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Divine Opportunité : Session Prime : Partie 6 - In Memoriam

Dominic se sentait nauséeux, comme si son corps était trop lourd et bougeait sans son autorisation d'avant en arrière. Il sentait le bras de son nouveau maître posé sur ses épaules, mais il ne comprenait plus un traître mot de ce qu'il lui murmurait. Il le prit comme un « Tu vas t'en sortir. ». C'était d'ailleurs une énigme pour lui. Pourquoi un Remen faisait toutes ces choses, alors que ceux de sa race n'avaient jamais rien fait d'autre que de le faire souffrir.

Il y avait d'abord eu le Maître des Maîtres, le premier, lui avait-on dit. On l'avait amené, terrifié, pleurant, dans une salle immense aux murs noirs et blancs. Au centre de celle-ci, il y avait un trône dissimulé derrière des tentures translucides. Il n'avait entendu qu'une phrase, une seule.

« Ce n'est pas celui qui devait être amené. »

Il avait ensuite été vendu à une vieille Remen de troisième génération qui aimait à faire souffrir ses serviteurs. L'une de ses mains était mécabio. Elle s'était fait implanter un fouet à la place de l'un de ses doigts. L'un des autres serviteurs lui avait expliqué qu'en fonction de la charge électrique qu'elle envoyait dans la structure mono-moléculaire, le fouet pouvait égratigner, mordre les chairs horriblement ou plus simplement couper une des poutrelles d'acier qui soutenait la structure du dôme de verre immense qui surmontait son palais. Il avait vu l'un des plus jeunes serviteurs mourir de la main de la Remen, d'un coup, juste pour son plaisir. Il avait souffert aussi d'une cruauté sans borne pendant quelques terribles mois.

Elle l'avait ensuite perdu, comme une dizaine d'autres serviteurs, lors d'une partie d'un jeu complexe semblable aux échecs dont ils étaient le trophée à la faveur d'un des commandants de la milice. Celui-ci n'était pas aussi violent, ni aussi méchant. Il avait alors servi pendant dix mois ce nouveau maître, prompt à la colère envers ses subordonnés et qui considérait ses serviteurs comme des êtres invisibles mais nécessaires. Pendant cette période, il n'avait pas eu beaucoup de repos, son Maître ne dormant jamais ou presque. Il avait été réveillé pour le servir en plein milieu de la nuit et à n'importe quelle heure du jour.
Mais celui-ci avait manqué à son devoir, semblait-il, qui consistait en la recherche d'un divin et de son véhicule. Dominic n'avait jamais entendu parler d'un divin en fuite, mais visiblement c'était le cas, il existait bien. Comme les deux cent autres serviteurs, il avait été réquisitionné par le Maître de la Milice Istuil, le pire de ses cauchemars. Il avait apprit très vite que sa jeunesse et sa beauté, lui avait-on dit, le mèneraient en enfer. Il n'avait pas compris, jusqu'au jour de l'inspection, une semaine plus tôt où Maître Istuil l'avait choisi. Le reste était un tel amalgame de douleurs qu'il ne souhaitait pas s'en souvenir.

Quand il fut si proche de l'inconscience qu'il comprit qu'il perdait pied, il se prit à penser : « Faites que ce soit la fin. ». Et ce n'était pas la première fois.

Dominic se réveilla dans une pièce de petite taille, une chambre. Il savait que ces pièces étaient affectées aux serviteurs, pas aux esclaves comme lui. Avant d'ouvrir les yeux, il sentit l'odeur verte du bois chaud, une sorte de parfum de fumée aussi. Quelque chose qui réveilla en lui les souvenirs doux d'une enfance déjà lointaine, avec son frère et ses parents. Il eut du mal à ouvrir les yeux tellement la lumière jaune qui éclairait la pièce était radieuse. Une lumière naturelle, douce, mais agressive pour des yeux encore ensommeillés.

Le soleil provenait de la fenêtre à sa droite, diffusé par des voilages brodés. Il y avait comme une petite pointe de verdure fraîche et de douceur tendre dans l'atmosphère de cet endroit. Il y avait aussi cette douce chaleur qui tombait sur les couvertures et qui réchauffait la peau de son bras. C'était étrange, personne n'avait vu le soleil tomber sur Sictar depuis des décennies, voire même des centaines d'années. Il soupira de plaisir.

Il finit par ouvrir les yeux plus complètement. Le ciel, à l'extérieur, était bleu foncé. Il en déduit qu'il n'était plus dans la capitale mais bien dans un des circulaires. Il regarda ses bras. Ils avaient été bandés et l'ensemble de son corps avait été soigné. Il avait soif, sa langue lui semblait un peu gonflée.
Des bruits de pas provinrent du couloir, quelqu'un s'approchait d'un pas militaire. Dominic entendit une voix étouffée derrière la porte.

