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Animation Halloween 2007

Animation Halloween 2007 : L'examen de la citrouille

Sean


1.

Les flammes de la citrouille s'étaient éteintes depuis quelques heures déjà, mais bizarrement, Sean avait beaucoup de mal à fermer l'œil. Au début, il avait vraiment eu envie de désobéir à Maman. Les sucreries qui étaient restées sur la table de la salle à manger étaient très attirantes, surtout pour un petit garçon terrifiant comme lui. Il n'avait eu le droit que d'en manger deux, il en restait plein, la chasse avait été bonne en fait... Il regardait simplement la porte, mais maintenant ce n'était plus réellement la même raison qui le poussait à la fixer. Il respirait doucement tentant de cacher le bruit de sa respiration, les draps remontés jusque sur sa tête. Il ne voulait pas qu'il le surprenne. Il voulait le voir arriver, même si la peur le gelait à l'intérieur.
Dehors, le parquet grinçait. Ces vieux morceaux de bois qui couvraient la maison de Grand-Mère avait toujours fait du bruit, particulièrement quand il pleuvait. Il y avait aussi le vent qui soufflait dans les branches du vieux chêne, au dehors. Elles crissaient en frottant contre les tuiles du toit. A moins que...

Quelque chose frappa contre la vitre de sa fenêtre-guillotine... Clac... Clac... Clac-clac encore... Il n'osa pas se retourner... Ses jambes tremblaient, froides de terreur. La lune n'éclairait pas assez, ou plutôt non, elle éclairait juste assez pour projeter des ombres terrifiantes sur le sol... Mais était-ce bien la lune ? Clac, clac-clac... Le bruit devint simplement assourdissant, et la lune s'éteignit. Sean avait encore plus peur de son beau-père que des bruits qui provenaient de cet environnement étrange, Grand-Mère ne manquerait pas de le lui dire, même si elle ne le voulait pas vraiment... Cette pensée le fit frissonner, plus fort que la peur. Il serra les dents.

« Tu es un petit garçon bien étrange. », dit une voix assez basse dans la pièce, au pied de son lit.

Sean fit un bond, mais la pensée qu'il allait devenir une "mauviette" et que son beau-père lui en voudrait, le figea sur place.

« Généralement, », reprit la voix, « quand je parle après être rentré dans la chambre d'un petit garçon, il hurle comme si la mort était à ses trousses. »

La voix étrange avait comme des accents de regret.

« Mais pas toi... », dit-elle encore, songeuse, « Pourquoi pas toi ? »

Sean n'osait plus bouger, c'était crier et subir les sarcasmes et les punitions de son beau-père ou rester là, terrifié, à écouter la voix.

« Tu as peur, je le sais, je le sens. », dit-elle en reniflant, « Alors pourquoi ne cries-tu pas ? »

Elle semblait presque suppliante.

« Et en plus, il pleut... », dit-elle.

Sean entendit quelque chose crisser sur le parquet... Il serra les dents.

« Regardez-moi ça, je vais rater mon examen et en plus, je vais me prendre la saucée. »

Elle se déplaça, elle se trouvait tout près de Sean... Il releva la tête pour se retrouver en face de deux yeux rouges luisants... Il eut pour premier reflexe de vouloir se débattre et crier, mais il se mordit la lèvre.

La voix, et les yeux qui allaient avec, s'installa dans le fauteuil à bascule qui se trouvait en face du lit de Sean, et posa la tête sur ses mains griffues.

« Je fais quoi maintenant ? », questionna-elle, « Ce n'est pas dans le manuel, ça... Normalement avec les yeux rouges, tous les enfants hurlent à en mourir... »

La lune refit son apparition.

Ce qui se trouvait sur la chaise avait une forme de garçon, étrange, aux yeux orange, à la tignasse hirsute et au visage malicieux. Sean trouva qu'il n'avait pas vraiment les caractéristiques d'un "monstre à faire peur". Il repoussa les draps loin de lui et il s'assit sur le rebord de son lit.

« Tu es qui ? », dit-il d'abord timidement.

« Ravel... », répondit la voix, « Mais cet accent me fatigue... »

Il soupira violemment et se laissa aller dans la chaise à bascule.

« Ils m'avaient dit qu'il ne fallait pas venir dans cette maison, parce qu'il n'y avait personne à effrayer. Mais tous les autres garçons étaient occupés, alors je n'avais pas vraiment le choix. Il ne restait que toi ou une vilaine fillette, celle qui habite au bout de la rue. Celle avec son vilain petit caniche. », dit Ravel alors que sa grosse voix se dégonflait comme une baudruche, « J'aurais dû choisir le caniche... »

« Pourquoi ils t'avaient conseillé de pas venir ici ? », dit Sean, « Et... heu... pourquoi tu veux faire peur à quelqu'un ? »

« Ben, c'est Halloween aujourd'hui... », répondit Ravel penaud, « C'est le jour des examens... et c'est le meilleur de la classe qui ne va pas l'avoir parce que tu n'auras pas crié. »

« Je peux pas... », s'excusa Sean, « Je suis désolé. »

Ravel le regarda, assez gêné. Il se leva et s'approcha.

« Je pourrais... hum... te menacer de te couper en morceau... », dit-il et il sortit de la poche de son jean slim dernière mode un long couteau de boucher couvert de sang.

« Heu... ça ne rentre pas là dedans, ça... », contra Sean, « C'est pas possible... »

« Non, non, attends... Je te menace là... Tu ne peux pas me dire que c'est pas possible, c'est pas dans les réponses envisagées dans le manuel, ça... », dit Ravel en levant le couteau au ciel.

« Tu peux pas m'assassiner avec un couteau qui ne tient pas dans ta poche, c'est pas possible. », dit Sean convaincu.

« Et Mer...credi... Qu'est-ce qui m'a fichu d'un garçon comme toi ?... Forcément, j'ai tiré le mauvais numéro... J'y crois pas... », dit-il en se retournant.

Il fit une nouvelle fois demi-tour, et leva le couteau...

« Um-um, JE VAIS TE TUER... », hurla-t-il sans sommation, « Te faire longuement souffffffffrir... Tu vas me supplieeeeeeeerrrrrrr d'arrrrrrrêterrrr... »

Sean éclata purement et simplement de rire.

« Qu'est-ce qu'il y a, ENCORE ?!... », s'énerva Ravel, « Qu'est-ce qu'il te faut pour avoir peur, bon sang ?! »

« Alors, là, je... pPouffffffff-ouaaaaahahahahahaha ! », répondit Sean.

Ravel fit la moue et s'installa, triste, de nouveau dans le fauteuil à bascule.

« Bon, ben, je crois que je vais redoubler. », dit-il finalement, « J'ai jamais été très bon pendant les travaux pratiques. »

Sean le regarda, un peu embêté de voir son monstre personnel triste.

« Pourquoi tu veux devenir un monstre ? », demanda Sean, « Y'a plein d'autres métiers très bien, tu sais... »

« Mon papa est un monstre, ma maman est un monstre, et mes grands frères sont de très bons monstres aussi... Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ? », répondit Ravel.

Ils se regardèrent un moment. Sean finit par changer de position, tentant de faire circuler de nouveau le sang dans la jambe sur laquelle il venait de s'asseoir. Le pendentif qui sortit de son pyjama attira le regard de Ravel.

« Je comprends pourquoi il m'avait dit qu'il ne fallait pas venir ici... », dit-il dans un souffle, « Et Mer...credi... »

Sean le regarda surpris, c'était le monstre qui avait peur maintenant, semblait-il.

« Qu'est-ce que j'ai fait ? », demanda-t-il.

« Toi... rien... », répondit le monstre-garçon, « C'est moi qui ai fait une grosse bêtise... »

2.

Sean restait allongé sur le ventre, ça ne lui faisait pas trop mal dans cette position. Son beau-père s'était fâché très fort cette fois, et Sean se demandait s'il n'avait pas cassé quelque chose, ça faisait plus mal que d'habitude.

« Pourquoi tu me laisses pas lui régler son compte une bonne fois ? », dit une voix dans son dos, « Je pourrais au moins lui foutre la frousse de sa vie. »

Sean avait les larmes aux yeux. Pas à cause de la douleur, mais bien à cause de ce que disait son meilleur... son seul ami. Il ne voulait pas que Ravel devienne un "monstre massacreur", comme il les appelait. Parce qu'il savait que s'il faisait ça, alors il y aurait un chasseur pour le trouver le tuer. Ravel lui avait tout expliqué, la vie des monstres et le royaume "d'en dessous".

« Tu ne feras pas la différence. », dit Sean, « Tu le tueras réellement, n'est-ce pas ? »

« Arrête, il le mérite largement. Avec ce qu'il te fait subir. »

« Mais y'a pas de classement officiel pour les "monstres-redresseurs-de-tords", Ravel, tu sais que si tu le tues, tu deviens un massacreur, un point c'est tout. »

« Qu'est-ce que ça peut te faire, s'il te laisse tranquille finalement ? », dit le Monstre-garçon, « Je m'en sortirai très bien comme massacreur aussi. »

« Tu vas te faire tuer, Ravel, et tu le sais. », dit Sean en pleurant, « Et je ne veux pas que tu te fasses tuer pour moi. Tu es mon seul ami.»

Le Monstre-garçon reste un moment bouche bée...

« Ca, non plus, c'était pas dans le manuel. », finit-il par dire, « Mais j'aime toujours pas les caniches. »

3.

Halloween, encore une fois. Ca faisait un an que Sean et Ravel se connaissaient et c'était le jour.

« Tu as encore le choix... », disait Ravel, « Tu peux encore trouver une autre solution. Je sais pas moi, tu peux t'enfuir. »

« Il me retrouvera. »

« Tu peux... aller voir la police et leur raconter... », tenta-t-il de nouveau.

« Il ne me croiront pas. Il est policier. »

« Tu peux... heu... oh puis zut, je sais plus moi... », finit-il par s'énerver.

