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Animation Halloween 2007

Animation Halloween 2007 : L'Auberge

Le vent soufflait doucement dans la vallée. Depuis maintenant quelques semaines, le froid s'était imposé aux montagnes séculaires de la Vallée Verte. Bientôt, les premiers flocons de neige feraient leur apparition.
Comme tous les soirs, la brume descendait lentement des sommets. Le soleil allait bientôt disparaître derrière le Grand Pic de Brume.
Dans la vallée, les animaux rentraient dans leur tanière où se trouvait un coin au chaud pour dormir.
Un peu partout sur les flancs des montagnes, on trouvait des grottes ou des renfoncements qui permettaient à bien des espèces de se protéger du froid.
Le brouillard s'installa dans toute la vallée, il y resterait toute la nuit, protégé d'Eole par les montagnes qui encadraient le lieu.
Alors que rien ne bougeait dans la cuvette naturelle, des traits de lumière apparurent. Ils étaient accompagnés d'un petit bruit de moteur qui grandissait, au fur et à mesure qu'il traversait la vallée.
Les deux phares de la voiture essayaient tant bien que mal de traverser l'épaisse brume qui les avait surpris.
« Je t'avais dit qu'on aurait dû s'arrêter à l'auberge pour la nuit. », dit la jeune femme assise côté passager, « Maintenant, on ne sait même pas où on est... »
Derrière le volant, l'homme grogna en guise de réponse.
Sans quitter des yeux la route, il attrapa son paquet de cigarettes, en attrapa une avec les dents et remit le paquet à sa place, dans la poche de sa chemise.
A côté de lui, la jeune femme prit une carte plus froissée que pliée et l'ouvrit en grand. Elle scruta la carte, comme si un petit repère pouvait apparaître pour leur signaler leur position.
« Tu sais lire une carte toi, maintenant ? », fit l'homme, sarcastique.
« En tout cas, moi j'essaie de faire quelque chose ! » s'exclama-t-elle en tripotant nerveusement son pendentif. C'était un pendentif en argent en forme de panthère. Son mari lui avait offert quelques mois plus tôt.
Enervée, elle lança la carte sur le siège arrière, non sans l'avoir mise en boule. Elle se pencha sur son siège et passa sa main sous le siège. Du coup sec, elle sortit son petit sac à main.
C'était une de ces petits sacs typiquement modes et féminins, où juste le portable et une souris blanche pouvaient entrer. Elle en sortit son téléphone. Elle appuya sur * et "ok".
Pas de réseau, même pas "urgence uniquement". Rien.
De dépit, elle jeta le téléphone dans le vide-poches de la portière.
Elle se passa les mains sur le visage.
« - Pourquoi on s'est pas arrêtés à l'auberge, il leur restait des chambres et d'après le réceptionniste, c'était la seule maison habitée avant longtemps...
- Parce que c'est que des conneries. Je suis sûr qu'une fois sortis de la brume, on retrouvera notre chemin.
- Arrête tes conneries, c'est que tu ne voulais pas débourser 95 ?. Je n'ai jamais vu un radin pareil.
- OUI, C'ETAIT TROP CHER ! ET MAINTENANT ARRETE DE ME FAIRE CHIER, SOLENNE, JE CONDUIS ! »
D'instinct, la jeune femme se colla à la vitre en fermant les yeux. Craignant le coup qui risquait de partir à tout moment, elle leva les mains. Elle savait qu'elle ouvrait son flanc à une possible attaque, mais elle préférait une côte cassée à deux dents en moins.
Au bout d'un moment, elle jeta un bref coup d'œil entre ses doigts. Elle vit qu'il n'avait rien tenté, mais son regard en disait long sur son énervement.
Elle savait d'expérience qu'à partir de maintenant, le moindre son qui sortirait de sa bouche amènerait un coup violent.
Elle remonta ses jambes contre ses fesses et referma les yeux. Elle se rappela le but de ce voyage. Esther et Yoann les avaient invités à passer les vacances de la Toussaint chez eux. Esther avait insisté, si bien que même Steven avait accepté.
Le seul problème, c'est que pour passer les vacances chez eux, il fallait traverser deux régions montagneuses et Steven n'avait aucune envie de voir le couple.
Ils avaient passé le premier col, mais le soleil s'était couché beaucoup plus vite que ce qu'ils avaient prévu et s'étaient retrouvés dans la pénombre à déambuler sur des routes de montagne qu'ils ne connaissaient pas.
Ils avaient bien croisé le chemin d'une auberge, mais Steven avait décidé que c'était trop cher, et qu'ils n'en auraient pas pour toute la nuit.
Le réceptionniste avait bien tenté de les persuader, mais rien n'y fit, son mari était plus têtu qu'une mule.
Ainsi, ils étaient repartis pour se perdre dans la brume.
Dans la voiture, on entendait seulement l'autoradio. Malgré le coin perdu, on entendait clairement Bruce Springsteen chanter qu'il était né aux USA.
Le mari de Solenne appuya sur les commandes au volant et "Le Boss" se mit à murmurer.
« Excuse-moi de m'être énervé. », fit Steven, « Mais je suis un peu fatigué. Et c'est vrai, j'aurais dû accepter de m'arrêter dans cette auberge... »
Solenne s'arrêta de respirer. Ca faisait maintenant cinq ans qu'ils étaient mariés, et encore plus qu'ils étaient ensemble, et c'était la première fois qu'elle l'entendait s'excuser de quelque chose.
« Que... c'est quoi devant ? », murmura Steven en ralentissant.
Eclairée par les phares de la voiture, la brume s'en allait, comme soufflée par un vent violent.
Sur le siège passager, Solenne s'était redressée.
En quelques secondes, la voiture fut entourée par la nuit.
« C'est bizarre. », dit le conducteur, « C'est pas normal ça. »
Il ralentit jusqu'à s'arrêter. Steven ouvrit la portière et descendit. Sa femme, elle, resta à l'intérieur.
Un frisson parcourut l'échine de Steven, il n'était pas tranquille.
Il remonta dans la Golf et claqua la porte avec force.
Au fond de lui, un lent et profond frisson remontait dans son dos. Il sentait ses cheveux se redresser tandis que le frisson continuer à monter... de plus en plus fort.
Il débraya et passa la première.
D'un coup, tout s'éteignit.
Le moteur, les phares, l'autoradio... même le portable s'éteignit.
Alors que la nuit était étoilée, on sentait une tension naître à l'extérieur. Steven et Solenne se regardèrent.
« Qu'est ce qui se passe ? », demanda la jeune femme.
« Je ne sais pas. », répondit-il, « Plus rien ne marche et... dehors... »
Il pointa l'extérieur de son doigt.
Sa femme, qui triturait le poste, releva la tête. Ses yeux voyaient ce qu'il se passait, mais son cerveau ne voulait l'accepter... Ils ne pouvaient l'accepter.
A l'extérieur, tout s'éteignait. Les étoiles disparaissaient une par une. Quelqu'un appuyait sur des millions d'interrupteurs.
Quand elles eurent toutes disparues, la lune, à moitié pleine, s'éteignit elle aussi.
En moins de 10 minutes, la voiture fut encerclée par des ténèbres impénétrables, comme s'ils n'étaient nulle part.
Les deux trentenaires n'osaient faire le moindre mouvement, de peur que quelque chose se passe.
Tous deux pouvaient sentir perler des gouttes de sueur froide.
Noir, le noir total.
Soudain, les phares se rallumèrent.
Les deux occupants poussèrent un cri en sursautant.
Steven, respirant doucement pour se calmer, ressortit de la voiture.
« Non ! », cria Solenne, « Ne sors pas... »
D'un geste de la main, il l'interrompit.
Autour de lui tout n'était que silence. Il ne voyait rien. Il ne sentait rien. Malgré la présence des phares, la lumière n'éclairait que quelques centimètres devant le véhicule.
Les ténèbres absorbaient la lumière... mais ce n'était pas tout.
Pas le moindre mouvement d'air, le vide... Le temps semblait s'être arrêté et ils étaient bloqués dans cet espace-temps.
Il sentait qu'il n'était pas en sécurité. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, et malgré toutes ces années passées dans le dojo de tae kwon do, il ne se sentait pas en sécurité.
Ce serait un mec bourré ou un camé, aucun souci... mais là, ca dépassait l'entendement.
Il préféra retourner dans la voiture.
De retour dans l'habitacle, il regarda sa femme, ou tout du moins, il imagina sa femme.
Il n'avait nul besoin de ses yeux pour qu'elle apparaisse devant lui. Les cheveux châtains clairs jusqu'à mi-dos, mais le plus souvent remontés en chignon déstructuré.
Il commença un mouvement pour se rapprocher d'elle quand les feux s'éteignirent de nouveau.
Et de nouveau, Solenne poussa un cri.
Leur têtes s'étaient tournées vers ce qui semblait être l'avant de la voiture, seule la sensation des sièges pouvait indiquer la direction de la Golf.
Sans se voir, les deux jeunes gens s'approchèrent tous les deux du pare-brise, regardant vers l'extérieur si le phénomène s'en allait...
Tous les deux avaient encore un espoir au fond... mais la voix qui apparut derrière eux le fit partir immédiatement.
Une voix gutturale partit dans un rire venu d'outre-tombe. Comme animée, la voiture s'en fut dans les ténèbres, emportant les deux amants.
Quelques secondes plus tard, tout redevint normal. La brume n'avait pas bougé et la lune donnait toujours un air fantomatique à cette jolie vallée.


Presque un an plus tard.

