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Divine Opportunité : Session Prime : Partie 1 - Feel so different

Il respira à pleins poumons, comme s'il avait retenu son souffle pendant toute la journée. Il haïssait les profondeurs où il travaillait et chaque soir, c'était comme une renaissance. Il émergea finalement de l'ascenseur, le visage noir, le corps et l'esprit fatigués. Comme chaque jour, il se laissa bousculer par ses condisciples pour savourer le bonheur de la lumière. Il n'avait jamais souhaité devenir Mineur, c'était le destin de ceux qui n'avaient plus de parents généralement. Ici, on était nourri, logé, blanchi, ça valait mieux d'ailleurs, et exploité. Mais la vie aurait certainement pu être pire dans les bidonvilles près de Sictar, la capitale, la ville de « Ceux de la Grande Race ». Ici dans le « circulaire bleu », il ne risquait pas de subir les effets nocifs des gaz qui permettaient à la Race de survivre, mais il ne risquait pas non plus de trouver un travail qui pourrait lui rapporter un peu. Il était jeune, il aurait certainement pu se vendre, mais il avait toujours eu peur de ce type de choses.

Il regarda le gouffre derrière lui, cette bouche noire qui l'engloutissait chaque jour pour finalement le recracher le soir, et il fut terrifié. Il préféra regarder vers l'avant et partir vers les vestiaires et surtout vers les douches. Comme les autres, il se déshabilla ; mais contrairement à eux, il resta un long moment sous l'eau brûlante sortant de la source chaude, cette eau si dangereuse quand il était dans le fond. Il massa longuement ses muscles douloureux sans réussir à faire disparaître cette tension qui ne le quittait plus jamais maintenant. Il était habitué à ne pas pouvoir se reposer, mais il n'arrivait pas à concevoir cela comme une vie. Une fois qu'il se trouva suffisamment bien pour oser sortir, il se dirigea à nouveau vers les vestiaires dans le plus simple appareil. Cela ne gêna personne puisqu'ils étaient vides maintenant. Il se glissa dans son éternel costume de lin rapiécé, un cadeau de sa mère avant qu'elle ne parte pour le royaume d'autre-frontière. Il prit ensuite la direction de la « Cantine », le seul endroit où il pouvait manger à sa faim.

La ville de Cb4201, puisqu'elle n'avait pas d'autre nom, était un amoncellement disparate de briques rouges teintées de suie, comme brûlées par la violence des souffrances que la Grande Race faisait peser sur les armatures d'acier de la petite ville. Dans les yeux des passants aussi c'était rouge, comme le ciel qui se teintait de cette violence au moment de la sortie des mines et gris comme la poussière qui encrassait leurs poumons.

Comme chaque jour, Yorik passa par les beaux quartiers, et s'arrêta devant les vitrines. Il regarda comme chaque soir le costume des Serviteurs, vendu à un prix d'or et qui ne pouvait être acheté que par les Maîtres de la Race pour leurs esclaves. C'était un magnifique costume bleu roi, aux épaulettes de métal argenté, représentant des Dragons enlacées. Il soupira. Encore une fois, il se demanda pourquoi il n'avait pas le courage d'aller se vendre au marché aux esclaves. Il avait toutes ses chances, il était un garçon solide que deux années de minage avaient rendu musculeux. D'après les autres, il avait un certain charme et surtout, il n'avait que quatorze ans, il restait donc modelable, certainement la meilleure affaire que puisse faire un Maître de la Race. Oui, il n'avait plus qu'à faire cela, personne ne l'attendait de toute façon et il ne manquerait à personne. Comme chaque soir, ses yeux tombèrent sur ses chaussures et il se souvint des larmes de son frère quand Ils l'avaient emmené pour la capitale près de deux ans plus tôt.

Il s'avoua :
« J'ai peur. Bien trop peur. »

Encore une fois, il baissa les bras, et se dirigea vers la Cantine, les larmes aux yeux, plus de honte que de froid. Lorsqu'il poussa la porte, il entendit un hurlement qui lui réchauffa le coeur.

« Yorik, enfin, mais qu'est-ce que tu as encore fait sur le chemin ? » gronda le vieux Ernest dans le fond de la salle.

C'était un vieux bonhomme au ton rougeaud que Yorik aimait comme son propre père, s'il en avait eu un. Le vieil homme avait perdu ses deux jambes lors de la dernière guerre des Côtes mais, bien qu'il était le meilleur Mecabio que Yorik connaissait, il ne bougeait plus beaucoup, plus à cause de son problème d'alcoolisme que par problème de déplacement.