« Moi, je sais... », finit Sean, « Je vais devenir un monstre. »

Il poussa la porte de la chambre de ses parents et les découvrit nus tous les deux et dans une position indécente.

« Qu'est-ce que tu fiches ici, petit salopard ? », hurla le beau-père, « Cette fois, je vais te casser en deux. »

Ravel secoua la tête, dans le couloir.

« Je ne crois pas que tu en aies encore le temps. Je suis un monstre maintenant. »

Il y eut un clic, puis...

BANG...

Et un cri d'horreur, comme jamais Ravel n'en avait jamais entendu. Son ami avait réussi les deux examens en une fois. Il ferait certainement un très bon monstre.


Suzie


1.

La chose effrayante qui marchait dans la rue, sur le trottoir d'en-face, la regardait, elle, Suzie. Elle se trouva d'un coup à la fois ridicule, indécente, honteuse et coupable, incroyablement, coupable. Cette chose avait l'apparence d'un homme, mais ce n'en était pas un. Elle avait le souffle glacial de l'hiver, en été. Elle avait aussi l'odeur du soufre, dans les remugles empuantis des rues chaudes de New-York. Elle avait aussi un goût d'inéluctabilité et d'éternité, dans un monde où tout passait si vite.

Une vie, sordide comme la sienne. Une naïveté, depuis longtemps perdue. Un souffle, terrifié et avorté par la terreur.

La chose s'approcha et la regarda de ses grands yeux orange, brûlant d'un feu d'enfer et glaçant son âme viciée. Elle se demanda si ce qu'elle allait devoir subir...

« Un bonbon ou une blague... », s'écria la chose avec une voix enfantine.

Suzie tenta de reprendre le contrôle, elle était shootée, ce n'était pas la réalité. Quel mauvais trip. Une adulte s'approcha, la chose n'avait plus l'air aussi terrifiante qu'au départ, c'était juste un gamin, rien de plus.

« Laisse donc la dame tranquille, chéri. » dit la femme sans la regarder.

Il valait mieux en effet, Suzie n'avait rien d'une personne fréquentable, en tout cas c'est ce qu'elle pensait d'elle-même. Elle baissa les yeux sur son corps affalé sur ce banc de bois, elle n'en avait pas l'apparence en fait, mais c'était aussi ce qu'aimaient les clients. Ils voulaient un peu plus qu'une passe. Un peu plus que le corps de la femme qui suivait dans les étages pour assouvir leurs pulsions malsaines. Ils voulaient un peu de rêve. Elle le prenait en poudre et le revendait en tailleur griffé, piqué chez un receleur. Qu'est-ce que ça pouvait faire après tout ? Il ne restait rien dans sa vie dont elle pouvait être fière.

Elle regarda le gamin s'éloigner, tiré par une maman très fâchée de son choix pour avoir des sucreries. Pour les gâteries qu'elle pourrait lui offrir, il devrait attendre encore quelques années. Mais elle serait certainement morte entre-temps, peut-être que Petit Monstre saura éviter d'avoir recours à des services comme les siens.

Suzie divaguait, elle ne savait plus trop où elle devait aller, ce qu'elle devait faire ou bien même ce qu'elle était. Elle se passa la main sur le visage.

« Puis-je vous offrir un café ? », demanda une voix masculine, « Il me semble que vous en avez besoin. »

« Excusez-moi. », répondit-elle, « Je suis en service. »

L'homme rit.

« Je peux payer le service, y compris pour prendre un simple café. », ajouta-t-il.

Elle finit par lever les yeux. C'était un ange, ou elle rêvait encore. L'homme qui se trouvait devant elle portait un costume crème assez peu courant au col officier. Une chemise blanche était à peine visible en dessous de sa veste. Mais ce n'était pas vraiment ses vêtements qui avaient attiré Suzie. C'était ses yeux d'un bleu profond comme les ténèbres.
Son visage, qu'elle détailla, était un peu enfantin, il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Ses cheveux coupés court étaient un peu en désordre, suffisamment pour qu'il paraisse un peu moins strict que le reste de son apparence aurait pu le faire paraître. Il était imberbe, et ses lèvres était presque féminines, légères et pales.
Lorsqu'il lui tendit la main, elle ne sut plus réellement ce qu'elle devait faire. C'était la première fois qu'un client lui faisait cet effet. Il lui sourit doucement, pour l'inviter à le suivre. Elle se leva à peine soutenue par sa poigne solide. Elle était totalement dégrisée comme si elle venait de prendre une grande douche froide.

« Vous devriez paraître moins étonnée, vous savez... », dit-il simplement, « Vous n'êtes pas aussi laide que ce que vous le pensez. »

« Mais, je ... », tenta-t-elle de se défendre.

« Allons, vos yeux hurlent que vous n'êtes pas fréquentable. », contra-t-il très vite, « Mais les enfants ne se trompent que rarement sur les gens... »

Il indiqua de la main le Petit Monstre qui tournait en gambadant au bout de la rue. Elle sourit, il avait réussi à alléger un peu sa vie en quelques mots. Elle pouvait lui offrir le café.

« D'accord, personne ne m'a dr... fait la cour depuis un bon moment. », dit-elle amusée, « Alors, je vous y autorise. »

Il lui retourna son air amusé. Ils marchèrent côte à côte un long moment, sans parler et sans se regarder. Elle finit par saisir son bras et s'approcher de lui pour dissiper la froidure de cette fin du mois d'octobre. Ils se dirigèrent vers un café, sur la place. Ils y entrèrent et s'installèrent. Quelques regards se tournèrent vers eux sans pour autant s'appesantir. Cela sembla étrange à Suzie, elle avait l'habitude de se sentir désapprouvée, voire persécutée par le regard des autres. Avec cet homme, dont elle ne connaissait même pas le nom, elle avait le droit d'être une femme comme une autre. Il fit signe au garçon comme s'il était connu dans l'endroit.

« Louis. », dit-il avec un très fort accent français, « Je m'appelle Louis. »

« Louis. », répéta-t-elle.

« C'est presque ça. », dit-il en souriant, « Peut-être apprendrez-vous. »

« Parce que vous comptez m'en laisser le temps ? », demanda-t-elle avec un sourire taquin.

« Pourquoi pas... », dit-il, « Serait-ce si inconvenant ? »

« Vous savez ce que je suis, n'est-ce pas ? »

Il la regarda.

« De ce que j'en vois, vous êtes une femme... et plutôt belle. Si vos yeux n'avaient pas l'air aussi perdus, peut-être que je retirerais le "plutôt". Je ne vois rien d'autre. », dit-il.

« Allons, Louis, vous n'êtes certainement pas aussi naïf. », murmura-t-elle, « Le mot le plus correct est "call-girl", mais la plupart de mes clients utilisent des mots plus grossiers. »

« Et c'est réellement ce que vous êtes ? », demanda-t-il, faussement surpris, « Je me serais tellement fourvoyé sur vous ? »

Elle resta un moment à contempler ses yeux si profonds, cherchant un moyen de se dire qu'il était en train de jouer avec elle. Mais elle ne trouva rien qui puisse coller à cette théorie. Le garçon apporta deux énormes tasses rempli d'un chocolat odorant et brûlant, couvert de chantilly.

« Vous êtes vraiment un personnage étrange, Louis. », finit-elle par avouer, « Mais j'aime vos manières. »

« Je savais que vous trouveriez rapidement la prononciation exacte. », éluda-t-il.

Elle sourit, sachant que cette rencontre n'allait certainement pas se prolonger éternellement, elle plongea les lèvres dans le chocolat.

2.

Il avait fallu une soirée complète pour que l'affaire se retrouve dans la position qu'elle aurait pu prendre en quelques minutes. Suzie était fatiguée et presque heureuse, elle avait passé un très bon moment. Le meilleur depuis qu'elle avait décidé qu'elle devait s'en sortir par tous les moyens, ce qui était malheureusement le début de la fin.

Louis la regardait, allongé nu près d'elle. Elle se demanda combien de temps il mettrait à lui offrir son dû et à la mettre dehors. Au contraire, il l'attira vers lui.

« Dis-moi, Suzie, aimerais-tu que ça continue ? », dit-il doucement à son oreille, « Paris te plairait-il ? »

Elle n'en crut pas ses oreilles.

« Pardon ? », dit-elle, « Qu'est-ce que tu viens de dire ? »

« Est-ce que tu aimerais voir Paris ? », reprit-il.

« Pourquoi ferais-tu cela ? », demanda-t-elle très vite.

Il la lâcha et se retourna. Il rejeta les draps et s'assit sur le bord du lit face à la fenêtre.

« Si tu veux une explication, je vais t'en donner une... », dit-il sérieusement, « Pourrais-tu croire que je suis aussi seul que toi ? »

Elle regarda dans sa direction, mais il avait dû se lever. Elle n'eut pas le courage de repousser les draps pour le suivre des yeux.

« Non, je ne te crois pas capable d'être aussi vide que moi... », dit-elle.

« Et si je te disais... », reprit-il comme s'il ne l'avait pas entendu, « ... que je suis tellement seul que je cherche une âme qui souffre autant que moi, parce que c'est le seul moyen de me sortir de mon calvaire ? »

Il y eut un souffle de vent si léger qu'elle frissonna à peine, puis elle sentit Louis s'asseoir de nouveau sur le lit mais de son côté, cette fois. Il n'avait pas pu avoir le temps de faire le tour de la chambre, c'était impossible. Elle frissonna une nouvelle fois, mais plus à cause de l'étrangeté de la situation qu'à cause de l'air froid de la pièce. C'est alors qu'elle prit conscience que de la buée s'était formée à l'intérieur de la chambre, sur les fenêtres et sur le miroir qui trônait sur le mur en face du lit.

« Qu'est-ce qui se passe ? », demanda-t-elle un peu perdue.

« Dois-je vraiment te l'expliquer ? », demanda Louis.

Elle avait réellement peur maintenant.