La Corsa verte passait les virages en épingle avec une facilité déconcertante. Le jeune homme derrière le volant, impassible, suivait juste la route des yeux. Le paysage défilait rapidement, et, de toute façon, le jeune homme n'en avait cure.
L'astre solaire ne semblait pas se rendre compte que l'hiver n'était pas loin et tentait de réchauffer l'air ambiant. Une tentative bien désespérée, la terre semblait ne pas vouloir se réchauffer. Les arbres avaient commencé à se dévêtir.
Le sol et même la route par endroits étaient jonchés de feuilles aux couleurs flamboyantes.
La voiture, imperturbable, continuait son petit bonhomme de chemin. Elle entama un col sans ralentir. A mesure de son ascension, le véhicule passait d'ombre à lumière. Quand il était dans un coin où l'ombre régnait, on pouvait voir les roues patiner sur l'asphalte humide et feuillu.
Passant sur le versant nord du Col des Sapins, le conducteur préféra descendre avec le frein moteur, histoire de rester, quand même, maître de son petit bolide.
Sur la droite, il passa un panneau indicateur.
"L'Auberge au Milieu de la Vallée - 7 km"
N'y jetant qu'un coup d'œil, le chauffeur ne ralentit même pas, mais sembla un peu plus décontracté... Il arrivait enfin à destination.
Il était parti depuis le petit matin et c'était seulement maintenant, au milieu de l'après midi, qu'il touchait au but.
Pressé par le temps, il ne s'était accordé qu'une seule pause pour se restaurer et uriner. A force de recherche, il avait enfin un début de piste : L'Auberge au Milieu de la Vallée.
Elle n'était marquée dans aucun guide de gîtes ou autre. C'est par le bouche à oreille qu'il avait entendu parler de cette auberge... qui portait bien son nom.
Le conducteur quittait enfin les sous-bois et avait pour la première fois une vue générale de la vallée et de son auberge. Comme son nom l'indiquait, elle se trouvait au milieu de la vallée.
Ce qui était curieux, c'était de voir cette demeure toute seule au milieu de nulle part. Tout autour de l'auberge, on voyait un peu partout des rochers sortir de terre au milieu des restes d'herbe. On pouvait deviner le passage des animaux de ferme : sur toute la vallée, toute la verdure n'était qu'un souvenir.
Le mélange de vie et de mort de l'endroit était assez intrigant ; on sentait que la vie animale était très présente dans ces montagnes, mais on sentait aussi comme un sentiment de malaise presque irréel.
On pouvait voir sur un des côtés un enclos où se promenaient quelques animaux. Le jeune homme paria sur des vaches et des moutons.
La voiture quitta enfin la descente et se retrouva sur une petite route droite qui suivait une rivière. Le soleil, continuant sa descente, laissait traîner quelques reflets ça et là, au gré de l'eau douce.
Quelques minutes plus tard, il sortit de la route pour emprunter le chemin menant à l'auberge.
Entièrement recouvert d'un gravier jaune, le chemin faisait une cinquantaine de mètres avant de se séparer en trois. A gauche, on allait vers l'enclos, qui enfermait bien des vaches ainsi que quelques moutons, sur la droite, c'était pour le parking et, enfin, tout droit, c'était l'entrée du lieu.
Il empruntant donc le chemin de droite et, aucun marquage au sol n'imposant quoique ce soit, se gara comme bon lui semblait.
Il sortit de la voiture tel un diable qui sortirait de sa boîte et s'étira de tout son long. Les muscles endoloris ne se calmèrent pas pour autant et il sentait les crampes arriver à grands pas.
Essayant de ne pas trop penser à ses muscles mis à mal, il ouvrit le coffre de la voiture pour en sortir un grand sac de sport noir ainsi qu'un sac à dos plus petit.
Il passa les bras dans les anses du sac à dos et se redressa. Sac de sport en main, il ferma le coffre et verrouilla sa voiture avant de s'en aller vers l'entrée de l'auberge.
Verrouiller la voiture... Les voleurs ne doivent pas être légion par ici, pensait-il en souriant.
Il passa à côté d'une grande porte-fenêtre. Sans le vouloir, son regard fut attiré par ce qu'il y avait à l'intérieur. Le soleil semblait vouloir lui faciliter la tâche et se cacha derrière un gros nuage.
Il entr'aperçut quelques fauteuils en tissu rouge encadrant des petites tables rondes. Sur ces mêmes tables, on pouvait voir une sorte de filament tomber des bords.
Il crut voir dans le fond une marionnette représentant un squelette.
L'astre solaire sortit de sa cachette, empêchant tout regard de passer à travers le vitrage sans tache.
Remplaçant la vision des fauteuils, un homme dans la trentaine apparut à ses yeux. Il regarda son reflet quelques instants. Les cheveux en bataille d'un blond clair, la fenêtre ne renvoyait pas la couleur de ses yeux en amande.
Il en connaissait la raison : ils étaient noirs. Aucun moyen de différencier la pupille de l'iris. Ce qui était très rare pour un vrai blond.
Il baissa la tête et continua sa route.
En quelques pas, il arriva au croisement. Il tourna à droite et leva la tête pour mieux voir la demeure qui allait l'accueillir les trois prochains jours.
Haute de deux étages, l'auberge était un cube de briques au crépi blanc cassé. Sur chaque mur, on pouvait voir la vigne vierge monter jusqu'au toit. Vu l'époque, il n'y avait plus vraiment de feuilles, mais il était facile de s'imaginer l'auberge prenant la couleur des feuilles, se confondant ainsi avec le paysage.
Sur chaque étage, on pouvait compter six fenêtres. Sur chacune d'elle, un volet marron en bois était suspendu. C'était le seul petit défaut de la demeure, les volets avaient besoin d'un bon coup de ponceuse et d'une nouvelle couche de peinture.
Sur chacune des fenêtres, on voyait apparaître des pantins désarticulés et des toiles d'araignées. Le regard du client revint sur l'entrée. Une grande double porte pourvue de deux squelettes et d'une multitude d'araignées. Devant la double porte, un petit escalier de trois marches y menait.
De chaque côté et sur chaque marche trônait une citrouille au sourire menaçant qui l'accueillait.
La route l'avait tellement fatigué qu'il ne fit le rapprochement que sur le moment.
On était le 29 octobre, Halloween approchait.
Sans s'arrêter, il pénétra dans l'auberge. Une sonnerie retentit.
Le jeune homme se retourna et, baissant les yeux, vit une petite cellule photoélectrique. C'était un bon moyen pour signaler l'arrivée d'un éventuel client
En face de lui, en guise d'accueil, un long comptoir où s'entassaient les publicités des divers circuits touristiques de la région. Deux lampes à abat-jour, un stylo relié par une chaînette à une embase, un petit carillon à l'ancienne... La décoration du comptoir était sommaire.
Une jeune femme apparut de l'arrière du comptoir, juste entre les deux lampes.
« Bonjour Monsieur. », fit-elle avec un grand sourire.
« Bonjour, je suis Seth Viclos, j'ai réservé une chambre pour trois jours. »
Professionnelle, la jeune femme s'attela derrière un écran et tapa sur le clavier.
Seth s'avança un peu pour jeter un coup d'œil au poste de travail de la jeune femme. Une grande table avec téléphone et ordinateur, un agenda papier. A droite de la jeune femme, un mug remplit d'un liquide noir qu'on pouvait facilement assimiler à du café. A côté du récipient, une petite boîte de biscuits à grignoter.
Sur la gauche, un autre mug, mais celui-là rempli de stylos, stylos-feutres. Il y avait aussi un porte-document avec un petit mot au-dessus de l'encadrement "en cours".
Pendant que Seth découvrait le bureau de l'hôtesse d'accueil, celle-ci pianotait toujours à grande vitesse sur le clavier de l'ordinateur. Elle fit bouger la souris puis quitta l'ordinateur pour se plonger dans l'agenda. Elle surligna un passage en vert et releva la tête.
Prévoyant le geste, Seth se recula un petit peu.
Alors qu'elle quittait de nouveau son siège, le jeune lut le petit badge qu'elle portait sur la poitrine.
"Amandine"
De nouveau face à lui, le sourire de la jeune femme ne l'avait, semble-t-il, pas quittée.
Elle avait le visage fin, le teint mat et les yeux un peu bridés. Ses longs cheveux noirs lui descendaient en cascade sur les épaules. Pour ne pas être gênée, elle avait placé une petite barrette de chaque côté.
Une tête plus petite que Seth, elle avait des yeux marron-vert pétillants. En bref, tout à fait aux goûts du jeune homme... si ce n'était l'âge, elle ne paraissait pas plus de 22 ans.
Avec ses 33 ans, Seth se disait que c'était limite du détournement, mais bon, il restait un espoir : il n'avait jamais su donner un âge aux personnes.
Ca ne l'empêcha pas de la déshabiller du regard quand elle prit les devants pour lui montrer sa chambre.
« Si on a des yeux, c'est pour regarder ! », comme disait sa grande sœur.
Elle portait un jean bleu taille basse et un petit pull noir en acrylique, le tout près du corps. Seth la suivait quelques pas en arrière, pour ne rien perdre du spectacle.
Pendant qu'elle le guidait, Seth s'aperçut qu'elle tournait souvent la tête.
Au fond de lui, un cri de rage retentissait.
Dommage, peut-être quand j'aurai retrouvé ma petite sœur, pensa-t-il.
Les couloirs, tapissés en dégradé de vert et marron, étaient constellés d'anciennes photos encadrées. Seth n'y prêta pas spécialement attention.
Ils arrivèrent en bas d'un escalier en bois. Sans s'arrêter, Amandine grimpa les marches d'un pas rapide. Ses cheveux dansaient sur ses épaules.
Seth ne la quittait pas des yeux.
Pourtant, en passant sa main sur la rampe de l'escalier, en bois elle aussi, ce qu'il sentit sous ses doigts l'interpella.
A chaque palier, une grande fenêtre inondait les marches de lumières. Ceci permit à Seth de mieux voir ce qui l'avait perturbé sur la rambarde.
Sur toute la rambarde on pouvait voir une longue suite de signes gravés à même le bois. Seth n'y connaissait rien, mais certains symboles lui semblaient familiers.
Amandine s'aperçut que Seth s'était arrêté au milieu de l'escalier.
Ca faisait deux ans qu'elle avait été embauchée dans cette auberge et pour une fois, le client était intéressant à regarder. D'habitude, elle n'était pas vraiment attirée par les blonds, mais il avait quelque chose d'attirant... et puis, il avait de ces yeux !
« - Vous me suivez, monsieur Viclos ?
- Seth. », répondit l'intéressé, « Et oui, je vous suis. »
Il reprit l'ascension des marches en bois et rejoignit sa jeune guide.
« Vous avez peur que je me perde ? », continua-t-il en souriant.
La jeune femme le regarda un instant avant de tourner les talons et de continuer son chemin. Sur le palier du premier étage étaient installés plusieurs fauteuils rouges, tous dirigés vers un grand écran de télé.
Amandine ignora la salle télé et prit sur la droite. Ils pénétrèrent dans un couloir. Là aussi, des photos anciennes agrémentaient les murs toujours aussi verts et marron. Seth n'y prêta toujours pas attention.
La jeune femme s'arrêta enfin devant une porte.
En regardant l'encadrement et la porte elle-même, il vit qu'elle était dépourvue de poignée et de numéro. A la place, une plaque de bois était clouée à la porte.
Sur la plaque, on pouvait voir un corbeau gravé dans le bois.
«Comme vous l'avez vu, les portes sont dépourvues de poignée à l'extérieur. Pour ouvrir il faut juste la clé. La vôtre est pourvue d'une plume de corbeau. »
Amandine leva un petit trousseau de clés auquel était attaché une clé dorée, ainsi qu'une longue plume noire bien droite.
« - Il faudra laisser la clé à l'accueil quand vous quitterez l'auberge. Si vous souhaitez prendre le petit déjeuner, il est servi à partir de 7h30 et jusqu'à 10h. Vous restez bien trois jours ?
- Oui, tout à fait. », répondit Seth, « Trois jours pour se ressourcer en montagne. Et pour les autres repas, ça se passe comment ? »
« Il y a un service à midi et le soir, mais ça sera en supplément. » répondit-elle en entrant la clé dans la serrure.
Elle tourna le poignet et poussa la porte. Un grand rectangle de lumière en sortit et vint se poser sur la porte opposée.
Sur le bois, on pouvait voir un loup gravé.
La lumière éclairait aussi l'encadrement et Seth remarqua les mêmes symboles gravés dessus. Il se retourna vers Amandine.
« C'est une auberge à thématique animale ? », demanda-t-il en entrant dans la chambre derrière elle.
« Ces montagnes ont autrefois abrité trois clans celtes. Chacun avait pour étendard un élément : l'eau, la terre et l'air. L'élément feu était représenté par un lieu, le seul lieu de paix que reconnaissaient les trois chefs des clans. »
Pendant qu'elle parlait, Seth découvrait la chambre. Un grand lit sur le mur de droite avec de chaque côté une petite table de chevet. Sur celles-ci, une lampe en bois sculpté avec des plumes de corbeau qui pendaient tout autour.
Sur le mur en face de la porte, trois fenêtres laissaient entrer une lumière qui tirait maintenant sur l'orangé. Amandine, les yeux dans le vague, s'appuya sur le rebord de la fenêtre.
« Comme tous clans... », continua-t-elle, « ... chacun des habitants avait une sorte de totem dont il était censé prendre l'apparence quand il mourrait. C'est ici, où est construite l'auberge, qu'est censé se trouver le Cercle de Feu. C'était ici qui se rassemblaient les femmes et les enfants à l'approche des guerres ou du Nouvel An. »
La fin de la phrase interpella Seth.
« Le Nouvel An ? », demanda-t-il.
« - Oui, au Nouvel An celte, les morts étaient censés descendre sur terre. Pour éviter que ces morts ne viennent les emporter, les hommes préféraient que les femmes et les enfants de la tribu soient en sécurité dans un lieu consacré par les trois druides.
- Et ça marchait bien ?
- On ne sait pas. », répondit-elle les yeux toujours ailleurs, « Un jour, tous les hommes de la tribu ont disparu. La légende veut qu'une année les esprits furent plus forts que les humains et les emportèrent avec eux, les trois tribus en même temps. »
Elle cligna des yeux et secoua la tête légèrement. Elle se redressa et se passa une main sur le visage. Ses yeux semblaient encore un peu perdus ; une certaine fragilité apparaissait.
La lumière, rougeoyante maintenant, conférait à Amandine comme une aura de lumière.
Pendant un instant, ce fut quelqu'un d'autre que Seth avait devant lui, un être d'une autre dimension, d'un autre temps.
« - Vu qu'il fait partie de notre Histoire, cet "événement" est-il toujours présent aujourd'hui ?
- Pour la question de la disparition des trois tribus... », répondit-elle, « ... non, c'est une légende. Par contre, la célébration du Nouvel An celte est toujours d'actualité de nos jours.
- Ah ? Même chez nous ? »
Amandine sourit doucement et répondit : « Halloween, vous connaissez ? »


