de ses souvenirs.

« - Oui, excuse-moi. », il regarda l'organiseur que lui présentait Ange.

« - J'ai réussi à dégotter les plans de l'étage. Et aussi ça. Madame McLeena a fait intervenir une entreprise de sécurité toute la semaine dernière, ils avaient des badges de sécurité spéciaux pour l'accès exclusif au monte-charge du personnel. Elle a vraiment fait les choses en grand, c'est très risqué, Adam. D'après les indications des livraisons et les recoupements que j'ai pu faire, elle a de quoi faire sauter le bâtiment et une partie du quartier dans sa suite. »

Il indiqua des lignes sur les bordereaux numérisés de livraison.

« - Ca, armement, ça, armement ou explosif, et beaucoup de cuisine française. »

« - Il n'y a aucun doute, c'est la Mère elle-même. », dit Adam, « Mais j'ai la sensation que c'est un piège. C'est trop brusque, trop téléphoné, trop... clair... ce n'est pas son style. »

Ange trifouilla son ordinateur portable.

« Il n'y a aucun autre signe de mouvement, sauf peut être un niveau important de criminalité dans le secteur Est. », dit-il finalement, « Il semble que plusieurs gangs aient reçu des livraisons d'armes de guerre. »

Lisa continuait à regarder l'étage aux jumelles.

« Ca bouge », dit-elle.