« Tu ne m'as pas suivi comme tu le crois, tout à l'heure... », dit-il doucement.

Il fit une pause. La peur grimpa d'un cran dans les veines de Suzie.

« C'était un test, comme un examen de passage... », ajouta-t-il, « Et je dois dire que tu l'as réussi avec brio. Mais maintenant, tu n'as plus le droit de continuer à croire en un rêve. »

« C'est le jour des morts aujourd'hui... », dit-elle, sans réel rapport avec la conversation.

« Finalement, tu as compris. »


Liam et Rham


1.

Liam était un adolescent de treize ans plutôt musclé, même s'il était un peu maigre, grand pour son âge, au visage assez agréable, auraient certainement dit les filles du lycée s'il y avait été. Ses cheveux bruns glissaient simplement sur ses épaules, et malgré le dénuement de l'environnement, il se faisait un point d'honneur à les garder parfaitement propres. Peut-être aussi parce qu'il était totalement inconcevable pour le Colonel de lui permettre de les laisser sans soins, même par - 15 °C.
C'était une vie étrange qu'ils menaient, son jumeau, Rham, et lui, une vie de préparation, de renforcement et de labeur. Quelle importance qu'ils ne soient pas aussi heureux qu'ils auraient pu, ils ne connaissaient rien d'autre. Il n'y avait donc aucun moyen pour eux de comparer. Leur père, celui qu'ils appelaient le "Colonel", était un ancien Marine. Il était dur dans son éducation. C'était la raison de son surnom d'ailleurs. Il n'avait pas changé depuis qu'il était revenu de la Première Guerre du Golfe. Bizarrement, il avait passé de longs moments avec ses fils à leur expliquer ce qu'il avait vécu, et ils le considéraient comme un héros. Certainement qu'il en était un d'ailleurs.

Pourtant, s'il les avait écartés du monde, dans un coin incroyablement sauvage du Wyoming, ce n'était pas parce qu'il avait perdu pied dans les étendues désertiques couvertes d'un nuage noir de pétrole. Il les avait préparés à une autre forme de combat, mais les enfants ne savaient pas réellement ce qu'il avait en tête.

Leur demeure de rondins était perchée sur les flancs d'un contrefort, assez haut pour que les arbres n'y poussent plus. Etrangement, cette zone n'était pas aussi montagneuse que cela, même si les pentes pouvaient parfois être traîtresses. C'était une réminiscence des à-pics des Rocheuses qui s'élevaient à plusieurs dizaines de kilomètres de là.

Dans cet environnement tranquille, les deux frères avaient appris bien des choses, ils savaient tout ce qu'il y avait à savoir sur les sciences de ce monde. Le Colonel avait été un scientifique brillant, avant. Avant quoi d'ailleurs, il ne leur avait jamais parlé de la raison qui l'avait poussée à s'éloigner des cités, et à vivre ici, avec eux. On les aurait certainement pris pour des garçons bien élevés, studieux voire brillants, mais le Colonel ne ménageait pas sa peine pour que ce fût le cas. Bizarrement, en treize ans, ils n'avaient vu qu'une seule personne, le Shérif et gardien de la réserve, qui n'était resté que quelques minutes pour discuter avec le Colonel.

Mais ce jour-là, le 31 octobre de la treizième année de leur vie, alors que la pluie couvrait les bois et la plaine d'un étrange brouillard laineux, un homme arriva à pied sur le chemin de terre qui menait à leur demeure. C'était un personnage étrange portant un grand manteau de cuir noir qui comportait une capuche. Il s'arrêta à la limite de la cour de terre battue, humidifiée par les torrents qui tombaient de l'à-pic. Liam, qui coupait du bois sous l'auvent s'arrêta, la main sur le manche de sa hache, pour regarder le nouveau venu.

« Tu es Liam, n'est-ce pas ? », dit-il d'une voix forte et grave.

L'adolescent répondit positivement de la tête.

« Mais comment le savez-vous ? », dit-il, « Même le Colonel nous confond. »

« Je sais des choses que le Colonel ne peut même pas imaginer. », dit l'homme en noir, « Mais j'ai l'impression qu'il a réussi sa dernière mission avec brio. »

L'homme le toisa de haut en bas, comme pour prendre l'ampleur du travail accompli.

« De ce que tu m'as dit, ton frère te ressemble énormément, c'est parfait. », ajouta-t-il, « Sais-tu où se trouve le Colonel ? »

« Il est à la chasse. », répondit Liam.

« C'est assez peu prudent, ou très présomptueux de ta part, tu ne connais pas mes intentions. », répliqua l'homme brusquement.

Liam serra le manche de sa hache, se maudissant de n'avoir pas réfléchi.

« Mais c'est le problème de l'isolement, tu n'as pas de raison de me craindre, puisque tu n'as jamais craint personne avant. », ajouta-t-il, « Détends-toi, je ne viens pas pour te tuer, bien au contraire. »

Rham sortit la tête de la maison, par la porte de l'avant.

« Liam, tu as bientôt fini ? Je vais avoir besoin de ton aide. », cria-t-il

« Nous avons de la visite. », hurla son frère, espérant qu'il réagirait correctement.

Ce fut le cas, il sortit avec l'un des fusils que leur père utilisait pour chasser.

« Voila un accueil plus proche de celui que j'attendais. », dit l'homme.

« A qui avons-nous l'honneur de parler ? », demanda Rham.

« Je me nomme Fabien, et outre le supérieur du Colonel, je suis votre vrai père. », répondit-il.

2.

Les garçons se regardèrent un moment et se demandèrent ce que voulait dire cet homme. En y réfléchissant, jamais le Colonel n'avait voulu qu'ils l'appellent "père" ou "papa", jamais il ne s'était autorisé un quelconque signe d'affection, comme si celui-ci aurait été déplacé. Cela avait un sens.

« Peut-être pourrions-nous faire connaissance au sec, ne pensez-vous pas ? », ajouta l'homme.

Il releva la tête et repoussa sa capuche pour découvrir son visage. Stupéfait, Liam et Rham le fixèrent un moment. Il n'y avait aucun doute, ils lui ressemblaient indéniablement, presque comme des frères, même si il avait un petit quelque chose de plus terrifiant qu'eux. Il s'approcha du même pas sûr que celui qu'il avait à son arrivée. Ce n'était pas un pas militaire, il était bien trop souple. Sa position non plus n'était pas aussi naturelle que cela, il semblait tendu comme une corde de guitare, prêt à se détendre à chaque instant, comme un diable sortant de sa boîte. Rham releva le fusil, et visa sa poitrine.

« Je ne crois pas que tu sois capable de faire cela, maintenant que tu sais la vérité. », dit homme.

Il se déplaça si rapidement que Rham tomba à la renverse de surprise quand la main de l'homme se posa sur le canon de son arme, inutile à cette distance. Après cette démonstration, il se pencha vers Rham, au sol.

« Et il te manque encore quelques clefs pour pouvoir m'affronter victorieusement, mon fils. », dit l'homme.

Il cassa le fusil, et retira les cartouches des canons, puis il tourna l'arme pour la rendre à son propriétaire.

« Je ne vous veux aucun mal. », dit-il, « Bien au contraire, je souhaite que vous soyez prêts pour le grand moment. »

Presque contraints, Liam et Rham marchèrent devant pour s'installer dans la salle commune de la maison de bois. Ils se laissèrent tomber dans le grand canapé, près de la cheminée d'où provenait une douce chaleur.

« Vous vous demandez certainement pourquoi maintenant, n'est-ce pas ? Pourquoi je ne vous ai jamais contactés ? C'est assez simple en fait, je vous protégeais. Je me suis opposé à des personnes dangereuses et je ne souhaitais pas que vous soyez exposés par ma faute. Mais il y avait une autre raison. Une raison bien plus importante. Il fallait que vous soyez prêts pour cet Halloween, rien de moins. Ce soir, tout va changer et vous êtes les vecteurs de ce changement. »

Il reprit son souffle, laissant Liam et Rham le regarder, incrédule.

« Le Colonel vous a certainement enseigné les bases de ce qui m'amène, vous a-t-il parlé de la loge de Thulé ? », dit-il

« Oui... », répondirent les jumeaux en chœur.

« Alors vous avez déjà une approche de ce que j'ai à vous dire. Cette société secrète allemande croyait fermement à la supériorité de la race aryenne qui était une émanation des premiers habitants d'Hyperborée, une île fantôme au nord de l'Europe. Même si c'était une stupidité, les Hyperboréens ayant les mêmes gènes que les autres hommes, ils avaient raison sur un point. Cette île fantôme, météoritique, existe réellement, ou en tout cas, a existé. Elles sont neuf au total, réparties sur toute la Terre et pas seulement au milieu des mers. Outre l'Hyperborée, il y a Emerald, l'île Pepys, Avalon, Panchaïe, l'île d'Atlas, les piliers mystiques de Babylon et Ys. »

« De quoi parlez-vous, Monsieur ? ... et surtout, ça ne fait que huit, pas neuf. », répliqua Rham en le regardant dans les yeux.

« En effet, Rham, ça fait huit, parce que j'ai omis de préciser que nous nous trouvions sur l'un d'entre eux. », dit l'homme, « Par ailleurs, je parle de Sidh, la terre des illusions. »

Les deux garçons le regardèrent, étonnés, ne sachant trop s'ils devaient simplement rire ou s'ils devaient le croire.

« Incrédules, ça signifie que vous savez de quoi je parle. », dit-il en souriant, « Il a été prouvé par plusieurs ésotéristes plus ou moins fréquentables que des constructions météoritiques avaient, par on ne sait quel biais, la faculté de fabriquer un demi-univers, nourri de l'imaginaire commun de l'humanité. Cette capacité a été longtemps associée à des choses ésotériques ou mystiques qui n'ont rien à voir avec une capacité physique du métal particulier de ces météorites. C'est dans cet espace métaphysique qu'existe une part de notre Histoire, la partie que nous avons refoulée dans nos légendes. », dit-il sur un ton professoral, « Les nazis ont tenté par le biais de plusieurs expériences ignobles de profiter d'un de ces espaces, recréé pour la forme dans un de leurs camps de concentration. Ou ça n'a pas marché ou ça a trop bien marché, mais il en est que le camp a été détruit et que tout le monde, nazis ou non, a été tué. C'est la première fois qu'on a recensé un effet St-Barthélemy. »

Il fit une pause, les regarda un moment.