Yorik fit mine de taper contre le bras du vieil homme, qui mima comme chaque soir un vilain coup sur l'épaule et se la massa un moment en riant. Il se laissa tomber sur la chaise de bois rude qui se trouvait en face du vieil homme, et comme chaque jour, il poussa un soupir, prenant finalement conscience de sa fatigue. Il déposa sa lourde veste de laine et de lin sur la chaise derrière lui, découvrant l'étrange marque de naissance qu'il portait sur l'épaule gauche. C'était une sorte de glyphe, semblable à l'écriture ésotérique qui était utilisée par les prêtres pour soulager un peu les maux de la population. Il n'avait jamais voulu savoir ce que cette marque pouvait signifier. Mais bien des gens, en particulier un certain nombre des clients de la Cantine, qui n'étaient pas vraiment les plus compétents ou les plus sobres, avaient dit que c'était la marque d'un Divin. Ça l'avait bien fait rire, ce n'était pas lui que les gardes de la Milice de la Grande Race avaient choisi, mais son frère.

Ça lui faisait toujours très mal quand il repensait à ce moment. Son frère pleurant et tendant les bras vers lui, et lui qui ne pouvait rien faire pour les en empêcher. Ils étaient trop forts, trop nombreux et ils étaient trop saints. Il entendit Ernest gronder.

« Finis donc ta soupe, Bonhomme, et rentre chez toi pour dormir, tu en auras bien besoin pour demain. »

Il comprit qu'il s'était assoupi. Ça lui arrivait de plus en plus souvent, il rêvait pendant ces moments d'absence. Un étrange passage onirique dont il ne se souvenait pas par la suite, comme s'il vivait une autre vie pendant quelques instants, laissant derrière lui avec difficulté le monde de l'imaginaire pour revenir au si terne réel au moment de s'éveiller. Il tenta de sourire à Ernest mais ses yeux étaient lourds, cette fois, et remplis de larmes. Ernest l'avait clairement remarqué mais, comme toujours, il fit attention de ne pas le blesser et passa sur ce fait comme si de rien n'était.

Il se leva sans réellement savoir ce qu'il faisait, comme à son habitude, prit la direction du comptoir où Anabella, la serveuse, refusa son argent. Il poussa la porte, tenta de se souvenir ce qu'il devait faire ensuite, et se laissa porter par ses jambes. Quand il arriva dans la partie la plus sombre de la ville, il sentit un peu de peur monter en lui comme chaque jour, c'était un endroit assez dangereux, bien qu'il n'intéressait vraisemblablement personne vu le peu d'argent qui lui restait.

C'est là qu'il entendit des cris, plutôt des voix fortes, comme des hommes qui s'affrontaient. Ils devaient être trois, en fait, mais ce furent les paroles qui l'attirèrent.

« - Vous ne m'aurez pas et vous le savez, bandes de dégénérés.
- Rends-toi pacifiquement et nous trouverons un moyen de t'intégrer dans la Gaehasphere. Nous trouverons une solution pour que tes hôtes soient plus jeunes et plus vigoureux que celui-ci.
- Vous vous trompez sur un point. Je ne suis pas un esclave pour lui, nous ne sommes qu'un.
- Ce n'est pas possible, tu es fou, Humain. »

Yorik risqua un regard. Il y avait là deux miliciens, dans leurs long manteau de cuir sombre, le visage à demi couvert par les masques leur fournissant les gaz qui permettaient à leur corps mutant de supporter l'air de la zone bleue. L'homme en face d'eux devait avoir la trentaine, il avait reculé à moins d'un mètre du mur de la ruelle. Il portait un étrange blouson de cuir lui aussi qui tombait droit sur ses jambes, fermé par une dizaine de boucles de métal argenté sur l'avant. L'une de ses manches semblait avoir été décousue intentionnellement. Elle découvrait une peau bronzée, il n'était certainement pas du coin, mais il semblait bien à Yorik qu'il n'existait pas d'endroit où le soleil puisse taper suffisamment pour rendre la peau de cette couleur dans la zone bleue. Ses muscles prouvaient aussi son habitude d'une vie rude. Son visage était lisse, parfaitement lisse et sans marque, comme une statue que l'on aurait animée de sentiments. Ses yeux noirs faisaient ressortir la peau noisette de son visage, brillants d'une force que Yorik n'avait jamais vue dans aucun des visages qu'il côtoyait chaque jour.

« Ils nous ont ordonné de te ramener, tu viendras de gré ou de force. »

Les miliciens sortirent des armes étranges de sous leurs immenses manteaux. Yorik commença à avoir peur. Il savait qu'ils ne s'ennuyaient pas à protéger les gens qui se trouvaient autour des champs de bataille.

« Vous ne pourrez pas m'affronter avec ce type d'armes et gagner. Mes frères ont bien dégénéré pour faire des choses aussi archaïques. »

Les yeux de l'homme tombèrent sur Yorik. Des yeux si étranges, si profonds, si perçants.

« Surtout si vous devez affronter deux d'entre nous », conclut-il.

Nehwon

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