Amandine mit fin à cette discussion, laissant Seth dans l'expectative.
Pensif, il posa son sac de sport ainsi que son sac à dos sur le lit.
La chambre avait été apparemment refaite à neuf récemment. Sur chaque mur, une applique agrémentée d'une plume de corbeau éclairait la salle.
Seth ne prêta pas spécialement attention à la décoration, il s'était donné une mission et ferait tout pour la remplir.
Et puis, il avait juré à ses parents qu'il la retrouverait... qu'il les retrouverait, puisque sa sœur était partie avec l'autre abruti.
Il sortit de son sac tout le nécessaire pour prendre une douche.
Il se redressa pour chercher la salle de bain. En face du lit, un grand miroir était monté sur rail.
Il poussa légèrement la porte, qui coulissa sans un bruit.
Seth se regarda dans le miroir. Ce qu'il voyait ne lui plaisait guère, ça faisait maintenant un peu plus d'un mois qu'il avait entrepris de se consacrer à la recherche de sa sœur. Depuis ce jour, ses nuits n'avaient pas été très reposantes.
Il se déshabilla.
Dans le bac, il ouvrit le mitigeur et laissa couler l'eau, attendant qu'elle se réchauffe.
Au bout de quelques secondes, de la vapeur d'eau commença à remplir la douche. Seth tourna encore le robinet vers la gauche et augmenta ainsi la chaleur de l'eau.
Il bloqua le pommeau de la douche un peu au-dessus de sa tête, laissant ainsi l'eau chaude parcourir tout son être.
Il se passa les mains sur le visage, puis se lissa les cheveux. D'un lent mouvement, il fit craquer sa nuque avant de s'étirer.
Ses bras, sortis du jet d'eau, furent immédiatement saisis par la fraîcheur. Un long frisson lui parcourut la colonne vertébrale.
Il se réchauffa avant de couper l'eau. Son corps s'était habitué à la chaleur et le fait de couper l'eau lui donnait un nouveau frisson, bien plus grand.
Il se savonna et remit l'eau chaude en fermant les yeux. Le petit choc thermique lui donna une petite claque revigorante.
Il resta sous l'eau chaude un bon moment.
Dans une journée, ce moment était celui qu'il préférait. Il ne réfléchissait plus, personne ne pouvait l'atteindre, même son téléphone, il l'oubliait.
Un long moment de calme.
Une fois sec, il revint dans la chambre pour se rhabiller. Quelque chose de simple : un jean bleu, un tee-shirt et un pull marron chocolat. Il remit ses tennis et mit son blouson sous le bras avant de descendre.
Il claqua doucement la porte.