« Pour finir mon histoire, le Sidh a été visité, lors de la guerre du Golfe, par une section en perdition de l'armée américaine. J'y étais et le Colonel aussi. », murmura l'homme.

Liam et Rham se regardèrent, et ils comprirent.

« C'est pour cela que certains de nos rêves se réalisent ? », demanda doucement Liam.

« C'est une possibilité. », retourna Fabien en le regardant dans les yeux, « C'est envisageable, et j'y crois. »

« Vous nous étudiez, vous et le Colonel, c'est ça ? », explosa Rham.

« Le colonel m'avait informé que tu étais plus impulsif que ton frère, mais je ne croyais quand même pas que tu partais aussi vite. », rit Fabien, « Non, comme je l'ai dit, je vous protège en vous préparant pour ce jour. »

« Pourquoi aujourd'hui ? », demanda Liam.

Ce fut une voix provenant de la porte qui répondit.

« Parce que c'est aujourd'hui que l'ensemble des portes sont ouvertes et que le mysticisme universel offre le moyen aux illusions de ce demi-monde de les passer, ces portes que nous avons ouvertes par inadvertance, par erreur, par curiosité ou par envie. », dit la voix sèche du Colonel, « Major-Général, je suis heureux de vous revoir, si je puis me permettre. »

« Relax, Tobias, je ne suis plus qu'un voyageur sans grade maintenant, j'ai pris ce que j'avais à prendre dans l'armée. Mais je suppose que relax ne sera pas suffisant, alors repos, Colonel. », contra Fabien.

« Halloween est un jour particulier, c'est Samain, la fête celte qui permet de passer vers la saison sombre, et le royaume d'au-delà. C'est maintenant que vont s'éveiller les plus sombres et les plus étranges croyances de l'humanité. », reprit-il, « C'est déjà arrivé une fois à Babylone et une fois dans ce camp de concentration dont j'ai oublié le nom. C'est de ce moment que vous êtes nés, de l'union d'un humain avec une illusion de ce demi-monde. Et c'est pour cette raison que vous êtes très importants. »

« Mais alors, de quoi nous protégez-vous ? », demanda Liam.

« Il vous protège des fous qui ont créé l'effet St-Barthélemy, ils se font appeler la confrérie de l'Automne. », répliqua le Colonel.

« Et que feraient-ils de nous ? »

« Ils utiliseraient votre sang pour contrôler les illusions. Outre le fait que ça vous tuerait, ça provoquerait un autre effet St-Barthélemy, mais maintenant que toutes les portes sont ouvertes, c'est la Terre entière qui en souffrirait. », murmura Fabien.

« Ça, c'est vous qui le dites, », ricana une voix.

Des armes surgirent de toutes les ouvertures disponibles dans la pièce. Le Colonel, Fabien et les jumeaux n'eurent d'autre choix que de lever les mains en guise de reddition.


Ravel


1.

« Il faut être fier de ce que l'on est » avait dit son père. Il avait fait une pause et avait finalement ajouté « Même quand on est un esclave ». Cette phrase résonnait dans sa tête depuis plus d'un an maintenant. C'était une honte pour lui, la pire des humiliations. Mais quand il baissait les yeux de son plafond sombre, douillet, d'où il protégeait Sean, la blessure ne lui faisait plus aussi mal. Il avait appris à Sean tout ce qu'il savait du "savoir-être" un monstre, il l'avait initié à l'occulte et avait développé les prédispositions que le garçon semblait avoir pour ce qui était du "faire-peur".

Lorsque Sean avait tué son beau-père, dans un bain de sang digne du pire des Monstres-Massacreurs, sa mère l'avait simplement fait enfermer, mais ce n'était, bien sûr, pas suffisant pour couper les liens qui s'étaient formés entre Ravel et lui. Les médicaments que lui donnaient les médecins, ça, c'était nettement plus problématique. La psy qui le suivait ne le croyait pas quand il disait la vérité, mais Ravel devait trouver un moyen pour le faire sortir de là. C'était lui aussi son seul, son meilleur ami, depuis qu'il avait été rejeté par les siens. Il devait maintenant s'arranger pour que Sean devienne un vrai monstre, mais c'était compliqué. Il n'y avait pas deux mille solutions, il devait trouver une porte pour le monde d'en dessous. Une fois que Sean serait là-bas, ce qu'il avait réussi le transformerait, ce ne serait pas difficile. Ravel n'aurait plus qu'à repasser son examen pour redevenir le meilleur des monstres, après Sean, bien sûr.

Il sourit à cette idée, il se suspendit aux barres métalliques qui tenaient le faux plafond, et se laissa tomber souplement sur le sol près du lit de Sean. Le garçon dormait à poings fermés. Depuis qu'il prenait les médicaments que lui donnait le médecin, il ne le reconnaissait plus. Franchement, il ne reconnaissait plus rien, c'était un zombi, sans l'odeur.

« Sean... Hé, Sean, réveille-toi ! », dit-il en lui tapotant la joue.

Le garçon ouvrit des yeux embrumés, il murmura un truc, incompréhensible et sembla flotter pendant un instant dans cet état. Même l'apparence de Ravel ne lui faisait plus peur.

« Mauvais sang, Sean, qu'est-ce qu'ils ont fait de toi ? », murmura-t-il plus pour lui que pour son compagnon, « Il faut qu'on te sorte d'ici au plus vite, sinon tu vas finir par perdre consistance, comme les fantômes. »

« Tu n'existes pas... Les garçons-monstres n'existent pas... Les fantômes n'existent pas... », murmura Sean, la voix pâteuse, comme une litanie.

« Ben si, mon pote, et le garçon-monstre, il va te sortir de là. L'enfer à côté de c't'endroit, c'est Ibiza... », ajouta-t-il.

Il l'aida à se lever, mais il sembla vite à Ravel que son précieux compagnon n'irait certainement pas bien loin chargé comme il l'était. Il ne tenait pas sur ses jambes. Il était en pyjama.

« Et zut, comment on va s'en sortir ? », fini-t-il par jurer, « Je vais pas te laisser là, à disparaître à petit feu, c'est pas possible. »

Comme les larmes venaient à ses yeux orange, une violente crise d'impuissance le submergea.

« Allons bon, voilà que notre premier de la classe perd son aplomb. », dit une voix féminine dans son dos, « Peut-être qu'il est un peu tard, mais tu peux quand même demander de l'aide. »

La tête d'une jeune fille sortit du sol, sans autre forme de procès. Ravel fit un petit bond en arrière, sur la défensive.

« Et arrête de dire que nous sommes aussi larvesques que ça ! », ajouta-t-elle en pointant son doigt éthéré sur Sean, « Je veux bien avouer que certains d'entre nous sont un peu déconnectés du réel, mais, en même temps, nous, on est morts... pas lui. »

« Hum, t'es qui toi ? Qu'est-ce que tu fiches à te cacher dans mon dos ? », dit-il en regardant la chose qui sortait du sol.

« Mon nom est Anna, je suis morte ici, pendant qu'ils me "soignaient". », dit-elle.

« Ensorcelé ! Et qu'est-ce que tu comptes faire pour nous ? Tu es intangible, c'est bien ça, non ? »

« Les humains disent "enchanté" pas "ensorcelé", et j'ai quelques talents, comme par exemple celui de pouvoir faire léviter les gens... », reprit-elle.

Pour conclure de façon plus convaincante, elle leva lentement les mains et le corps de Sean, mu comme une marionnette, commença à se déplacer seul.

« Ah oui, forcément, ça va être plus simple. », dit Ravel ravi, « Et qu'est-ce que tu veux en échange ? »

« Je sais où tu vas avec lui, je veux passer aussi pour devenir une Ame-en-peine, j'ai toujours rêvé d'être un monstre. », dit-elle.

« De quoi tu te plains ?! T'es un fantôme. », s'écria Ravel.

« Chuuut, on va t'entendre... », fit-elle, « J'suis un fantôme mais ça dure pas éternellement comme état... Je veux devenir un vrai monstre. »

« Bof, si tu veux après tout, je vois pas comment je pourrais m'en sortir tout seul de toute façon. », finit par dire Ravel.

2.

Ils avaient eu bien moins de mal que ne le prévoyait Ravel. Anna avait réussi à faire sortir Sean de l'hôpital, Ravel s'occupant d'ouvrir et de fermer les portes grâce à ces trucs de monstre. Finalement, dans le monde réel, les cours à "faire-peur" qu'il avait eu pouvaient servir à bien des choses. Faire grincer une porte, c'était le b.a.-ba et pour faire grincer une porte, il fallait bien qu'elle soit ouverte, même quand elle n'aurait pas dû. Un frisson dans le dos et une fenêtre qui claque pouvait rationnellement faire l'office d'une bonne diversion. En fait, Ravel dut s'avouer qu'il s'amusait comme jamais, et il était bien meilleur dans ce type de jeu qu'aux travaux pratiques de ses cours de hantise.

Maintenant, il allait falloir trouver une porte, une vraie porte vers le monde d'en dessous.

« Attends. », murmura Anna, « Des portes pour le monde d'en dessous par lesquelles les humains peuvent passer, y'en a pas des tonnes. Il va falloir qu'on se renseigne pour en trouver une. »

« On a pas le temps, on peut tenter de le faire passer par un placard, non ? Ou par le dessous d'un lit ? », demanda Ravel.

« T'as vu son état, comment tu veux qu'il croie à quelque chose d'aussi étrange dans cet état-là ? », rétorqua Anna, « Jamais il croira assez fort pour passer. »

« Tu as p'tet raison, va falloir trouver aut'chose alors. », dit-il en se fourrant le pouce dans la bouche pleine de dents pointues.