« - Comment va-t-il aujourd'hui, James ? », demanda la voix, étrangement neutre.

« - Il n'a toujours pas ouvert les yeux, Maître. », répondit son gardien, « Je l'ai laissé dormir, mais j'ai peur que le Nithull ait provoqué des dégâts plus important que vous ne le pensiez. Il était très mal quand nous sommes arrivés à l'Herboristerie. »

« - Je vais me permettre de m'en rendre compte par moi-même si tu veux bien, James. »

La poignée tourna et la porte s'ouvrit. Dominic se souvint de l'enfer qu'il avait subit la veille. Il se rappela aussi de l'être qui l'avait sorti de cette pièce de souffrance. Il était là, devant lui. C'était un Remen, le visage lisse, les yeux un peu trop grands, d'un vert profond, presque brillant, certainement dû aux doses de Nithull qu'il devait recevoir pour que ses mutations le laissent en paix. Il devait avoir l'apparence d'un humain de 16 ans pour ce que Dominic était capable d'en voir. Ses cheveux noirs tombaient droit dans son dos et avaient été coupés au niveau de son menton, au-dessus de ses épaules. Il portait la robe étrange des représentants de la race, mais ne semblait pas avoir de remplacement mécabio. Il fut choqué par l'impossibilité qu'il eut de savoir si son nouveau maître était un homme ou une femme.

« James se trompait donc, tu es éveillé. », dit-il en guise de bonjour, « J'en suis heureux. »

Il y eu un silence, Dominic se demanda s'il lisait dans son esprit comme il l'avait fait hier.

« Nous sommes dans le district 17, je suis désolé de te faire subir cela aussi vite. », continua-t-il.

Il savait donc que Dominic venait de ce district, c'était l'une des villes les plus petites du circulaire bleu.

« As-tu encore de la famille par ici ? », poursuivit-il.

Dominic se demanda s'il devait répondre à la question. Ce maître avait-il lui aussi des choses terribles à cacher. Risquait-il de mettre son frère en danger s'il ouvrait la bouche ? Le Remen paru le devancer dans cette pensée.

« N'aie crainte, je ne veux que vous réunir. Même si ce n'est que pour un court moment, puisque je ne ferais pas l'affront au Maître de te libérer. Tu y risquerais très sûrement ta vie et celle de ta famille, et je risquerais aussi la mienne. Son humour est assorti à ses manières. »

Dominic prit un long temps pour réfléchir à ce qu'il allait répondre. Il finit par supposer qu'il devait pour une fois faire confiance à son instinct et à son interlocuteur.

« Je pense que mon frère vit toujours ici. », dit-il d'une voix blanche, « Mais ça fait très longtemps que nous ne nous sommes pas revus. Je ne sais même pas s'il est encore vivant. »

Le Maître prit un verre d'eau sur la table et l'approcha des lèvres de Dominic. Il en fut gêné. Personne ne s'était préoccupé de lui depuis la mort de ses parents et son enlèvement, surtout pas un Remen. Il tenta de se relever sans pour autant y parvenir. Il abandonna rapidement.

« Doucement, je n'ai pas particulièrement envie de te voir retomber dans le coma simplement parce que tu crois encore que je ne devrais pas t'aider. Comprends-moi, je ne suis pas comme mes pairs. Je ne considère pas les humains comme des êtres inférieurs à mes animaux domestiques. Nous ne sommes pas de la même race, mais tu ne m'es pas inférieur. Par ailleurs, si je veux que tu donnes le meilleur de toi-même à mon service, je préfère me faire respecter et aimer de toi que te faire peur. Un de nos tacticiens disaient que les hommes se battent pour ceux qu'ils craignent et meurent pour ceux qu'ils aiment, si cette citation est vraie, j'ai une préférence pour le complet sacrifice. », dit-il.

Il eut un sourire que Dominic eut du mal à interpréter. Il se demanda si sa tirade était une boutade ou la réalité de sa pensée. Il laissa reposer sa tête sur l'oreiller et soupira, laissant son nouveau Maître porter le verre à ses lèvres.

*
* *

Istuil faisait claquer ses doigts mécabio contre la table. Sa main difforme, réplique de celle d'un Divin, surdimensionnée par rapport à son corps montrait ainsi son mécontentement à l'assemblée de Remens Nobles en face de lui. La présentation était simple : il fallait qu'il garde le contrôle et les informations que lui avait faites parvenir son si admirable Yushio étaient mauvaises, terriblement mauvaises, même si le gamin avait fait un excellent travail en très peu de temps. Au moment où il l'avait vu pour la première fois, il avait été chagriné qu'il n'eut pas préféré quelques jeux plus charnels pour atteindre la place qu'il occupait maintenant, ses hurlements l'auraient certainement pleinement satisfait, mais maintenant, il savait qu'il aurait certainement perdu le plus parfait des talents. Finalement, sa frustration était bonne pour son prestige... une douce compensation.

