banniere

Retour

Nouvelles : Comme la lune est belle ce soir

Une nuit comme je les aime, l'asphalte, réchauffé par le soleil de la journée, dégage une douce chaleur.
Toute la ville sent les vacances. Depuis maintenant trois semaines, toutes les écoles ont fermé leurs portes et les entreprises tournent presque au ralenti.
Pourtant, cela n'empêche pas certains petits malins de tenter leur chance.
Depuis le temps que je fais partie du service de nuit, je suis habitué à ce qu'une situation toute simple tourne au vinaigre.
La soirée a pourtant bien commencé, une petite ronde des quelques quartiers de notre secteur et ensuite un petit tour sur la rue principale histoire de relever quelques infractions.
Puis pendant une pause, un petit coup de fil à ma famille, pour savoir comment ça se passe.
J'ai une femme magnifique, Sandra, avec qui j'ai eu deux enfants, Yohan et Lilou.
Bien que mon boulot soit un de ceux où les divorces sont les plus nombreux, mon mariage est quasi parfait. Mes enfants travaillent bien à l'école et je fais tout pour ne jamais ramener mon travail à la maison.
Pour cela, j'ai la course à pieds et la boxe française.
Cela me permet d'évacuer toutes les tensions que provoque ce job. Bien que pour beaucoup de personnes nous ne sommes que des pantins qui se cachent dans leurs commissariats, incapables d'être là quand on a besoin d'eux, il ne faut pas oublier à quel point tout cela peut être psychologiquement dur à vivre.
Le simple fait de porter un uniforme ne protège plus depuis longtemps et à partir du moment où on sort de nos murs, on ne sait jamais ce qui va arriver. C'est pour cela que beaucoup font une prière silencieuse en quittant leur foyer.
Sans ça, il leur serait impossible de partir en patrouille.
Mais je m'égare...
Le coup de fil à ma famille me réchauffe le coeur, mais je sens toujours une pointe de peur dans la voix de ma femme. Elle sait que j'aime mon métier et qu'aucun autre ne pourrait le remplacer.
Mais le fait d'entendre cette anxiété me met souvent mal à l'aise. Je pense qu'elle aurait préféré n'importe quel autre job où j'aurais pu être là le soir, passer la nuit avec elle, la prendre dans mes bras, reformer le cocon qui se forme lorsque deux personnes s'aiment...
Mais tel n'est pas le cas et quand on voit tout ce qui se passe de nos jours, je ne peux que comprendre son anxiété...
Je me demande encore pourquoi ce type voulait à tel point nous échapper. S'il avait écouté nos injonctions, il ne serait pas passé sous une voiture.
Quand on est arrivés, il démolissait une voiture à coups de pied de biche. La lumière du gyrophare l'a interrompu.
Il est resté figé un moment, ce qui m'a permis de descendre et de m'approcher de lui doucement. Encore armé du pied de biche, il nous regardait, une lueur malsaine dans les yeux, puis il a fait demi-tour et a commencé à courir.
Phil, mon co-équipier, passait le message radio pendant que je commençais à courir. Alors qu'il arrivait au premier croisement, les cloches de l'église du quartier sonnaient le milieu de la nuit.
Inconscient de ce qui l'entourait, l'homme traversa le carrefour tambour battant. Mon co-équipier nous dépassa pour lui couper la route, ce qui ne le gêna en rien puisqu'il sauta par-dessus le capot tel un cabri.
Vu l'heure tardive, les rues étaient quasi désertes. Seules quelques voitures passaient de temps en temps.
Autant il avait eu de la chance sur la première intersection, autant sur celle-là, il en eut moins...
La voiture le percuta de plein fouet.
Comme quoi nos parents ont souvent raison, il faut toujours regarder des deux côtés avant de traverser et ne jamais courir.
Vu le choc, je m'imaginais mal qu'il soit encore en vie. Après avoir appelé une ambulance pour le conducteur de la voiture et pour le fuyard, je m'approchais de ce dernier.
Mort sur le coup...
Je m'en doutais...
Je regardais dans ses poches s'il avait des papiers d'identités.
Je trouvais une carte grise, permis de conduire et carte verte d'assurance.
Pierre Dupondt... Voilà qui est original. Il habitait à quelques rues du lieu de l'accident.
Une fois les collègues, pompiers et ambulanciers sur les lieux, nous partîmes pour son domicile.
C'est ce que je déteste le plus dans le boulot de flic... Je me sens comme un messager de l'ombre qui n'apporte que mauvaises nouvelles. On vit déjà le plus souvent sur la détresse des gens mais en plus, on la leur apporte directement sur un plateau...
Maintenant que j'y réfléchis, je pense que cette famille n'était pas née sous la bonne étoile... Non seulement Dupondt, mari et père de famille, venait de se faire tuer mais en plus une surprise nous attendait chez eux...