« Tu devrais aussi retirer ton déguisement de "Monstre à faire peur", ça va pas être très adapté dans les rues. », ajouta-t-elle, « Et ... heu... tu es ridicule quand tu réfléchis... »

Ça n'empêcha pas Ravel de poursuivre ses pensées.

« Pour le déguisement, c'est parfait, c'est Halloween, on va me prendre pour un monstre qui fait le tour des maisons. Comme si on faisait ça, d'ailleurs. », dit-il finalement, « Pour le renseignement, je ne vois qu'une seule solution, la boutique de M. Harvey. »

« C'est pas un examinateur de monstres ? », demanda Anna, « Un de ceux qui se sont intégrés pour faire passer les examens à Halloween ? »

« Il me semble que si, mais on a pas le choix. On s'en sortira jamais sinon. », répondit-il en soutenant Sean.

« ... dormir... existe pas ... », gémit Sean.

« C'est horrible de le voir comme ça... », dit Ravel, « Heu... triste, j'voulais dire... »

Anna se contenta de le regarder de travers.

3.

Ils se trouvaient tous les trois devant une étrange boutique qui comportait l'écriteau "Harvey - Objets et Livres anciens" dans une coursive sombre d'une rue peu passante. C'était certainement un magasin pour connaisseurs, peu de personnes devaient s'y arrêter par hasard. Ils poussèrent la porte. Elle émit un long grincement plaintif. C'était du grand art, se dit Ravel, il devait tenter d'obtenir ce son-là la prochaine fois qu'il ferait grincer une porte.
A l'intérieur, la pièce poussiéreuse cachait une collection non négligeable de livres et d'objets étranges servant à des choses que l'imagination développait sans réellement pouvoir s'y accrocher. C'était un environnement plus étonnant qu'effrayant, mais tellement proche de la limite que ça pouvait paraître normal. Pour la première fois dans sa courte vie de monstre, Ravel voyait une réalisation presque parfaite d'un monstre virtuose. Après le long grincement, la porte émit une petite sonnerie discrète, en provenance d'un carillon perché au-dessus de l'embrasure. Cela fit sursauter Ravel.

« Allons, ne me dis pas qu'une année a suffit à faire disparaître tes connaissances, jeune Ravel », murmura la voix parfaitement claire d'un vieillard au fond de la pièce, « Il faut toujours surprendre. Les tours habituels ne fonctionnent encore que sur les enfants. Tu en as d'ailleurs un beau spécimen avec toi. Que fais-tu ici avec un fantôme et un jeune humain ? Ce n'est pas comme ça que tu vas réussir à rattraper ta mauvaise note. »

« C'n'est pas ce que je compte faire, M'sieur. », dit Ravel, « Lui, il a mérité de devenir un monstre. J'avais jamais entendu un cri d'horreur comme celui qu'il a fait pousser à sa mère y'a deux Halloween. Et je supporte plus de le voir devenir un zombi jour après jour. »

« Voyons, voyons, je ne crois pas que tu aies reçu le droit d'aider un humain... », dit le vieil homme.

« Je me fiche de savoir si j'ai le droit ou pas. », hurla Ravel, « C'est mon ami et il peut pas rester comme ça ! »

Le vieil homme caqueta un moment. Il fallut quelques secondes à Ravel pour comprendre qu'il riait.

« Voilà un jeune monstre bien étonnant s'il en est... », dit le vieillard, « Très bien... »

Il tendit la main vers une pile de livres, et en saisit un, dans le milieu de celle-ci, qu'il retira si rapidement que les autres ne firent que vaciller un instant. Il l'ouvrit promptement à une page, qui sembla être au hasard à Ravel.

« Il n'existe que peu d'endroits qui permettent d'entrer dans le royaume d'en dessous quand on n'est pas un de ses habitants : il faut une porte des enfers. », dit le vieillard, « Je ne vois pas pourquoi les humains l'appellent comme cela, mais bon. La plus proche se trouve dans le Wyoming et s'appelle la Colline des Ombres. »

Le vieillard faisait semblant de lire une ligne dans son livre, Ravel le vit clairement.

« Vous saviez que je viendrais ? », demanda-t-il

« Et bien, oui, et je savais parfaitement que tu chercherais le meilleur moyen de sauver ton ami. C'est une vertu, tu sais, chez les monstres aussi. Sais-tu pourquoi nous disons aux jeunes monstres de ne pas tenter de faire peur à cet humain-là particulièrement ? », dit-il en pointant Sean de l'un de ses longs doigts crochus.

« Heu... non... pas vraiment... mais il porte une représentation des Sephirots autour du cou. », dit Ravel.

« Et bien, tu as presque toutes les clefs, c'est un Changelin, un être-fée, il est à moitié monstre et à moitié humain. C'est la raison pour laquelle s'en approcher est dangereux pour les monstres comme toi et moi. », dit le vieillard, « Il est comme nous, il est capable de nous voir et de s'approcher de très près de nos pouvoirs, même s'il ne peut pas franchir le voile de notre monde comme nous pouvons le faire avec le sien, mais il est aussi celui qui peut nous imaginer. »

« Mais il n'est pas dangereux... », contra Ravel

« Tu crois ? Et pourquoi es-tu donc lié à lui comme ça, s'il n'est pas dangereux ? », murmura le vieillard avec un sourire, « Je crois que tu ne te rends pas bien compte du fait qu'il t'a asservi. »

« Mon père me l'a dit... », soupira Ravel

« Ce que tu veux faire, c'est amener un prince dans notre monde, grand bien te fasse alors. », dit le vieillard, « Aide ton Fantôme à le transporter jusqu'ici, et tu as une chance d'y arriver. »

Le vieillard déchira la page du vieux livre et il indiqua à l'encre rouge une croix en plein milieu de nulle part.

« Attention, tu n'as que la nuit, après le lever du soleil, ce sera trop tard. »


Louis


1.

Il regardait les rues de Paris se couvrir d'une couche blanche de neige, se demandant ce qu'il faisait réellement ici. Il avait passé l'ensemble de sa non-vie à attendre de trouver une personne qui comble le vide qui avait pris l'ensemble de son être. Maintenant qu'il l'avait trouvée, il avait du mal à y croire.

Ils s'étaient installés dans une chambre d'un ancien hôtel au cœur de la ville. La chambre était spacieuse. Le gérant n'avait pas posé la moindre question. C'était tellement facile de berner les vivants, en particulier à cette époque de l'année. Pourtant, il était préoccupé depuis qu'ils avaient quitté New-York. Il avait l'impression d'être suivi. Qui pourrait suivre des fantômes comme eux ? C'était tellement improbable, mais il avait entendu parler de chasseur de fantômes qui n'étaient pas uniquement des rigolos avec une collection de machines sans intérêt, de vrais professionnels possédant des dons comme ceux de voir les incorporels.
Pas maintenant, pas alors qu'il venait de trouver une forme de bonheur qu'il cherchait depuis des siècles, déjà pendant sa vie humaine. Il ne pouvait pas tout perdre maintenant, alors que deux mois plus tôt, il aurait accueilli les chasseurs avec plaisir.

Il soupira, tourna les yeux vers la forme cachée sous les draps du grand lit qui occupait la quasi-totalité de la pièce. Il ne put s'empêcher de sourire. C'était donc ça, avoir une âme sœur ? En tout cas, il aimait sa présence, rien qu'un peu de chaleur en plus de la compagnie. C'était tellement important pour lui, bien plus que tout ce qu'il aurait pu gagner d'autre.

Ses yeux se posèrent de nouveau sur les rues enneigées de la ville lumière. Il l'avait entraînée ici pour que la magie de leur rencontre soit encore plus forte, peut-être qu'ils arriveraient à retrouver un semblant de vie. Finalement, ce n'était pas aussi important que cela mais le moment l'était, lui.

Il entendit des voix dans le couloir et se demanda qui pouvait parler si fort à cette heure de la nuit. Il eut comme un sursaut, un moment de terreur en pensant que ce pouvait être les chasseurs. Il n'osa pas non plus traverser la chambre pour regarder par l'œilleton. Il entendit un bruit métallique qu'il assimila au chargement d'une arme à feu. Quel chasseur de fantôme pouvait penser que ce type d'objet pourrait arrêter des êtres comme eux ? Certainement son oreille le trompait-il ?

Il finit par trouver le courage et se déplaça vers la porte rapidement. Il regarda par l'œilleton, le couloir était calme, ce qui ne lui sembla pas étonnant. Des personnes comme ça ne devaient certainement pas prendre le risque que leur cible les découvre par hasard.

Il tenta de se tordre le cou pour réduire un peu les angles morts, puis il finit par se dire qu'il pourrait aussi simplement ouvrir la porte sans prendre de grand risque. Alors que sa main s'approchait finalement de la poignée, il y eut deux coups brefs sur le battant.

Louis n'aurait jamais cru qu'il lui fut encore possible de ressentir de la surprise, ou de la peur, mais ce fut bien le cas. Il recula d'un pas, et regarda la porte comme si elle l'avait agressé. Quelques secondes interloquées passèrent tranquillement, puis il y eut deux nouveaux coups à la porte, eux aussi très calmes.
Maintenant intrigué, Louis s'approcha doucement du battant et regarda de nouveau par l'oeilleton, sans plus de succès. Il finit par prendre la décision d'ouvrir la porte. Alors que le battant laissait la place au couloir assez peu éclairé, il put y discerner une silhouette.

Derrière la porte, il y avait un vieil homme courbé, la tête basse, le front dégarni, les yeux tombants cachés sous deux énormes sourcils broussailleux blancs comme neige. Il se tenait debout, les pieds serrés, une canne précautionneusement coincée entre ses deux chaussures marron lustrées au point d'en être brillantes. Même s'il était petit de taille, sa stature était incroyable, son charisme époustouflant.