Il descendit les marches quatre à quatre. Arrivé en bas, il se dirigea vers le comptoir de l'accueil. Il regarda par-dessus, mais ne vit personne.
Il regarda alors autour de lui. Sur sa droite, une grande double porte était ouverte. De l'accueil, on pouvait entendre le bruit d'une conversation.
En haut de la porte, une petite pancarte indiquait "Restaurant-Bar".
Voilà l'endroit par où commencer, pensa-t-il.
Il se dirigea vers le bar, mais s'arrêta un instant sur le pas de la double porte. Tout autour de l'encadrement, les mêmes symboles que sur les rampes et la porte étaient gravés.
Bizarre...
Il passa l'encadrement. Le couloir partait sur la droite. Au bout d'une quinzaine de mètres, le couloir tournait de nouveau vers la droite et donnait sur une autre double porte, ouverte celle-là aussi.
Il pénétra ainsi dans la salle de repas. De suite, à gauche après l'entrée, le bar commençait puis laissait la place à la salle de restaurant avec au fond la porte qui devait mener aux cuisines.
Le bar et le restaurant étaient séparés par trois tables fleuries.
La salle du bar contenait quelques petites tables entourées de fauteuils rouges qui semblaient assez confortables. Bien sûr, le zinc était entouré de tabourets noirs.
Derrière le comptoir, une femme d'une quarantaine d'année remplissait le frigo de bouteilles de bière.
Seth s'approcha et s'assit sur un des tabourets.
S'accoudant sur le zinc, il appela la barmaid : « S'il vous plait ? »
La femme se tourna légèrement, jetant un œil à ce qui l'interrompait si brutalement dans son travail.
« Mouii ? », répondit-elle.
« Est-ce que je pourrais avoir un demi, s'il vous plaît ? », demanda le jeune homme.
« Que de politesse ! », rétorqua la barmaid.
Elle prit un verre sur l'étendoir à côté de l'évier et fit couler le liquide blond.
« Voilà pour vous. », fit-elle en posant le verre sur un sous-bock, « Quelle est votre chambre ? »
« - Euh... Corbeau, je dirais...
- Merci, monsieur... ?
- Viclos, Seth Viclos. », répondit-il.
« Enchantée, je suis Anne Sloper, coq en second et barmaid. »
Seth leva son verre et but une gorgée du liquide blond.
« Je peux vous poser une question ? », demanda Seth.
« Ma foi, oui. », répondit Anne en souriant, « Vous venez d'ailleurs de le faire. Mais je vous en prie, je ne ferais ce métier depuis une vingtaine d'années si je n'aimais pas tailler une bavette de temps en temps. »
Le jeune homme lui rendit son sourire.
Brune aux cheveux courts, Anne était une femme bonne vivante, qui aimait se faire plaisir sans se soucier du regard extérieur. Rondouillette, elle portait un grand boubou bariolé de jaune, d'orange et de rouge.
Seth continua :
« Ca me fait bizarre de voir une auberge si grande en plein milieu d'une vallée sans rien alentour. Je peux comprendre qu'en été le lieu doit avoir son charme, mais pourquoi la laisser ouverte alors qu'on est vraiment hors saison ?
- Ca, c'est une question qu'il faudra poser au patron. », répondit-elle en se servant une menthe à l'eau. « Ca fait maintenant un bail que je bosse ici et nous ne fermons jamais.
- Ah bon... » fit Seth en levant le coude.
« Après... », continua-t-elle, « ... c'est vrai que l'auberge vit de son propre travail. »
« - Comment ça ?
- Vous avez vu combien de personnes depuis que vous êtes arrivé ?
- A part vous, juste Amandine.
- Vous ne trouvez pas que c'est un peu léger pour une si grande auberge ? »
Avant que Seth n'ait pu répondre, elle continua :
« Toutes les terres que vous voyez autour de l'auberge appartiennent à Mr Lerber, le directeur et propriétaire des lieux. Je n'étais pas là quand l'auberge a ouvert, mais d'après ce que je sais, Mr Lerber a d'abord rassemblé des personnes qui connaissaient la terre et sa culture pour pouvoir ensuite utiliser leur talent pour le bien de l'auberge. Si bien qu'entre la culture de la terre et l'élevage des animaux, le Directeur n'a jamais besoin de faire appel à une succursale extérieure pour remplir les réserves. »
Anne s'arrêta un instant pour siroter son verre.
Ce fut Seth qui prit la parole :
« Et je présume qu'une partie du contrat stipule que pour travailler ici, vous devez y habiter et mettre la main à la pâte. Ce qui permet de réduire les frais et les salaires : le gîte et le couvert étant fournis, ça fait une bonne économie sur le budget. »
Anne pencha la tête et leva légèrement son verre pour répondre par la positive.
« Même la bière est faite maison. », continua-t-elle en montrant du doigt le verre vide de Seth.
« Et elle est très bonne ! », fit-il en tendant le verre vide à la barmaid.
« On se relaisse tenter ? », demanda-t-elle en prenant le verre.
« - Ma foi, pourquoi pas. Tout à l'heure, j'ai oublié de demander l'heure du dîner...
- Il sera servi vers 19h dans la salle de restauration. »
Elle resservit son client et, en passant, se fit une autre menthe à l'eau.
« A mon tour de vous poser des questions : que fait un beau jeune homme comme vous dans un coin aussi perdu ? Vous ne me ferez pas croire que vous êtes venu en vacances... »
Seth sourit avant de porter son verre à ses lèvres. Le liquide doré sembla parcourir tout son être.
Allons-y !
« - En fait, depuis quelques temps, je recherche une personne. Je suis parti de Toulouse pour rejoindre son domicile de la capitale. De là, j'ai suivi diverses pistes qui m'ont conduites a cette auberge.
- Vous savez... », répondit-elle, « ... ce lieu est plutôt animé l'été et le reste de l'année, les clients sont assez rares. »
« Justement, d'après mes renseignements, Solenne, la personne que je cherche, se serait trouvée sur cette route il y a tout juste un an... Ce ne devrait pas être compliqué vous en rappeler ! »
Pendant qu'il parlait, Seth avait sorti un petit porte-cartes d'où il sortit une photo.
Sur le papier mat, on pouvait voir une jeune femme aux longs cheveux assise sur les genoux d'un homme au teint mat.
« - Je recherche la jeune femme de la photo.
- Une petite amie partie avec un autre ? », sourit la femme.
« Non. », répondit doucement Seth, « C'est ma sœur. L'homme sur la photo est son mari. Logiquement, si elle est passée ici l'année dernière, il devait être avec elle. »
Anne regarda longuement la photo avant de hocher la tête.
« Non, j'ai une bonne mémoire des visages, si ces personnes avaient passé ne serait-ce qu'une nuit ici, je m'en souviendrais. Par contre, j'ai ouï-dire qu'un couple était passé le soir d'Halloween l'année passée, mais ils ne sont pas restés. Ce sont le Directeur et Amandine qui les avaient accueillis. Vous devriez leur demander directement. »
Seth acquiesça d'un hochement de tête avant de lever le coude.
« Demander quoi ? », fit la voix d'Amandine derrière lui.
Seth tourna sur lui-même, le verre toujours en main.
Comme sortie de nulle part, la jeune femme se tenait juste là. Un léger sourire aux lèvres, ses yeux pétillaient en regardant le jeune homme.
A moitié hypnotisé, Seth lui tendit la photo. La jeune femme la prit entre deux doigts tout en prenant soin de ne pas les mettre sur le cliché. Elle la regarda un instant avant de rendre la photo à son possesseur.
« Je crois me souvenir de ce couple, ils étaient passés le soir d'Halloween. La jeune femme voulait s'arrêter pour la nuit, mais l'homme n'avait cure de ce qu'elle disait et prétexta que c'était trop cher. »
Elle fixait Seth et Anne, mais son regard était ailleurs.
« Il me semble... », continua-t-elle, « ... qu'ils avaient rendez vous chez des amis, mais que pour une raison que j'ignore, l'homme s'était perdu.
- Il s'était perdu ? », demanda Seth.
« Oui, c'est ce qu'avait sous-entendu la jeune femme. », répondit Amandine.
« - Voilà qui est bizarre, l'homme est mon beau-frère, Steven Malpain. Comme je disais à Anne, la femme est ma sœur, Solenne. Je n'appréciais certes pas mon beauf, mais s'il y a bien une qualité qu'il avait c'était le sens de l'orientation. Il lui suffisait de voir ou de calculer un itinéraire une fois ou deux maximum, pour le parcourir sans faillir.
- Ce n'est pas moi qui ai eu affaire à eux directement, mais Mr Lerber. », répondit Amandine, « Le mieux serait de lui demander directement. »
« - Et où puis-je trouver le Directeur ?
- Il sera là pour le repas. », répondit la barmaid, « Vous pourrez lui poser toutes les questions que vous voudrez. Selon le nombre de clients, le repas se fait sur une table commune et vu que, pour le moment, vous êtes le seul, nous serons sur une grande table de sept personnes. »
« Sept ? », fit Seth.
« Oui... », répondit Amandine, « Nous serons rejoints par les autres employés de l'auberge. »
Seth but une gorgée de liquide doré et regarda sa montre.
18h10.
Le soleil s'était couché depuis un moment ; les appliques murales en avaient remplacé la lumière, accompagnées par deux gros lustres en fer forgé.
Seth sentit un coup de fatigue remonter jusqu'aux yeux. Ses yeux rougirent légèrement et le jeune homme étouffa un bâillement.
Le trajet en voiture l'avait pas mal fatigué. Il était resté bien concentré pendant toute la route. Maintenant qu'il était arrivé, son corps ressentait d'un coup toute la fatigue accumulée.
Il finit son verre et s'adressa aux deux collègues.
« Je vais me poser un peu avant de dîner, mesdames... »
Il prit congé et sortit de la salle du restaurant.
Amandine prit la place de Seth.
« J'espère qu'il ne posera pas trop de questions. », dit-elle à la barmaid.
« Tu sais bien que ça ne changera pas grand-chose. », lui répondit-elle.
« - Certes, mais je ressens quelque chose d'étrange en lui. Je crois qu'il a remarqué pas mal de choses.
- Et alors ? » fit Anne avec un demi-sourire.
« - Si un errant venait à réussir à sortir...
- ... et à quitter le Cercle de Feu, ce dernier se reformerait. T'inquiète, je connais le deal, et ni toi, ni moi, n'avons envie que cela n'arrive... n'est-ce-pas ? »
Amandine ne répondit pas, elle semblait être ailleurs.
« N'est-ce-pas Amandine ? », réitéra la barmaid.
« Oui, bien sûr. », répondit la jeune femme en secouant la tête, « Mais c'est vrai que j'en ai un peu marre de cette vie, je trouve le temps un peu long. »
« Je comprends. », fit Anne, « Mais je te conseille de te sortir ça de la tête, tu sais ce qu'il risque de t'arriver sinon. »
La jeune femme acquiesça doucement.
« - Je me souviendrai longtemps de ce qui est arrivé à Roland et Rachel...
- Grand bien te fasse ma petite, je ne voudrais pas me retrouver encore plus seule. »
Anne se pencha derrière son bar et remonta une pile d'assiettes dans les mains.
« Va donc mettre la table, ça te changera les idées. »
Amandine sourit légèrement et s'exécuta.
Anne, de son côté, sortit du bar pour rejoindre les cuisines.
Dans un des placards du salon, Amandine prit une grande nappe ronde de couleur rouge ainsi que les serviettes qui allaient de paire. Elle enleva les décorations de la plus grande table ronde du salon et y apposa la nappe comme les serviettes.
La jeune femme passa derrière le bar pour se saisir de sept assiettes, couteaux et fourchettes. Elle installa le tout sur la table.
Puis ce fut le tour des verres, elle sortit la panoplie des verres à pied en cristal ciselé ; elle savait que c'étaient les préférés du directeur.
Une fois tout installé, elle s'approcha d'une des fenêtres. Son regard se perdit à travers les ténèbres.
Dehors, la nuit avait tout englouti. La lune éclairait légèrement le relief de la vallée. La couleur blanchâtre du satellite terrien donnait au paysage une allure fantomatique.
Dans toute la vallée, seule l'auberge prouvait l'existence d'une occupation humaine.
Un peu de lumière dans l'obscurité.


Seth était allongé sur son lit les yeux fermés. Il sentait que les gens de cette auberge cachaient quelque chose. Il ne savait pas encore quoi, mais il le découvrirait.
Sans qu'il s'en aperçoive, Morphée attira Seth dans son royaume.
Seth se retrouva enfermé par les ténèbres. Il lui semblait sentir un sol sous ses pieds, mais il n'en aurait pas mis sa main au feu.
Il tourna autour de lui à la recherche d'une quelconque trace de lumière.
Rien !
Il commença alors à marcher aussi droit que possible. Le fait qu'il soit dans un noir total l'empêchait de se déplacer normalement.
Il préférait être prudent, il n'avait pas envie de se retrouver face contre terre.
Pendant ce qui lui sembla une éternité, il continua à marcher, les mains en avant cherchant un éventuel obstacle.
Il sentit alors comme un mouvement dans son dos. Il se retourna, tentant désespérément de voir quelque chose.
Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale, ce qui lui donna la chair de poule.
Il leva sa main droite pour se la passer sur la nuque quand un grand éclair de lumière lui fit fermer les yeux.
Il se courba légèrement, comme pour se protéger d'une éventuelle attaque.
Il resta courbé une vingtaine de secondes avant de pouvoir entrouvrir les yeux et se redresser.
Il n'en cru pas ses yeux : il se trouvait maintenant au beau milieu d'un vaste océan de verdure. D'après la hauteur du soleil, il devait être environ midi.
En regardant autour de lui avec plus d'attention, il reconnut la vallée où se trouvait l'auberge. Il était bien incapable de se situer dans la vallée.
Tout autour de lui semblait sorti d'un doux rêve, tant le paysage était magnifique. L'herbe était haute et dansait sous le vent.
Seth recommença à marcher.
Toujours droit devant.
Son passage dans les hautes herbes laissait apparaître un sillon dans l'harmonie chlorophyllienne. Il pouvait voir ça et là des petits bosquets de jeunes bouleaux accompagnés de quelques vieux chênes.
Alors qu'il se déplaçait toujours, il aperçut au loin une excroissance rocheuse, comme un doigt sorti du sol.
Il accéléra le pas en direction de la protubérance grise.
Il pensait devoir marcher un long moment avant d'y arriver, mais en quelques secondes, il avait rejoint ce qui était en fait une sorte de menhir.
Curieusement attiré par ce vestige du passé, il en fit le tour lentement. Il remarqua alors quelque chose de gravé sur la pierre, une sorte de symbole.
Trois flammes de couleur différente au-dessus d'un cercle rouge. De gauche à droite, les flammes étaient verte, bleue, jaune.