L'assemblée ne semblait pas très intéressée par les informations qu'il venait de fournir. Elles étaient pourtant de taille : deux Divins en fuite au lieu d'un, et ils savaient qu'ils avaient l'avantage, ils détruisaient même sur leur chemin les traces qui pouvaient conduire la milice à eux. Ils pouvaient se trouver n'importe où maintenant. Ils ne devaient en aucun cas s'approcher de la Gaheasphére, c'était trop dangereux.

« Ne comprenez vous pas que nous sommes en danger ? », finit-il par hurler, à bout de patience.

Les regards se tournèrent vers lui. En face à la place du prévôt, Shazarim passa sa langue sur ses lèvres. C'était une créature gigantesque, d'une stature imposante, couvert de bourrelets flasques pendants et dodelinants à chacun de ses mouvements. Son visage bouffi laissait passer une certaine peur à la réaction d'Istuil, il était incapable de se porter efficacement sur ses deux petites pattes boudinées. Il était généralement traîné et poussé par ses serviteurs-esclaves qu'il aimait à humilier en public. Istuil trouvait cela indécent, les choses privées devaient le rester.

« Nous sommes tous d'accord... Maitre Istuil. », dit-il d'une voix aussi grasse que son physique, « Vos informations ne peuvent être qu'erronées. Sur les 18 Divins en notre possession, deux sont en sommeil depuis près de trente ans, un s'est échappé et les autres sont sous notre total contrôle. »

« Que faites-vous des résidus, de la puissance des radiations, de la destruction de deux miliciens de type 3, par des personnes non-armées, par écrasement et brûlures. », vociféra Istuil, « Retirez un peu de la graisse qui obstrue vos synapses, c'est clair. »

Deux Remens intervienrent.
« Contrairement à... », dit le premier.

C'était une sorte de poupée d'un mètre quatre-vingt dont la moitié droite du visage était une plaie sanguinolente. L'autre côté était si lisse, si parfaitement pomponné et maquillé qu'il était impossible de faire la différence entre la peau et les morceaux de porcelaine qui y avaient été greffés délicatement.

« - ... ce que vous pensez... », continua le second qui n'était que la copie du premier dans un miroir.

« - ... nous croyons ce qu'avance... », poursuivit le premier.

« - ... le maître Istuil. », termina le second.

Ils se regardèrent, visiblement contents de leur effet.

« - Il nous semble, Shazarim, que les preuves sont claires et qu'elles sont... », dit le premier

« - alarmantes. S'il existe des Divins qui vivent hors de la Gaheasphère... », poursuivit le second.

« - ... ils sont hors de notre contrôle et notre suprématie pourrait s'achever si... », reprit le premier.

« - ... ils décidaient de libérer leurs frères. », termina le second.

Istuil soupira de soulagement. L'un des membres avait compris. Deux pour être plus exact, même si les frères jumeaux n'étaient pas aussi importants que le prévôt, ils avaient leur mot à dire, comme chacun des Remens de seconde génération. Skiram et Doltar étaient certainement les plus influents des Remens second, en particulier pour leur trafic de chair humaine. Ils étaient les plus puissants des pourvoyeurs d'esclaves de toute Mnélenis. Par ailleurs, les frères étaient des experts dans les arts de la souffrance physique, c'était un moyen formidable pour obtenir des informations. Même si le sujet était rarement utilisable pour une audience après un passage par leurs mains perverses.

Une voix monocorde et évanescente transpira des dizaines de voiles qui cachaient le siège du Premier.

« Cela suffit, vous n'êtes plus des enfants. Que l'enquête soit poursuivie par vos soins, Maître Istuil. », dit la créature derrière les voiles, « Je ne souhaite pas avoir à compter les morts parmi mes fils. Ne pensez pas que les Divins ne sont que de pauvres petites créatures ethériques. Ne leur fournissez pas le moyen de vous exterminer, il se pourrait qu'ils y arrivent bien plus facilement que vous ne le pensez. Trouvez ces Divins, exterminez les hôtes, emprisonnez-les dans la Gaheasphere, et laissez à Skiram et Doltar leurs rééducation. Par ailleurs, effacez tout ce qui pourrait faire croire aux autres Divins qu'ils ont une chance... définitivement. »

Les jumeaux se regardèrent en souriant, Istuil acquiesça.

Nehwon

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