« Mon garçon, toi et ta compagne avez un rendez-vous... urgent. », dit le vieillard.

« Que... », tenta de répondre Louis, mais le vieil homme leva la main pour lui intimer le silence.

« Prenez la rue des Mirages et cherchez la petite église St-Marc, c'est l'endroit de votre destinée. », fit-il sur un ton solennel.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? », dit finalement Louis avec un petit sourire, « Vous vous fichez de nous, c'est ça ? »

« En ai-je l'air, jeune homme ? », répliqua le vieillard sans bouger le moindre muscle, « Sachez que je ne plaisante jamais. Vous faites partie des composants obligatoires pour que ce qui doit arriver arrive... Il faut donc que vous fassiez ce que je vous demande. Remarquez que cette balade n'a rien de particulièrement désagréable, vous verrez. Et puis, votre compagne est réveillée, Fantôme. Je vous déconseille de rester dans cette chambre plus de quelques minutes, le temps de prendre un bon départ... Votre instinct n'a pas perdu de son acuité depuis votre mort, vous savez. Ils sont bien là.»

Depuis la chambre, Suzie demanda :

« Louis, qu'y a-t-il ? »

« Rien, mon amour. », répondit-il en tournant la tête.

Quand il revint au vieillard, il avait disparu.

2.

« Je ne pensais pas que le Marais pouvait être aussi romantique par une nuit comme celle-ci. », murmura Suzie.

« C'est certainement la neige qui donne cette impression... », dit-il un peu tendu.

« Qu'est-ce qui se passe, exactement, Louis ? Tu n'as jamais été comme ça avant. », rétorqua Suzie un peu blessée.

« Je pourrais encore te dire "rien", mais ce serait complètement faux, et je ne souhaite pas te mentir. », fit-il après un soupire, « D'abord, j'ai eu l'impression que nous étions suivis depuis notre départ le New-York, comme une continuelle sensation d'oppression. Puis, ce matin, un étrange vieillard m'a indiqué qu'on avait bien de la compagnie et que ce n'était pas pour notre plus grand plaisir. Pour finir, il nous a donné un rendez-vous dans une petite église, St-Marc, dans la rue adjacente à celle-ci. »

« Pourquoi le crois-tu ? », demanda-t-elle, « Surtout que tu viens de me dire qu'il y avait des personnes qui nous suivaient pour nous faire du mal. Je ne comprends pas ta réaction. »

« Ecoute, Suzie... Contre ce type de personnes, je n'ai aucun tour, aucune solution pour nous esquiver. Ils sont une légende parmi les êtres comme nous, ils sont capables de faire des choses qui sont impossibles pour la plupart des humains. Et ils sont capables de nous détruire. » Il fit une pause. « Je ne veux pour rien au monde te perdre, pas maintenant que j'ai réussi à trouver l'amour et que je suis sûr de moi. J'ai acheté ça pour toi... »

Il fouilla dans sa poche et en sortit un écrin.

« J'ai acheté ça pour toi avant toutes ces péripéties, et je crois que c'est le moment de me lancer... », il s'agenouilla et lui tendit l'écrin, « Suzie, l'éternité te fait-elle peur ? Voudrais-tu la vivre avec moi ? »

L'écrin s'ouvrit sur un diamant de bonne taille. Des larmes glissèrent sur les joues de Suzie.

« Bien sûr que l'éternité me fait peur... et oui, je veux la vivre avec toi. », répondit-elle sans réfléchir le moins du monde.

3.

C'était une petite chapelle engoncée entre deux bâtiments plutôt sales, mais attachants. La porte en ogive à deux battants semblait un peu vieillotte, archaïque dans l'environnement cosmopolitain du Marais. Louis la regarda un instant sans trop la voir puis s'approcha, tenant Suzie par le bras.

« Nous y voilà, d'après le vieil homme c'est notre destin. », il poussa la porte, l'entrebâillant légèrement.

Le grondement produit par le battant résonna pendant un moment dans l'espace vide de la nef, comme un blasphème pour le silence qui remplissait l'endroit. La lumière des réverbères ne pénétrait que de façon ténue dans l'espace par des vitraux poussiéreux. Ils entrèrent.

Leurs pas, même fantomatiques, laissaient une trace sonore dans l'environnement comme si le son s'incrustait sous forme de couleurs dans le tableau irréel de l'endroit. La porte finit par gémir une fois de plus pour se refermer, diluant l'instant par le choc qui se produisit lorsque les battants se scellèrent de nouveau.
Louis sentit instinctivement que l'endroit était un peu spécial, même plus qu'un peu en fait. Il lui sembla qu'il n'était pas présent tout en existant dans l'univers irréel de son monde personnel. C'était une sensation étrange, dérangeante, comme s'il venait de donner corps à un rêve ou à un cauchemar.

De l'autre côté de la salle, près de l'autel, l'attendait le vieillard.

« Ne vous inquiétez pas, il n'est pas encore l'heure, c'est la raison de cette sinistre entrée en matière. Bientôt, St-Marc vivra à nouveau. », dit le vieil homme.

« Et les chasseurs ? », demanda Louis.

« Ils restent dans leur monde, en tout cas pour l'instant. », répondit l'être, « C'est étonnant qu'un Fantôme aussi ancien que toi ignore encore les possibilités que lui donne sa non-vie. »

« Mes professeurs n'ont pas été à la hauteur, remarquez, je n'en ai pas eu. », répliqua Louis.

« Ceci explique cela, en effet », sourit le vieillard comme s'il savait que Louis répliquera cela.

« Pourquoi nous avez-vous fait venir ici ?... », demanda Suzie, perplexe.

« Et bien, disons qu'il y a plusieurs raisons. La plus importante c'est qu'il fallait que vous soyez dans un endroit particulier au moment où les portes s'ouvriront finalement. Quoi de mieux qu'une église pour célébrer un mariage, en attendant ? »


Fabien et les autres...


1.

Il étudiait la pièce comme s'il cherchait une solution pour s'évader, pour libérer ses fils et donner une chance au Colonel, qui n'était pas sans défense lui non plus. Mais c'était peine perdue. Les environs grouillaient d'hommes armés jusqu'aux dents et il savait pertinemment qu'ils étaient tous parfaitement entraînés et prêts à faire face à ses capacités spéciales.
Il devait garder l'avantage pour voir réagir, rapidement et efficacement si les choses devaient finir par s'arranger et pencher en sa faveur. S'il provoquait les soldats de la secte, ils ne se poseraient certainement aucun cas de conscience, il était trop dangereux et surtout il était parfaitement inutile pour les desseins de leur maître.

« Bien, montons, nous n'avons pas de temps à perdre. », dit l'un des assaillants portant un long manteau de cuir noir.

Ils les forcèrent à se lever et à prendre le chemin glissant qui montait le long de la colline aux fées. Cette longue pente, au flanc d'un tumulus naturel de grande taille donnait sur une cuvette de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Au centre de celle-ci, il y avait les ruines d'un ancien manoir, c'était d'ailleurs étrange de trouver ce type de bâtisse dans un endroit si reculé. Ca avait d'ailleurs très largement nourrit le folklore local. La maison de la sorcière, dans le berceau du météore, c'était une merveilleuse histoire où l'horreur et le merveilleux avaient tendance à s'entremêler de façon très complexe. Mais, ce qu'il y avait de bien, c'est que cette histoire était vraie. Il y avait bien une créature maléfique qui vivait dans la maison et il y avait bien un météore, même si ces choses n'étaient que des fantasmes construits autour d'un morceau de roche aux pouvoirs étranges.

Lorsqu'ils furent sur le bord du cratère, l'homme au pardessus SS se pencha sur Liam, tout près de Fabien.

« Tu vois ta tombe, n'est-ce pas ? », murmura-t-il avec un sourire, « Tu sais déjà que ton sang activera les innombrables pouvoirs des illusions dans cette réalité... »

« Vous êtes malade. », répondit le garçon.

L'homme ne se posa pas de question et frappa violement l'enfant au visage, ce qui le projeta dans le début de la pente et le fit rouler sur quelques mètres, dans les buissons.

« Friedrich, arrête donc un peu, ces enfants ne sont pas tes jouets. », l'interpella Fabien.

« Malheureusement... », répondit l'intéressé, « ... ils sont plus proches de devenir des outils que de rester tes fils, Fabien. C'est amusant de savoir que je vais faire d'une pierre deux coups, je vais à la fois réussir ce que j'ai mis une vie à préparer et je vais t'abattre ainsi que ta famille avec toi. C'est un grand jour, n'est-ce pas ? »

2.

Ravel regardait la pente, les pouvoirs d'Anna leur avaient permis un déplacement presque instantané vers cet endroit, mais il ne savait plus réellement vers où il devait aller. Il regarda la lune en soutenant Sean du mieux qu'il pouvait. Son ami ne régissait presque plus depuis qu'ils avaient quitté la boutique. C'était l'effet des médicaments certainement qui devaient se faire sentir quelques heures après leur injection.

« Je sens des vivants dans le coin. », murmura Anna, « Ils sont nombreux. Tu crois qu'ils cherchent la même chose que nous ? »

« Je crois pas, y'a que les monstres pour chercher une porte... », dit-il en plaçant son pouce dans sa bouche, « Ils doivent pas nous trouver. »

« Arrête de réfléchir, tu es ridicule. », répliqua Anna dans un rire.

C'est alors qu'un corps s'affala aux pieds de la Fantôme. C'était un garçon un peu plus vieux qu'elle, vivant et le visage en sang.

« Et Mer... credi... », dit Ravel, « Ils devaient pas nous voir. »

« Tu peux pas leur faire peur ? », demanda Anna, « C'est bien toi le roi des monstres de la classe B2, non ? A quoi ça sert de m'avoir bassinée avec tes exploits si tu n'es pas capable de les faire fuir ? »

« Attends, je suis qu'en premier cycle, ils sont nombreux... », dit-il.