L'Auberge


Il jeta un œil le plus loin qu'il put, mais rien autour de lui ne pouvait prétendre à une possible présence humaine.
Il se remémora ce qu'avait dit Amandine. Elle avait parlé de trois tribus et d'un cercle de feu. Il comprit assez facilement qu'il devait être dans ce cercle de feu.
Il tendit la main pour toucher la marque.
A peine eut-il posé la main sur la pierre que la lumière du jour disparut.
Il se trouvait toujours dans la même vallée, à côté du menhir. Cependant, l'ambiance était toute autre.
Alors qu'en plein jour cet endroit respirait la tranquillité, de nuit l'ambiance était toute autre.
Il lâcha le rocher et fit quelques pas.
Un frisson lui parcourut la nuque, il sentait qu'il n'était plus seul.
Il leva les yeux et entr'aperçu la lune à travers les nuages. Sa lumière traversait le ciel, mais n'était pas assez forte pour que Seth puisse y voir mieux.
Quelque chose apparut à la périphérie de sa vision. Une peur indicible le prit aux tripes.
Il resta immobile, sachant pertinemment que le moindre mouvement serait signe d'arrêt de mort.
La chose à côté de lui fit quelques pas et se tourna face à Seth.
Ce dernier resta immobile face à la créature qui le regardait. Ils restèrent ainsi un moment, puis la chose s'avança un peu.
Seth put observer ce qui lui faisait face, la lune décida de lui donner un coup de main et sortit des nuages.
On aurait pu croire que cette chose eut été humaine un temps, mais elle empestait le Mal.
La créature devait faire un peu plus d'un mètre quatre-vingt-dix, des muscles saillants et dépourvu de peau sur la quasi-totalité du corps. Un liquide huileux et transparent suintait de partout.
Des excroissances osseuses d'un blanc laiteux sortaient de ses omoplates et de ses coudes.
Seth était resté concentré sur le corps de l'être qui le dévisageait. Ses yeux noirs se posèrent sur le visage de la créature.
Celle-ci baissa son buste en avant et ouvrit une gueule aux dents acérées.
Un grand feulement strident retentit... et la tête de Seth rencontra violemment le sol.
Il était allongé à même le sol et ne bougeait pas d'un iota, des sueurs froides sur tout le corps. Les réminiscences de son rêve encore ancré dans sa peau, il se releva lentement.
Le souffle court, il se rallongea et fixa le plafond.
Jamais il n'avait fait de rêve aussi réel ; pourtant, d'après ce qu'il lui en restait, il était persuadé que cette auberge avait un lien avec la disparition de sa sœur.
Il se leva courbaturé et s'étira en s'en allant sous la douche.

Dans le salon, la table était mise. Anne et Amandine attendaient les cinq retardataires. La jeune réceptionniste s'assit sur un des tabourets du bar quand trois personnes pénétrèrent dans la salle.
En tête, un homme d'une cinquantaine d'années avec un vieux mégot au coin des lèvres, suivi par un jeune couple d'une vingtaine d'années. Tous deux avaient les cheveux comme les yeux d'un noir de jais.
Amandine se leva de son tabouret, presque au garde à vous.
« Bonsoir George, bonsoir Victoire et Bruno. », dit-elle.
« 'Soir. », répondit George, « Ca va petite ? »
Il s'approcha du bar. Il embrassa sur la joue la jeune femme, non sans s'être débarrassé de son vieux mégot dans un des cendriers du bar.
Le couple lui adressa un signe de la main, continuant vers Anne et la table mise.
Tous s'approchèrent de la table, mais ne s'assirent nullement, attendant devant leur place désignée.
Bruno s'apprêtait à dire quelque chose quand un bruit de course dans le couloir l'interrompit.
« Excusez-moi, je me suis endormi. », fit Seth en passant l'encadrement de la porte.
Tout le monde s'était retourné à son arrivée.
En sortant de la douche, il s'était rappelé qu'il devait manger avec tout le monde dans le salon. Il s'était donc pressé. Il avait passé un pull fin à col roulé gris avec un jean délavé et sa paire de baskets habituelle. Ses cheveux blonds, encore mouillés, lui tombaient devant les yeux.
Amandine s'approcha un grand sourire aux lèvres.
« Bonsoir Seth, ne vous... ne t'inquiète pas, le Directeur n'est pas arrivé. Tant qu'il ne sera pas là, on ne commencera pas. »
Elle lui prit le bras et le guida jusqu'à la table.
« - Tu connais déjà Anne, je te présente Victoire qui gère toutes les réserves de l'auberge et s'occupe de la partie administrative de l'hôtellerie. Son compagnon, Bruno, et Georges s'occupent, eux, de tout ce qui touche au bétail et à la culture des différentes céréales, comme du potager.
- Bonsoir tout le monde. », fit Seth en levant la main.
« Voici donc notre invité. », fit une voix grave et rocailleuse.
Seth se retourna. Quand il vit l'homme dans l'encadrement, le souvenir de son rêve revint immédiatement en surface.
« Bonsoir Directeur. », fit l'assemblée derrière lui d'une même voix.
Seth ne bougeait pas d'un iota. L'homme lui non plus n'avait fait aucun mouvement.
Il ne devait pas faire plus d'un mètre soixante-cinq. Le visage droit, son regard noir semblait vous transpercer de part en part.
Il portait un costume blanc très cintré et une chemise rouge sombre sans cravate. Il avait les cheveux châtains fixés en arrière à l'aide d'un gel.
Il s'approcha lentement de Seth et lui tendit la main. Il la saisit machinalement.
La sensation qui s'en suivit lui envoya une décharge électrique dans tout le corps.

Cet homme pue la mort... pensa-t-il

Il essaya de rien laisser transparaître de son malaise et sourit au directeur.
« - Bonsoir cher invité, je suis Max Lerber, le directeur de cette petite entreprise.
-Bonsoir, Seth Viclos, le frère à la recherche de sa sœur.
-Oui, j'ai entendu dire que vous étiez parmi nous ce soir pour une raison bien précise.
-En effet. », répondit-il un petit sourire aux lèvres.
« Mais nous parlerons de tout ceci devant notre assiette. »
Le directeur lâcha la main de Seth et tourna la tête vers ses employés.
« Messieurs-dames, passons à table. »
Tout le monde s'assit sur sa chaise, à part Anne qui s'en fut dans la cuisine chercher l'entrée. Elle revint presque immédiatement avec un grand plat qu'elle posa sur le centre de la table.
Seth découvrit un joli plat remplit d'un côté d'œufs moulinés et de l'autre de différentes pièces de charcuterie.
Alors que la barmaid faisait le service, le directeur interpella l'invité de cette tablée.
« Donc vous recherchez votre sœur ? », dit il en prenant l'assiette que lui tendait Anne.
« - Oui, ça fera bientôt un an qu'elle a disparu avec son mari alors qu'ils se rendaient chez des amis. Personne ne sait pourquoi ils sont passés par là, mais après enquête, il s'avère qu'ils sont passés devant cette auberge.
- C'est pour cela que vous vous êtes arrêté ici.
- Oui, comme c'est la seule habitation à des kilomètres, ils se sont obligatoirement arrêtés ici.
- En effet, ils se sont arrêtés ici, mais ils ne sont pas restés. L'homme m'a dit qu'ils devaient traverser les montagnes.
- Et il a trouvé le tarif trop élevé. », fit Seth sur un ton sarcastique.
« Oui, aussi... », répondit le directeur en souriant légèrement.
« C'est dommage, je pensais vraiment trouver quelque chose ici. »
Seth se renfrogna et avala une grande part d'œufs avec de la mayonnaise et un morceau de jambon blanc.
Il rouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la referma de suite... quelque chose n'allait pas. Il sentit monter une douleur dans son ventre.
Levant légèrement la tête, il s'aperçut que tout le monde le regardait.
Son regard s'arrêta sur le visage du directeur. Ce dernier était tout sourire. Il se leva et fit le tour de la table.
Seth se sentait partir.
« Tu avais raison. », fit une voix grave et rocailleuse, « Ils ne sont pas loin, du moins ce qu'il en reste. »
Dans un sursaut, Seth sauta sur le directeur qui n'eut aucun mal à l'éviter.
« D'ailleurs, tu vas les rejoindre ».
Ce fut la dernière chose qu'il entendit, une seconde plus tard, le poing du directeur s'abattit violemment sur le visage de Seth.