Il me tarde demain, je dois aller à la piscine avec Yohan, Lilou et ma femme. Ca fait longtemps que je n'ai fait un plouf avec ma famille. Même si je fais tout pour être présent et ne rien manquer, c'est vrai que j'en voudrais encore plus.
Après la piscine, on ira dans un fast food et le soir on ira se faire une toile...

Oulah, mes pensées foutent le camp... Le reste aussi d'ailleurs...
Il faut que je reste concentré

La lune est décidément belle ce soir...
Je sens la chaleur qui m'entoure, mais bizarrement je commence à avoir froid...
Non, c'est plutôt des frissons et pourtant je me sens bien
D'ailleurs, faut que je pense à aller chercher le cadeau d'anniversaire de Sandra.
J'ai fait toute la ville pour le trouver, j'y ai passé trois jours, mais j'y suis arrivé.
On pourrait en rire, mais je suis têtu comme une mule. L'idée m'est venue il y a quelques jours, j'aurais pu prendre autre chose, j'avais un choix assez large et mon imagination n'a pas vraiment de limite, mais j'avais ce collier en tête... Au bout de trois jours, j'ai réussi à le trouver. Bon, il n'est pas tout à fait fini, c'est pour ça que je dois penser à aller le chercher.
Je me sens fatigué tout à coup, je n'ai plus qu'une seule envie, c'est de rentrer chez moi, me glisser dans mon lit et prendre ma femme dans mes bras. Je suis tellement bien avec elle...
Je l'ai rencontré un soir de Noël. Elle venait de se faire poser un lapin par un mec. J'ai profité de l'occasion et me voila marié et père de famille. Depuis je n'ai cessé d'être heureux.
Quand je pense que mes parents la voyaient comme une profiteuse qui me laisserait tomber au premier mec venu...
Mes potes aussi d'ailleurs... Je pense que j'ai fait quelques jaloux.
Je me demande si quelqu'un me regrettera.
Ah...
Je suis là, allongé sur le sol et je n'arrive pas à me fixer sur quelque chose.
On ne sait jamais sur quoi on va tomber, une des premières choses qu'on nous apprend à l'école...
Tout comme à tenter d'éviter les gaffes, les sur-accidents et bien d'autres choses.
Par contre on ne nous dit rien, ou pas grand-chose, sur les « surprises ». En même temps, il est dur de prévoir ce genre de choses.
Ca peut arriver n'importe quand, au coin d'une rue ou pendant un contrôle routier, ou bien encore pendant qu'on vient annoncer une mauvaise nouvelle et on tombe sur un voleur... armé. Vu qu'il est dangereux, on le poursuit.
C'est ce que j'ai fait.
Et maintenant, je me retrouve dans une ruelle...
Je commence vraiment à avoir froid.
Dans l'obscurité et malgré le voile qui se pose sur mes yeux, je ne vois qu'une chose.
Je suis fatigué...
La lune est belle...

Drizzt

Précédent