« Ah les garçons, pour parler, vous êtes champions. », fit-elle en tournant la tête avec dédain.

« Ok, je vais voir ce que je peux faire. », répliqua le jeune monstre.

« Attends. », murmura le garçon au visage blessé, « Ils vont te tuer, ce ne sont pas des hommes normaux, ils sont entraînés à combattre ce que tu es... »

Alors que leurs yeux se croisaient, Ravel sentit un étrange pouvoir émaner du garçon. Liam regarda de son œil valide le jeune monstre et celui-ci sentit qu'ils n'étaient plus seuls.

2.

Le vieillard les avait unis par les liens du mariage. Etrange cérémonie, sans fioriture, mais Suzie sentait une chose bien plus profonde, normalement cachée par le décorum, la musique et les fleurs, les robes blanches et les grains de riz. Tout cela n'avait aucune importance, c'était le plus beau jour de son existence. Elle avait trouvé la moitié d'âme qui lui manquait, rien de moins.

Le vieillard sourit et s'éloigna.

« Il est temps pour vous de choisir votre camp, mais je ne crois pas que ce soit un dilemme dans les circonstances. Ce qui a été fait ce soir est irréversible, mais il y a des moyens pour atténuer le malheur qui va en résulter. C'est à vous qu'il incombe de trouver les solutions. Vous êtes les représentants de l'humanité qui vous a rejetés et vous serez les gardiens d'un futur hasardeux. », dit l'être étrange aux traits d'ancien, « Je ne veux pas vous influencer, vous allez devoir partir maintenant vers votre destin. »

Les murs de l'église disparurent et ils furent remplacés par un décor sauvage. Devant eux, un manoir étrangement déplacé dans l'environnement naturel, couvert de lierre mais résistant encore et toujours à la possession des éléments.
Sur leur droite, ils entendirent des cris, comme des personnes affolées et prises de terreur. Lorsqu'ils tournèrent les yeux, ils virent non loin de là un être étrange, mi-homme, mi-animal, menaçant une troupe de combattants. Ils surent, d'instinct, que le monstre n'était pas ce qu'il paraissait et qu'ils devaient l'aider, le soutenir et le guider.

« Louis, ne lâche pas ma main. », dit Suzie, « Je comprends maintenant bien des choses. »

Le visage doux de la jeune femme se métamorphosa en quelque chose d'hideux.

« Tu as raison, c'est tellement clair maintenant. », répondit Louis, « Je sais ce que nous avons à faire et le vieillard était là pour ça. »

Ce fut le tour de Louis de changer son apparence. Il savait parfaitement qu'il en était capable mais n'avait jamais trouvé les moyens de l'utiliser. Maintenant, il savait ce qu'il avait à faire. Il devait glacer le sang de ceux qui tentaient de faire régner la créature malveillante qui dormait dans l'âme humaine. Il devait même les tuer, s'il n'avait aucun autre moyen.

3.

Friedrich regarda le corps du garçon rouler dans les fourrés. Il sourit de plaisir. Cette famille l'avait tellement fait souffrir, lui et les siens que ce n'était encore qu'une petite compensation de pouvoir avoir une prise sur eux. Les enfants devaient avoir suffisamment de pouvoir pour ouvrir la dernière des neuf portes. Il s'était promis qu'il le ferait mais pas sans douleur, même si le rituel n'avait aucune composante sanglante, il l'adapterait.

« Allez me chercher le gamin. », hurla-t-il à l'un de ses hommes, « Et ne soyez pas trop gentils avec lui, il ne le mérite pas. »

Il tourna la tête vers Fabien, regarda les yeux calmes de son adversaire de toujours. Pourquoi ne réagissait-il pas ? Il n'attendait que ça pour le tuer. Il se demanda en une fraction de seconde la raison qui le poussait à attendre... et il ne trouva aucune réponse.

« Quelle belle nuit, n'est-ce pas ? Non seulement, je vais réussir ce que j'ai passé ma vie à mettre sur pied, mais je vais aussi te voir mourir avec tes fils. », dit-il en savourant l'instant, « Mais je vais m'arranger pour que ce soit long et que tu les voies souffrir le martyre. Et je sais parfaitement que tu connais mes compétences à ce niveau. »

« Allons Friedrich, tu ne crois quand même pas que je me suis attaché à ces gamins alors que je savais parfaitement qu'il y avait une chance sur deux que tu finisses par les découper en morceaux. », répliqua Fabien sans s'émouvoir, « Ce ne sont que des pions dans notre partie d'échecs. Perdre un pion ne m'a jamais chagriné. »

Friedrich sera les dents. Même attaché, incapable de se défendre, et dans une position mortelle, il était encore capable de le faire douter. N'aurait-il pas été capable de manigancer tout cela pour lui tendre un piège ? C'était une possibilité.

Alors que la lune sortait de derrière les nuages, Friedrich douta une seconde de trop, un bruit monstrueux s'échappa de derrière le bosquet où avait roulé le corps de Liam. Un rugissement comme rarement il en avait entendu, et cette fois-là, il avait perdu la moitié de ses hommes...

4.

Ravel donnait la plus grand show de sa courte vie. Il hurlait comme un fauve, brandissait des dents et des griffes de cauchemar devant les humains qui l'entouraient maintenant. Mais c'était une forme d'illusion, il savait parfaitement qu'il n'était pas capable de les réduire au silence, même si ce que leurs âmes lui disaient ne laissait aucun doute sur leur noirceur.

Du coin de l'œil, il vit Anna qui utilisait les armes de ceux qui avait fui par la télékinésie, et qui tirait au hasard. Il comprit très vite qu'elle ressentait la même chose que lui. Ces ténèbres n'étaient pas naturelles dans les âmes des vivants, c'était une perversion due au monde des illusions, ils étaient corrompu par le Roi Noir, maître des cauchemars.

Plusieurs tombèrent, soit de peur, soit sous les balles qui partaient aléatoirement des canons des armes qui flottaient dans les airs. Il y eut un souffle différent, comme si Anna était devenu plusieurs. Des Fantômes apparurent auprès de Ravel. Il ne les connaissait pas, mais ils semblaient plus vieux qu'Anna et plus compétents aussi. Leurs souffles glaçaient le sang des vivants, comme jamais il ne l'avait vu faire, et il sentait provenant de ceux-ci un étrange goût de mélancolie et de désir refoulé, ainsi qu'une grande tristesse à peine estompée.

Fort de ce soutien, il offrit le meilleur spectacle que peut donner un monstre, presque du niveau du Grand Tourmenteur, le monstre qu'il avait toujours admiré, celui qui était capable de faire peur à des générations d'humains.

Une fois que les troupes furent décimées, dispersées et terrorisées, il vit que l'homme qui les guidait, au grand manteau noir tenait le frère de l'enfant qu'il avait aidé par le buste, un couteau sur le cou.

« Vous ne m'arrêterez pas. », hurla-t-il en regardant Ravel dans les yeux, « Je savais qu'il y aurait des monstres pour protéger les mondes des illusions. Mais un seul des princes suffit pour ouvrir la dernière porte. »

Anna se retourna vers lui.

« Qu'est-ce qu'il raconte ? », demanda-t-elle.

Ravel se contenta de hausser les épaules pour indiquer qu'il ne comprenait pas plus qu'elle.

Il eut juste le temps de regarder de nouveau l'humain pour le voir trancher proprement la gorge de l'enfant.

5.

Sean revint à lui dans un environnement qu'il ne connaissait pas. Il était débarrassé de sa camisole chimique, libre de ses mouvements. Il regarda devant lui. Et tout semblait arrêté, fixe, sans le moindre mouvement, sans bruit.

Il vit deux hommes, enfin, un garçon et un homme. Il sentit que le garçon était en train de mourir, et que l'homme jubilait. Il ne comprit pas réellement ce qu'il voyait, mais il y avait beaucoup de sang, beaucoup de larmes aussi. Son compagnon le monstre, sous sa forme de créature, regardait la scène, sans bouger surpris et lui-même terrifié de ce qui venait d'arriver. Un autre garçon se leva lentement regardant son frère perdre son sang dans le sable de la pente, il hurla, saisit une arme et tira.

La balle pénétra dans la tête de l'homme au manteau noir par l'arcade droite et explosa purement et simplement sa tête, mais c'était tellement tard, trop tard pour sauver son jumeau.

Sean regarda l'endroit, tout était en train de changer, comme si le sang versé venait de transformer le monde autour de lui. Et ça commençait par lui, il était en train de devenir un monstre... et il était heureux.


Jordan


1.

L'appartement était petit, mais c'était un peu de liberté dans une vie d'enfermement. Il y avait aussi son ordinateur, et les lettres qui se juxtaposaient jusqu'à se transformer en des écrits plus ou moins réussis. Un bon moyen de tromper la solitude en créant des amis imaginaires. Jordan regardait, sur l'écran, la page blanche se remplir de symboles qui n'avaient pas réellement de sens, pour lui, les mots avaient une vie, le personnage qu'il décrivait vivait certainement quelque part dans les millions de mondes qui composaient potentiellement l'univers.
Il s'était demandé de nombreuses fois si c'était l'existence des personnages qui créait l'histoire ou l'histoire qui créait le personnage, une version étrange de l'œuf ou la poule, où la réalité avait une limite qui passait par l'imagination de l'auteur.

Il jeta un regard par la fenêtre, laissant les accords des guitares de Pink Floyd l'emporter vers des mondes étranges qu'il créait de toutes pièces. Dehors, le ciel était déjà bleu sombre, la nuit s'approchait, et les nuages s'amoncelaient. Il regarda un moment les choses étranges qui se dessinaient là-haut puis revient à son écran et à son clavier. Aujourd'hui, il n'avait pas pris la direction de l'université, il n'avait pourtant pas l'habitude de rater ses cours, mais il n'allait pas bien.
Etrangement, il ne se sentait pas fatigué, ni même déprimé, comme il en avait l'habitude. Il ne se sentait pas non plus particulièrement fiévreux, mais depuis le matin d'avant, le jour d'Halloween, sa vue se troublait régulièrement. Il avait pris un rendez-vous chez l'ophtalmologiste sans pour autant penser que c'était un problème physique, son esprit était plus clair, plus direct et plus vif, comme si l'environnement avait changé et que ce changement provoquait un bouleversement d'ampleur dans sa vie.