Il avait les paupières lourdes et sa tête était une gigantesque douleur.
Il ne savait pas ce que c'était, mais le directeur avait une sacré poigne. Il essaya de bouger. C'est là qu'il comprit qu'il était pieds et poings liés.
Il ouvrit péniblement les yeux. En faisant doucement tourner sa tête de droite à gauche, il vit qu'il était allongé à même le sol dans une grande pièce aux murs de pierres.
Encore sonné, il avait du mal à regarder précisément un endroit. Il referma les yeux et se concentra sur son ouïe.
Il inspira longuement puis toussa fortement. Depuis qu'il s'était réveillé, ses narines avaient senti une drôle d'odeur. Un mélange de bois brûlé et de pourriture
Il inspira de nouveau, oubliant l'odeur, et souffla profondément.
Au bout de plusieurs respirations, il siffla doucement.
Quand il n'eut plus d'air, il inspira de nouveau et siffla encore, et encore.
Grâce à cela, il put déterminer qu'il était enfermé dans une pièce close.
Il ouvrit de nouveau les yeux.
La tête ne lui tournait plus, il était lucide maintenant.
De nouveau, il tourna sa tête de droite à gauche.
Il faisait sombre, mais il pouvait distinguer les murs. Comme il l'avait compris en sifflant, il était enfermé dans une pièce fermée.
La pièce était carrée, on pouvait voir à l'usure des murs qu'elle ne datait pas d'hier.
Sur le mur de droite, un détail accrocha le regard du prisonnier. Une grande trace sombre prenait la moitié du mur.
Un sentiment de malaise le prit aux tripes, il devait sortir d'ici le plus vite possible.
Il commença à examiner les liens qui le retenaient.
Au touché, il sut que c'était de simples cordes, mais la personne qui l'avait attaché en connaissait un rayon question nœuds.
Il sentait le nœud qui passait sur ses deux poignets, qui continuait sur son bassin pour finir sur ses chevilles.
Il tira doucement dessus, testa la solidité du nœud et tira encore.
C'est alors qu'un souvenir de son adolescence lui revint. Il s'était fait attraper par la brute du lycée, Joseph Balar. Le père de Balar, une brute épaisse ancien marin, avait appris à son fils à faire des nœuds marins.
Seth s'était retrouvé un peu dans le même cas, ficelé. Il était resté pas mal de temps sans pouvoir se dépêtrer de ce mauvais pas. Puis, à force de bouger, il s'était débrouillé pour libérer une de ses mains, ce qui avait suffit pour se libérer.
Repensant à cette histoire, Seth inspira plusieurs fois profondément. Il prit son pouce gauche dans sa main droite et, serrant les dents, tira d'un coup sec.
Un claquement sourd ainsi qu'une douleur aigüe lui signala que son pouce était bien démis.
Les dents toujours serrées, il fit bouger son doigt de telle sorte à pouvoir sortir sa main. Il chercha un moment mais réussit à se libérer.
Dès que sa main gauche fut libérée, il s'empressa de replacer le pouce dans son logement. Ceci ne fit pas disparaître la douleur pour autant.
Malgré la douleur, sa main gauche réussit à délier sa sœur puis, elles libérèrent les chevilles.
Une fois cela fait, Seth resta assis à réfléchir. Les bras croisés au-dessus des genoux et la tête posée dessus, il fit le point de tout ce qui venait de se passer.
Une petite voix en lui le suppliait de prendre ses jambes à son cou et de quitter cet enfer, mais il préférait se poser deux secondes plutôt que de risquer de se jeter dans la gueule du loup... même si c'était déjà un peu le cas.
Depuis le temps qu'il s'était réveillé, ses yeux s'étaient bien habitués à la pénombre. Devant lui, au milieu de ce qui semblait être un mur, il voyait un petit carré blanc. Juste à côté, on pouvait voir le contour lumineux d'une porte.
Le prisonnier se leva et, doucement, se dirigea vers le carré blanc. Il avança lentement le bras, deux doigts en avant.
Les phalanges touchèrent l'objet visé, un interrupteur.
Si la lumière fonctionnait, Seth savait très bien que cela pouvait informer ses ravisseurs qu'il s'était libéré.
Il ferma les yeux, pour éviter d'être ébloui, inspira puis fit tourner le bout de plastique.
Derrière ses paupières, il vit la lumière apparaître. Il ouvrit doucement les yeux et le regretta immédiatement, il comprit d'où venait l'odeur de pourriture...
Tous les murs étaient couverts de sang séché. On pouvait voir ça et là des morceaux de chair putréfiée, des os brisés recouverts d'une moisissure verdâtre. Dans les coins de la pièce, des traces de brûlures et de fumée montaient sur les murs.
Il revint au centre de la pièce et observa plus attentivement. Il s'aperçut que dans chaque coin, à côté des traces de brûlure gisait un objet d'apparence métallique.
Il fit le tour de la salle pour les ramasser. Quand il eut tout rassemblé, son esprit commença à comprendre certaines choses, notamment ce qu'il faisait là et pourquoi personne n'avait défoncé la porte pour savoir comment la lumière s'était allumée.
A ses pieds reposait une petite hache, un long couteau de cuisine, un autre couteau, mais de chasse celui-ci, un gourdin parsemé de clous à son extrémité et un vieux fléau sale et rouillé.
Son cerveau fonctionnait à 200 km/h.
En bref, il était la proie et il n'avait pas vraiment l'avantage...
Dans le meilleur des cas, il avait affaire à des chasseurs cannibales et il avait une bonne chance de s'en sortir.
Dans le pire des cas... le pire des cas... Vu où il était, il n'avait pas la moindre idée de ce qui pourrait être le pire des cas.
Dans un flash, il revit quelques images de son rêve.
Non, n'exagérons rien, je ne suis pas dans film de série B...

Il observait toujours la pièce, cherchant un éventuel joker. Il tourna sur lui-même plusieurs fois.
Un éclat de lumière l'arrêta.
En fait d'éclat de lumière, c'était un objet qui reflétait la lumière. Il s'en approcha.
Une panthère en argent.
Elle gisait dans ce qui fut une marre de sang.
Un sentiment de colère émergea au cœur des entrailles de Seth.
Tâchant de garder son calme, il prit le pendentif dans sa main.
Il le tourna dans sa main.

Pour ma petite fleur. S

Seth se rappela le jour où, toute contente, elle était arrivé chez lui paradant avec son pendentif. En plusieurs années de vie communes, Steven n'avait jamais été capable de faire autre chose que de lui faire du mal. Ce geste l'avait étonné...
Il ferma le poing et serra fort.
Il revint au milieu de la pièce, se baissa et prit les armes de fortune que ses agresseurs lui avaient laissées.
Avec le couteau de chasse, il coupa le col montant de son pull et fit de même avec les manches, laissant apparaître ses bras musclés.

Dommage, je l'aimais bien ce pull...

Il glissa la hache dans sa ceinture par le manche et fit de même avec le couteau de chasse, dans son dos. Il garda le couteau de cuisine dans la main droite.
Il sentait l'adrénaline déferler dans son corps. La dernière fois qu'il avait ressentit ça, c'était lors de la prise d'otages dans les Hauts Plateaux des Alpes deux ans auparavant.
Trois braqueurs s'étaient enfuis avec un otage chacun. Il avait été envoyé avec son équipe pour les retrouver et sauver les otages.
Résultat : Les trois ravisseurs mangeaient les pissenlits par la racine et les otages avaient retrouvé leur famille. Sept heures de traque avaient suffit à les retrouver.
Alors qu'il se remémorait ce passage de sa vie militaire, il entendit une respiration derrière la porte.
Il se recentra immédiatement, arme au poing. D'un bond, il se posta à côté de la porte, la main sur la poignée.
Il savait qu'il ne devait pas ouvrir cette porte avant d'avoir reconnu tout le périmètre, mais la colère l'emportait. Seth attendit que la personne derrière la porte tourne la poignée.
Quand il sentit la poignée bouger, il ouvrit la porte d'un coup sec.
Une forme passa l'encadrement de la porte pour s'écraser à même le sol.
D'un coup sec, le prisonnier referma la porte et sauta sur ce qui avait pénétré la cellule.
Un genou au milieu du dos, l'autre appuyé sur le cou de sa victime, il lui attrapa le bras et le ramena vers lui.
La clé de bras ainsi faite arracha un cri de douleur à sa proie.
Un cri aigu...
Entendant cela, Seth la retourna d'un coup.
Amandine se trouvait là, les yeux ruisselant de larmes. Elle n'eut pas le temps de dire un mot qu'elle se retrouva une main sur la gorge, l'étranglant à moitié
« Tu as 30 secondes pour t'expliquer, passé ce délai, je te brise la nuque ! »
Comme pour illustrer, la main serra de plus belle. Amandine tenta désespérément de se libérer mais n'y parvint guère.
« Je... je n'ai pas beaucoup de temps. », gargouilla-t-elle.
Seth desserra son emprise et d'un coup de hanche, s'éloigna de la jeune femme.
Toute sympathie envers la jeune femme avait disparu.
Amandine se releva péniblement, les muscles douloureux. Elle se mit face à Seth.
Quand ses yeux croisèrent le regard noir de l'homme en face d'elle, elle fit un pas en arrière et déglutit difficilement.
« Il existe une malédiction qui prend toute la vallée. L'histoire que je t'ai contée hier après-midi, est un arrangement de la réalité. Il y a des centaines d'années, une Porte fut ouverte par les trois tribus de la vallée. En fait, le Cercle de Feu représente cette Porte. Ce qui en est sorti fut pris pour des dieux et accueilli comme tel. Ils étaient six. »
Elle se massa le bras en grimaçant, puis continua :
« Sur les six créatures, cinq d'entre elles s'incarnèrent dans cinq enfants du village. Le sixième, le chef du groupe avait pris la forme d'un homme avant même d'être vu par les habitants des lieux. Une dizaine d'années plus tard, les cinq créatures "dormantes" sortirent de leur coma sous l'influence du chef. A eux six, ils décimèrent une première tribu, puis la seconde et enfin la dernière.
Tout ça en à peine trois nuits. Depuis ce jour, cette vallée est maudite. N'ayant plus rien à ce mettre sous la dent, les créatures hibernèrent. Jusqu'il ya un peu plus de vingt ans quand un homme décida d'ouvrir une auberge sur cette route pourtant si peu passagère. Le hasard voulut qu'il construise la bâtisse au milieu du Cercle de Feu.
Alléché par l'odeur de nourriture vivante, les créatures se réveillèrent et mangèrent. Mais le chef de la troupe, n'étant pas intéressé par une nouvelle hibernation, garda cinq des habitants de cette auberge afin de permettre à ses "enfants" de continuer à vivre. Il eut l'idée de continuer à entretenir l'auberge et qu'elle serve de "cage à homard". ».
Amandine s'arrêta, le souffle court.
Seth, lui, n'avait pas bougé d'un iota. Il l'écoutait religieusement, remettant toutes les pièces dans l'ordre.
« Pourquoi me racontes-tu ça ? », demanda-t-il. « Tu es l'un d'entre eux, non ? »
« - J'ai peut-être gardé un peu plus d'humanité que les autres, ou alors c'est parce que je suis sous ma forme humaine que j'en parle comme ça...
- Ta forme humaine ? », interrogea Seth, « Tu y crois vraiment à cette histoire de malédiction ? La réalité c'est que vous êtes une bande de fous dangereux certainement cannibales de surcroît et que je vais vous mettre une branlée. TU n'as pas trouvé autre chose que cette histoire abracabran...»
Elle l'interrompit brusquement en poussa un long cri de douleur. Elle se plia en deux, les bras en croix sur l'abdomen. Quelques secondes plus tard, elle était à genoux.
Sur ses gardes, Seth contourna Amandine pour s'acculer dans le fond. Il ne voulait pas qu'on puisse le surprendre par derrière s'il devait intervenir.
Il ne perdit rien de ce qui arrivait à la jeune femme. Dès la première apparition de la douleur, il avait compris qu'il devait se tenir à distance d'elle.
Il resta à distance raisonnable d'Amandine et se mit en garde, couteau en avant.
La jeune femme était maintenant prostrée en position fœtale sur le sol de la geôle. On entendit un long grognement monter doucement.
Seth déglutit. Il n'avait qu'une seule envie, c'est de se tirer d'ici, mais quelque chose au fond de lui savait qu'il devait rester... pour comprendre.
Soudain, le grognement se transforma en feulement sauvage. Ce cri, il l'avait déjà entendu.
La chair de poule lui couvrit intégralement le corps.
La jeune femme avait des spasmes de plus en plus violents et saccadés. Il semblait qu'elle essayait de se redresser. Les mouvements de son corps étaient de moins en moins humains et toujours plus saccadés.
Elle se redressa d'un coup, déchirant au passage les habits qu'elle portait. Des bulles apparurent sur sa peau. Tout d'abord toutes fines, elles grossissaient à vue d'œil.
On eut dit que son sang bouillait. Une des bulles de son bras droit éclata, laissant apparaître un peu de chair à vif.
Elle fut bientôt imitée par toutes les autres, qui éclatèrent à la suite. Des lambeaux de peau sautaient un peu partout dans des bruits de pétard mouillé.
Malgré l'horreur de la scène, ce qui sidéra Seth c'est la jeune femme, enfin, la chose qu'il avait en face de lui ne criait pas. Hormis le feulement au début de la transformation, aucun cri n'était sortit.