Il avait traîné un méchant mal de crâne toute la journée, mais il supposait que ça avait à voir avec ses troubles de la vue. Il commençait d'ailleurs à s'inquiéter. Ses correspondants virtuels l'avaient rapidement saoulé, non pas comme une vague impression d'ennui ou une colère, mais les caractères qui défilaient devant ses yeux lui avaient donné la nausée. Il fixa un moment l'écran et se demanda s'il serait capable de terminer les chapitres qu'il était en train d'écrire sans vomir. Il pensa qu'il n'avait pas le droit de faire ça à ses personnages, qu'il n'avait pas le droit de les laisser en plan au milieu d'une action. Mais son mal de crâne fut finalement le plus fort dans la lutte.

Il éteignit l'écran, comme à son habitude sans éteindre réellement la machine. Le ronron des ventilateurs le berçait pendant qu'il cherchait généralement difficilement le sommeil. Il se laissa tomber sur le lit dans la pièce sombre, éclairée uniquement des quelques diodes qui restaient sur les divers composants informatiques qui se trouvaient sur son bureau.

Il n'eut aucune difficulté à trouver le sommeil cette fois.

2.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, Jordan regarda instinctivement le réveil posé sur la table de nuit près de son lit. Le cadran rouge affichait 1h22 du matin.

« Et merde... », finit-il par dire en se passant les mains sur le visage pour chasser les dernières traces de fatigue, « Je vais encore passer une nuit blanche. »

Il eut un moment d'arrêt. Comment pouvait-il lire clairement les diodes luminescentes de son réveil à presque un mètre de lui sans ses lunettes qu'il portait depuis l'enfance ? Ces objets, qui lui avaient valu bien des sarcasmes de la part de ses petits camarades, étaient le seul moyen pour lui de sortir du brouillard qu'il rencontrait chaque fois qu'il ouvrait les yeux. Mais pas aujourd'hui, pas à cet instant, il voyait la pièce clairement comme jamais dans son souvenir, sans ses compensations optiques...

Dans la rue, au-dehors, il vit de nombreuses lumières. Comme à son habitude, il n'avait pas fermé les stores et la rue sombre ressemblait actuellement à un sapin de Noël couvert de guirlandes rouges et bleues. Ça semblait incroyable qu'autant de problèmes puissent avoir lieu en même temps dans un si petit quartier.
Il finit, piqué au vif, par allumer la télévision.

« ... C'est bien le cas, il n'y a plus un endroit de Paris qui n'ait pas été touché par l'épidémie et il semble, aux dires des services sanitaires, que la plupart des grandes villes et des villes de taille moyenne aient été elles aussi victimes de ce type de phénomène. Les hôpitaux sont submergés, les comateux arrivent par groupes et sont temporairement placés sur des brancards, qui commencent d'ailleurs à manquer. Les médecins avouent ne pas savoir quoi faire, surtout que les premiers examens prouvent que la plupart des victimes n'ont aucun autre symptôme que cet étrange coma. »

La présentatrice reprit :

« Vous confirmez donc que personne ne peut donner des précisions sur les raisons de ces épidémies de coma ? »

« En effet, Béatrice, nous ne sommes actuellement sûrs de rien. Les médecins ne semblent pas plus avancés que les autres scientifiques appelés au chevet des malades. »

« Merci beaucoup, Marc, nous restons à l'écoute et vous pourrez intervenir à votre guise pendant cette édition spéciale si des nouveautés apparaissaient. Nous vous rappelons les dernières nouvelles, dans cette édition spéciale de la rédaction de la Première Chaîne d'information, une épidémie d'une maladie inconnue plonge actuellement des dizaines de personnes dans un profond coma partout en France et plus particulièrement à Paris. Les médecins sont dépassés... »

Le téléviseur émit un clic quand Jordan appuya sur la télécommande.

« Mais qu'est-ce que... »

Il se leva, et vint se placer devant son PC. Il alluma l'écran qui confirma que sa vue était maintenant parfaite. Il regarda l'IRC qui défilait devant ses yeux. Plusieurs des chatteurs se demandaient ce qui était arrivé à l'un d'entre eux. Il retira le "away" de son pseudo et reprit la conversation.

« Qui est manquant ? », demanda-t-il rapidement.

« re Jor », répondit un des contacts, « Pénélope ne répond plus depuis une demi-heure. »

Jordan regarda la liste des participants. Pénélope était l'alias d'une de ses amies, Alice, qui habitait à quelques pâtés de maison de là. Il double-cliqua sur son pseudo. C'était une personne assez droite qui ne dormait pas avec son ordinateur allumé, elle avait l'habitude de dire au revoir avant de se déconnecter et elle ne répondit pas.

« Merde, Jor, c'est pas son style, elle ne reste pas co toute la nuit. », dit le contact dénommé Pimousse.

« Je sais, je vais tenter de l'appeler. », répondit Jordan aussi vite.

Il décrocha son téléphone et composa le numéro d'Alice en supposant que si elle dormait il allait se faire incendier. Le téléphone sonna, un, deux, trois, dix fois, sans réponse.

« Elle ne répond pas. », informa-t-il Pimousse, « Je vais voir si elle va bien. »

« Tu habites près de chez elle... », répondit l'autre, « Veinard, va... »

« Arrête donc tes conneries deux minutes, Pimousse, c'est pas le moment... », ajouta Jordan avant de se remettre "away".

Jordan mit des chaussettes et des chaussures, passa un pardessus suffisamment chaud pour l'époque et sortit.

3.

Alors qu'il arrivait au pas de course devant le bâtiment où vivait Alice alias Pénélope, il vit que plusieurs camions de pompiers étaient déjà présents. Il s'approcha se demandant ce qu'il allait dire si on le questionnait.

« Monsieur, faut pas que vous restiez là... », hurla un pompier sur sa gauche, « Vous allez gêner les secours. »

L'homme en costume noir et jaune s'approcha en courant.

« Monsieur... »

« Qu'est-ce qui se passe ici ? », demanda Jordan un peu choqué par l'afflux de service de secours, « Je venais voir si une amie qui habite ici n'avait pas de problème. »

« Elle habite dans quel appartement ? », demanda le pompier.

« 22A, deuxième étage gauche de ce côté de la rue. », répondit Jordan, « Alice Morvan. »

« Elle vient d'être emmenée à l'hôpital général, elle est dans le coma, Monsieur. », répondit le pompier, « Je suis désolé. »

« Combien y'en a t il d'autres ? », questionna Jordan en réponse.

« Dans le bâtiment ou dans la ville ? », répliqua le soldat du feu.

« Dans le bâtiment ... »

« Presque tous, ça fait près de cinquante personnes. »

« Comment... »

« Nous n'en savons pas plus que vous, et visiblement les médecins ne savent rien non plus. », répondit finalement le pompier, « Je suis désolé, mais il va falloir que je vous laisse. Promettez-moi de ne pas entrer dans le bâtiment tant que les secours sont à l'intérieur. »

« C'est promis. Je vais rentrer chez moi et attendre le matin pour aller voir mon amie. », répliqua Jordan.

Il rebroussa chemin, et pendant qu'il marchait, il sentit en lui comme une énergie étrange, une sorte d'écoulement électrique qui provoquait en lui une sensation diffuse et difficile à identifier.

Lorsqu'il posa sa main sur la poignée de sa porte, qu'il glissa les clefs dans la serrure, il eut comme un moment d'absence, l'environnement était tellement clair, tellement différent de la normale, tellement absurde par rapport à sa vision habituelle.

Il sentit, dans tout son corps, comme un violent élancement, un terrible haut-le-corps qui faillit le jeter à terre. Il entra précipitamment pour se laisser tomber sur son lit comme si cela pouvait fixer un peu plus clairement sa réalité. Mais ce ne fut pas le cas, au contraire, la position allongée provoqua une réaction plus violente encore. Toutefois, il ne tenta pas de se relever, son lit-alcôve l'assurait qu'il ne risquerait pas de tomber et de se blesser pendant que l'univers devenait fou autour de lui.

Il perdit conscience.

Il revient à la réalité alors que le soleil était haut dans le ciel. Sa chaleur douce d'hiver réchauffait son visage. Il se sentait étrangement léger, comme si rien ne pesait plus sur lui. Il chercha un repère dans la pièce. Comme lors de son précédent réveil, sa vue était parfaite. Il vit clairement la date... Il venait de dormir trois jours complet.

Il se sentait affamé, mais en forme, peut-être un peu différent de la normale aussi.

Il se leva et, s'appuyant sur le mur, se dirigea vers la salle de bain. Il se soulagea et tomba devant son miroir. Ses yeux, ils avaient changé, ils étaient violets, d'un joli violet profond. Il y avait d'autres changements visibles. Les cicatrices fines qui barraient son front avaient disparues.
C'est en s'étudiant un peu qu'il remarqua aussi que son corps était courbatu comme s'il avait effectué une activité physique importante le jour d'avant.

Tout cela le rendit perplexe. Il décida de voir où en était le monde avant de tirer des conclusions sur l'intervention potentielle d'extra-terrestres. Il s'arrêta à la cuisine, prit un paquet de biscuits chocolatés et se fit un café. Une fois servi, il se dirigea vers son ordinateur ainsi que la télévision qui y était accolée.
Il se demanda ce qu'il devait faire en premier. Il choisit finalement la consultation d'Internet en priorité. Il ne lui fallut que quelques secondes pour se retrouver devant les sites d'informations les plus connus qui s'étalaient sur ses deux écrans grand format.

Trois jours seulement s'étaient écoulés depuis Halloween, mais c'était le chaos...

Nehwon

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