Je ne sais pas ce que c'est, mais il faut que je l'abatte maintenant, je ne suis pas sûr d'avoir un autre créneau... pensa-t-il

« Non, Seth s'il te plaît, attends ! »

Il avait entendu la voix directement dans sa tête. Il fut pris d'un hoquet et, d'un bond, recula de deux pas. Il sentait qu'il commençait à perdre le contrôle de lui-même.
Saborder une tentative d'attentat, retrouver et récupérer des otages ou faire des opérations coup de poing, ça, il savait faire, mais là c'en était trop.
Pendant que Seth tentait de garder son calme, la transformation continuait.
Toute la peau avait disparu du corps, seule la tête conservait un semblant d'épiderme.
C'était aussi le dernier souvenir du visage de la jeune femme. Mais ce souvenir ne dura qu'un instant : elle perdit toutes ses dents, remplacées par toute une rangée de crocs.
Elle ouvrit alors la bouche en grand, dévoilant la croissance de ses crocs. Un bruit de déchirement s'ensuivit : l'extrémité de sa bouche atteignait maintenant ses oreilles, comme si on lui avait dessiné un rictus sanguinolent sur le visage.
A l'intérieur de la gueule, le nombre de dents avait doublé et prenait maintenant toute la longueur du rictus.
Ses pavillons arrondis s'étaient allongés en longues pointes sur le crâne chauve du monstre.
Les spasmes se calmèrent peu à peu. Alors qu'elle avait presque retrouvé son calme, un dernier tressautement la prit au corps. On entendit un énorme craquement : l'os frontal s'était séparé en deux et prenait la forme de deux grands triangles qui partaient chacun d'un côté. Les deux sommets les plus hauts des triangles osseux sortirent à l'air libre en déchirant la peau. Son regard se posa sur Seth. Celui-ci, qui ne perdait rien de la scène, vit l'iris et la pupille disparaître en quelques secondes. Il ne restait que le blanc de la sclérotique.
Un silence net s'installa.
Seth avait la bouche sèche mais le pull trempé par la transpiration. Il ne pouvait croire ce qu'il voyait.
Dans une sorte de réflexe, il chargea la créature, un grand cri qui sortait du tréfonds de son âme.
Il fut attrapé au vol par sa cible qui le projeta de là où il venait. Il fit un vol plané jusqu'à toucher le mur qui l'arrêta net. Il se releva e se tenant l'épaule. Il cracha le sang qu'il avait dans la bouche par terre
« - Je ne te veux pas de mal.
- Sors de ma tête ! », s'exclama le militaire en se frottant le cuir chevelu violemment.
« Je n'ai plus de corde vocale, je ne peux parler que comme ça. »
Seth s'immobilisa. Il ne pouvait nier l'évidence, il savait très bien qu'il ne dormait pas, qu'il n'était pas fou et que ce n'était pas une blague. Mais accepter cette réalité était plus que difficile à avaler.
« - Si tu veux bien te calmer, je pourrai t'expliquer deux ou trois choses.
- Comment tu veux que je me calme ! Je suis en face d'un truc que je ne sais même pas ce que c'est. Et qui plus est, que tu n'es pas toute seule, j'imagine que celui que j'ai vu en rêve était un des vôtres.
- Oui, tu as vu celui qui est notre chef. Nous sommes des Rafraks. Une espèce d'un autre plan d'existence.
- Un autre plan ?
- Ne me dis pas que malgré ma transformation, tu ne me crois toujours pas au sujet de ce qui vit dans cette vallée... ?
- Je suis bien obligé d'y croire, ce que je ne sais pas ce que c'est un autre plan d'existence !
- Ton monde en est un. Il existe des mondes parallèles à celui-ci. Tu n'as jamais entendu parler de plan astral ? Ou de l'enfer et du paradis ? Je suis issue d'une réalité où les humains n'existent que pour nous servir de nourriture.
- Et tu vas me dire qu'en fait, tu es la seule végétarienne !
- Tu parles, je résiste à la tentation. J'aimerais tant pouvoir t'ouvrir le crâne et me délecter de ta cervelle. Surtout qu'à mon avis, tu dois être un morceau de choix ! »
La créature émit un long bruit de succion en guise d'image.
« - Pourquoi tu me racontes tout ça, tu n'as pas répondu à la question...
- Je veux mourir et tu vas m'y aider. En échange, je te montrerai comment sortir d'ici.
- Il y a un truc qui me chiffonne, pourquoi je n'ai vu aucun de tes collègues depuis que je suis réveillé ?
- J'ai obtenu le droit de la première bouchée, quand tu es encore vivant. Tu ne peux pas savoir à quel votre matière grise est un met...
- Je ne veux pas savoir. Ils ne peuvent pas capter mes pensées ou un truc comme ça ?
- Non, ils ne t'entendent pas, tu crois que tu serais encore en vie si tel était le cas ? Réfléchis un peu ! »
Seth observa longuement ce qu'il avait en face de lui. Il n'avait pas d'autre choix que de la croire... et en plus avec un peu de chance, il s'en sortirait indemne.
Avec beaucoup de chance... pensa-t-il.
Il passa sa main droite dans ses cheveux humides de transpiration. Il sentit un objet dur dans la paume.
La panthère !
Il avait complètement oublié le pendentif de sa sœur.
« - Ma sœur...
- Est morte, oui. Mais si ca peut te consoler, elle s'est débattue du mieux qu'elle a pu. »
Une image s'imposa à l'esprit de l'homme, celle de sa sœur luttant désespérément. Peut être l'appelant à la rescousse.
Une fureur sourde et sauvage s'empara de Seth.
« - Seth ?
- Ta gueule ! Tu veux mourir, tu vas être servie... Tourne-toi !
- Un conseil avant : ne te frotte pas à Schl'od, notre chef, tu n'arriverais a rien. »
Pendant qu'elle donnait ce dernier conseil, elle s'était tournée. Les créatures pouvaient être les plus fortes dans un corps à corps, Seth avait bien compris que leur point faible se trouvait dans leur dos : la colonne vertébrale était à nu.
Il prit la hache en main. Il la brandit du plus haut qu'il put. Il allait l'abattre sur la nuque du monstre quand la porte explosa.
« Gro'lm ! »
Seth n'eut pas le temps de finir son geste qu'il fut de nouveau projeté contre le mur du fond, mais cette fois-ci beaucoup plus violement. Seth sentit son dos ployer légèrement quand le choc survint.
Il tenta de se lever, mais ne parvint qu'à s'assoir, toussant et crachant du sang. En retombant, il s'était mordu la langue.
« Putain, j'en ai marre des vols planés. », marmonna-t-il.
Il releva la tête et s'aperçut que le nouveau protagoniste l'observait d'un œil mauvais.
Seth remarqua quelques différences physiques entre celui-là et "Amandine". La première chose qui le frappât, ce fut les yeux de la créature. La sclérotique avait pris une teinte bleu glacial. Le corps du deuxième monstre avait la même couleur rouge rosée que l'autre, mais ses muscles étaient bien plus prononcés et volumineux.
Ce qui marqua le plus Seth, c'était les doigts, ou plutôt comment se terminaient ses doigts : de longues griffes acérées.
Le militaire se leva tant bien que mal. C'est alors qu'il comprit une chose : la créature en face de lui ne l'observait pas, il attendait qu'il soit debout... Il n'y a pas de plaisir à attaquer une proie à terre.
Seth eut un léger vertige qu'il contrôla comme il put, il restait concentré sur son adversaire.
Sans crier gare, Gro'lm s'élança sur celui qui lui servirait bientôt de repas. C'était sans compter les réactions du pique-nique ambulant.
Seth fit trois grand pas pour rejoindre son assaillant, puis, d'un coup de hanche, il tourna sur lui-même. Se servant de la vitesse du monstre, il lui fit prendre un vol plané à son tour.
Gro'lm percuta le mur et atterrit la tête la première sur le sol.
Seth en profita pour prendre une grande inspiration. Il posa ses mains sur ses genoux, son corps devenait un gigantesque hématome. Pourtant, il savait qu'il devait oublier la douleur s'il voulait s'en sortir.
Apparemment, "Amandine" ne lui voulait vraiment pas de mal, elle n'avait pas bougé depuis l'entrée de Gro'lm.
Ce dernier, à peine sonné par le choc, se relevait déjà. Seth s'aperçut alors de quelque chose. La moitié de son dos était recouvert par des plaques de cartilage gris.
Il devait donc trouver l'endroit où viser.
Là, c'est la blaze... pensa-t-il
Il fit craquer sa nuque et se mit en garde.
Il se revit lors de la création de la Section Spéciale d'Intervention. Ce peloton comportait sept membres : Olivier, Sophie, Thomas, Claire, Kevin, Asmae et le chef de section, Seth.
Ils avaient été sélectionnés dans plusieurs troupes françaises pour former une section spécialement formée pour les cas d'enlèvements et de prises d'otages qui dégénéraient. Comme pour tout peloton spécial, ils avaient eu droit à un entraînement spécialement infernal.
Marc, leur prof.
Il était passé maître en tae kwon do, boxe thaï et judo. Après quelques années dans l'armée, il excellait dans la pratique du camouflage et de la filature, en ville comme en pleine forêt.
Tout adversaire a un point faible, le tout c'est de le trouver sans se faire tuer !
Entraînement leçon 1 : l'esquive.

Seth se concentra sur son adversaire, tous les sens en alerte. Il savait qu'à cet instant, c'était tuer ou être tué.
Gro'lm, tout en finesse, poussa un feulement et fonça toutes griffes dehors. Avec une fluidité féline, Seth feinta le monstre qui ne trouva sous ses serres que de l'air... et un autre mur.
L'humanoïde se retourna immédiatement et revint à la charge. Mais cette fois, il évita de foncer tête baissée, il avait compris que la précipitation ne l'amènerait à rien.
Gro'lm lança un bras, puis l'autre. Il attaquait sans cesse.
Seth, voyant le changement de tactique de la créature, fit de même. Il gardait ses distances et continuait d'esquiver et d'envoyer balader son adversaire.
Malgré tout, Gro'lm gagnait du terrain et Seth fatiguait.
Alors que le monstre continuait à attaquer, l'homme vit apparaître plusieurs traits bleus sur le corps de Gro'lm.
Seth décida de tenter le coup. Jusqu'alors, il avait gardé le couteau de chasse dans son dos. Il attendit que son adversaire lance une attaque frontale ou un direct vers lui.
Il n'eut pas à attendre longtemps, le monstre, paume ouverte, essayant d'attraper la tête de Seth.
Celui-ci feinta à gauche en s'avançant légèrement courbé. Il attrapa l'arme blanche et d'un geste sec mais précis, il trancha le trait bleu qui passait sur le côté droit de son abdomen. Apparemment, la lame du couteau était bien effilée, elle l'avait tranché comme du beurre
La créature poussa un cri strident. A l'endroit où Seth avait coupé, un liquide noir coulait abondamment
Leçon numéro 2 : profiter de la surprise de l'adversaire
Le monstre avait posé un genou à terre et essayait tant bien que mal de contenir l'hémorragie.
Essoufflé, Seth regard autour de lui. Il vit la hache à deux mètres de lui. Il l'attrapa avant de s'avancer vers Gro'lm.
Ce dernier était semble-t-il perplexe que quelqu'un l'aie blessé. Il ne comprit que trop tard que le combat n'était pas fini, la hache s'abattit avec rage à la base de son cou, ce qui le tua net.
Seth récupéra la hache et se tourna vers "Amandine". Celle-ci n'avait rien perdu du combat, mais semblait surprise elle aussi qu'un des siens ait été abattu.
« Ok. », fit-il, « Fais-moi sortir de là et j'accèderai à ta demande. »
La phrase de Seth la fit sortir de sa rêverie. Elle observa l'homme en face d'elle. Il y a encore peu de temps, il était habillé d'un pull à col roulé. Après le combat, ce n'était plus qu'un haillon.
« - Pour que tu puisses vraiment t'en sortir, il faudra que tu tiennes jusqu'au lever du jour. Après la nuit d'Halloween, comme les routes alentour sont de moins en moins praticables, on s'enferme dans les sous-sols jusqu'au mois de février.
- Et ca dure comme ça depuis plus de vingt ans ? », fit Seth.
« Et ca durera jusqu'à ce que le Cercle de Feu soit détruit. Mais nous n'avons plus le temps pour discuter. Si Gro'lm ne répond pas présent quand Schl'od l'appellera, on l'aura très rapidement aux fesses. »
Seth ne se le fit pas répéter. Il fit signe à l'ancienne réceptionniste de passer devant.
« A propos, tu n'es pas obligé d'utiliser tes cordes vocales pour me parler. Je suis télépathe... »
L'homme s'en doutait, mais le fait qu'elle puisse lire en lui comme dans un livre ouvert ne l'enchantait guère. Elle passa lentement l'encadrement de ce qui fut la porte. Seth restait en retrait à quatre pas derrière elle, la confiance n'était pas totale.
Il ne savait pas depuis combien de temps il était enfermé dans cette pièce, mais il avait l'intime conviction qu'il y était depuis un petit moment.
Il s'apprêtait à pénétrer un monde qu'il n'aurait jamais cru possible quelques jours auparavant et, il fallait l'avouer, il avait peur. Tout à l'heure, le combat n'était que la résultante de plus de dix ans d'entraînements et de réflexes militaires, ainsi qu'une bonne grosse dose d'adrénaline.
Seth essaya de jeter un coup d'œil par-dessus l'épaule de sa compagne d'un soir. Tout ce qu'il vit, c'est un long couloir éclairé par ce qui semblait être des torches.
« Allons-y. »
Elle partit en courant droit devant, suivie de près par le militaire. Comme il l'avait deviné, le couloir était parsemé de torches plus ou moins grandes. Il se forçait à regarder en face de lui, il ne voulait pas voir ce que comportait ce couloir.
Ils firent une bonne centaine de mètres avant d'arriver à une intersection.
Sans hésiter, elle prit sur la droite. Une fois qu'il eut passé le croisement, Seth vit une porte de lumière se dessiner dans la pénombre.
Ils accélérèrent le pas. En quelques enjambées, ils passèrent la porte pour se retrouver dehors... dans la vallée.
Seth s'arrêta de courir. Il posa ses mains sur ses genoux fléchis, essayant de retrouver son souffle. De sa bouche sortait un nuage à chaque expiration. Les ténèbres de la nuit étaient toujours là.
« Ne t'arrête pas, il faut atteindre l'auberge avant que... »
Un grand cri rauque surgit derrière eux. Seth se retourna et s'aperçut que le couloir qu'il venait de traverser n'était pas derrière lui.
« - Il faut qu'on regagne de suite l'auberge.
- Pourquoi l'auberge ? »
, demanda Seth.
« - Nous sommes le soir d'Halloween, le soir du Paradoxe. Le seul endroit sur terre qu'on ne peut fouler est celui qui nous a vus arriver dans cette dimension.
- Ok, ca marche pour l'auberge. »
, pensa Seth.
Les deux camarades de fortune se remirent en marche. La lune était pleine et inondait la vallée de sa lumière. On pouvait voir l'auberge dans ses habits de nuit. Elle semblait sortie d'une autre dimension.
Ils couraient depuis quelques secondes à peine que la lumière de la lune disparut d'un coup.
« C'est quoi ça encore. », fit Seth.
« Schl'od, il n'est pas loin derrière ! Accélère ! »
A peine eut-elle dit ça que Seth sentit quelque chose lui frôler la nuque. Quelqu'un a dit un jour que la peur donnait des ailes. Si cela n'avait pas été déjà le cas, c'est ici qu'il aurait compris ce que ça voulait dire.
Il allongea sa foulée et accéléra le rythme, oubliant qu'il n'y voyait rien, il courait droit devant.
Son cœur était à la limite de l'explosion, chaque respiration était une douleur, mais il savait que le moindre faux pas signifierait la mort pour lui.
Il ne sentait plus la présence d'Amandine à côté de lui, ce qui ne l'arrangeait pas vraiment... il aurait préféré garder un œil sur elle.
« Continue, tu es presque arrivé !!!! »
Seth ne répondit pas, trop concentré par sa course et ses pieds.
Il posait son pied droit sur le sol quand il sentit quelque chose lui faucher la jambe. Son élan acquis, il partit en l'air.
Il atterrit sur son épaule déjà blessée, ce qui lui arracha un cri de douleur. D'un geste automatique, il se passa la main sur son bras endolori.
Il s'aperçut alors que les ténèbres s'étaient dissipées. Il pouvait voir à quelques mètres de lui l'auberge et sa voiture.
Seth se releva péniblement.
Il tourna sur lui-même. Apparemment, les ténèbres n'avaient pas lieu d'être dans le Cercle de Feu. Il pouvait voir toute la vallée plongée dans la nuit.
A l'est, le bleu nuit prenait des couleurs plus chaudes : l'aube approchait.
Voyant la lumière de plus en plus forte, Seth tomba à genou. Jamais il n'avait été autant malmené.
Une main griffue le saisit à la gorge et le souleva de terre.
Il regarda la créature droit dans les yeux et reconnut celle de son cauchemar.
« L'astre n'est pas encore levé, j'ai le temps de te lever. », dit Schl'od.
« - Comment... le Cercle...
- Tu es mal renseigné, même à Halloween, au petit matin, la protection s'abaisse sans que j'aie à redevenir humain. »
D'un coup, Seth tendit ses deux bras et saisit la tête de la créature. Il plaça ses pouces sur les yeux de Schl'od et appuya du plus fort qu'il put.
En quelques secondes, ses pouces s'étaient enfoncés dans les orbites calleuses de la créature. Schl'od lâcha sa victime en poussant un puissant grognement.
Seth sentit ses jambes défaillir. Il s'assit à même le sol. Les premiers rayons de soleil embrasèrent la plaine et les murs de l'auberge.
A moitié inconscient, il observait le chef des créatures en train de se débattre contre les rayons de soleil. De la fumée sortait de sa chair. Dans un dernier sursaut, il creusa la terre avec ses griffes acérées.
En quelques secondes, il fut entièrement enterré.
Ce fut la dernière chose que vit Seth avant de tomber dans les vapes.
Il resta ainsi sans bouger jusqu'au milieu de l'après midi. Le soleil avait laissé la place aux nuages. Des nuages noirs, chargés de pluie.
Une goutte d'eau tomba sur la joue du militaire. Puis deux, trois, cinq... quelques secondes plus tard, il était trempé, mouillé.
L'eau de pluie eut un effet rassurant sur Seth : il était en vie !
Maintenant, il devait rentrer chez lui, il devait organiser les obsèques de sa sœur. A cette idée, les larmes coulèrent toutes seules sur ses joues.
Il se leva péniblement, courbaturé, blessé... En boitant, il revint dans l'auberge. Il récupéra ses clés à l'accueil puis monta jusqu'à sa chambre. Il récupéra ses affaires et, au passage, prit les plumes de corbeau qu'il vit dans la chambre.
Grimaçant à chaque pas, il redescendit les marches.
Alors qu'il passait devant la banque de l'accueil, une idée lui traversa l'esprit. Il posa les sacs et prit la direction de la salle à manger.
Il revint quelques minutes plus tard. Il remit son sac sur le dos et sortit de l'auberge.
Seth savait pertinemment qu'il n'était pas vraiment en état de conduire, mais il le fallait au moins jusqu'à ce qu'il puisse trouver un peu de réseau.
Ses pas crissaient dans le gravier mouillé. Il fit le chemin inverse de lors de son arrivée. Il ouvrit sa voiture, posa les sacs sur la banquette arrière, avant de démarrer.
Le moteur ronronnait. Il fit demi-tour et prit la sortie.
Dans le rétroviseur intérieur, Seth vit une ombre pénétrer dans l'auberge. Il sourit légèrement.
Pendant que la voiture s'éloignait, Amandine pénétrait dans le salon. Elle comprit alors que Seth avait tenu parole. L'odeur de gaz était plus que prenante.
La "jeune femme" s'assit sur une des chaises.
Sur la table en face d'elle, un réveil trônait. Sur le dos du réveil, on pouvait voir deux petits fils électriques sortir, à moitié dénudé.
Seth parvenait à la sortie de la vallée quand derrière lui une détonation brisa le silence environnant.
La Corsa disparut derrière un virage.
Malgré la pluie, l'auberge brûla jusqu'au matin suivant.
Les flammes, hautes et puissantes, avaient dessiné sur le sol une marque comme faite par la main de l'Homme.
Un grand cercle parfaitement rond...

Drizzt

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