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Interviews : Interview Otram

Interview réalisée par skype le 3 août 2008.

Après notre rencontre à Japan Expo édition 2008 (voir le compte-rendu), rendez-vous a été pris avec Otram, jeune auteur aux éditions Paquet avec le fantasmagorique Dreamseekers.
Nous l'avons interviewé entre deux planches, directement depuis chez lui. Bienvenue dans son univers !

autoportraityadana pour TSD : Est-ce que tu peux te présenter rapidement à nos lecteurs ?

Otram : Je suis Bruno Tran, j'ai 28 ans et je suis l'auteur du manga Dreamseekers.

Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours professionnel ?

J'ai d'abord fait une première-seconde-terminale Arts appliqués, puis j'ai rejoint une école de graphisme à Paris. Après j'ai intégré un atelier où j'ai été un peu illustrateur. Ensuite, je me suis lancé dans la bande dessinée.

Ça a été facile ?

Non, ça a été très difficile. Il a vraiment fallu s'accrocher. J'ai démarché facilement pendant quatre ans, un peu partout... Et puis vraiment quatre ans à temps plein, c'est-à-dire en n'arrêtant pas de retravailler les planches, en ne faisant que ça quoi.

Et tu ne démarchais que pour Dreamseekers ou tu as proposé d'autres projets ?

Non, juste Dreamseekers, mais c'est un projet qui a énormément changé par rapport à ce que j'avais en tête au début. Maintenant, ce n'est plus vraiment le même projet.

Tu as un pseudo, Otram, qui fait référence à ton nom. Pourquoi as-tu choisi de publier sous un pseudo ?

Sans raison particulière, je vois beaucoup de monde utiliser un pseudo, et en plus, c'est un pseudo que j'utilise depuis un moment déjà, donc c'est venu naturellement.

Dreamseekers 1Ta BD, Dreamseekers, est le premier titre d'origine française publié dans la collection asiatique des éditions Paquet.

Tout à fait.

Est-ce que tu peux nous expliquer comment s'est passée ta rencontre avec les éditions Paquet, et qu'est-ce que ça fait d'être le premier auteur français dans cette collection ? Ça ne te met pas trop la pression ?

Alors, pour la rencontre avec Paquet... Ça faisait un petit moment que je leur envoyais des choses par internet, et j'avais eu des retours. Bon, à chaque fois c'était négatif, mais ils étaient quand même assez intéressés. Après, j'ai fait la rencontre de l'éditeur, Pierre Paquet, au festival de Saint-Malo. J'y suis allé avec mon book sous le bras et j'ai présenté plus en détails ce que je lui avais montré par internet. Il m'a contacté quelques mois après en me disant qu'il était assez intéressé par mon projet, qu'il aimerait en parler plus en détails, et c'est de là que c'est parti. Sinon, être auteur français ne me met pas du tout la pression, vraiment pas. Y a pas mal de choses qui me mettent la pression, mais ça n'en fait pas partie.

Dreamseekers 1 extraitsLe premier tome est sorti en mai. Est-ce que tu peux nous faire un petit pitch de la série ?

Je ne suis pas très fort pour expliquer mes histoires, mais bon on va essayer. Donc c'est l'histoire d'un personnage qui se retrouve sur le monde de Témaris, le monde des rêves. Dans ce monde, on peut matérialiser ce à quoi on pense, c'est-à-dire que si vous pensez à un arbre, hop vous faites apparaître l'arbre devant vous. Il y a plein d'habitants de ce monde qui s'en servent pour se créer des vrais paradis - s'ils imaginent une plage de sable blanc, hop elle apparaît, c'est les vacances - voire des mini-mondes avec une architecture impossible, parce qu'on peut défier toutes les impossibilités. En théorie c'est très bien, mais le problème, c'est que le personnage qui s'appelle Trem, quand il essaie de rêver, pour une raison inconnue ça ne va pas du tout donner ce à quoi il pense : soit ça va se déformer et créer une espèce de monstre, des choses un peu cauchemardesques, soit ça ne va pas créer des monstres mais quelque chose auquel il n'avait pas du tout pensé - enfin c'est très chaotique - et quelques fois même, ça va créer des réactions en chaîne. Bref, il essaie dans un premier temps de savoir pourquoi ça ne marche pas avec lui, mais très vite il se rend compte qu'il y a des gens qui sont tout à fait au courant de pourquoi ça ne marche pas et qui se servent de lui. C'est pour ça que le premier tome s'appelle « Les armes oniriques ».

Dreamseekers 1 extraits

Comment est-ce que tu as choisi le titre de la série ?

Pendant le temps où je démarchais la série, ça ne s'appelait pas Dreamseekers, ça s'appelait « Le traque-rêves ». C'est à peu près la même chose, mais avec Paquet, on s'est dit que ça ne faisait pas très « manga » comme titre, donc Dreamseekers s'est un peu imposé à nous, et puis ça sonne bien, mieux que traque-rêves en tout cas (rires).

Ça fait un peu penser aux attrape-rêves indiens, les dreamcatchers.

Ah oui, tout à fait, ça aurait pu être ça aussi, mais c'est plus les chercheurs, pas ceux qui attrapent les rêves ou qui les domptent, mais plus ceux qui les recherchent, et on va comprendre ça un peu plus loin dans la série.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de faire une série dans un univers fantasmagorique où tout est possible ?

J'adore ce type d'univers, tout ce qui est univers parallèle, les autres mondes, les mondes oniriques, j'ai toujours adoré. Ça s'est vraiment imposé de soi-même.

Et ce type d'univers te donne une énorme liberté, comment tu fais pour gérer ça et pour avoir assez d'idées pour alimenter cette diversité et cette liberté ?

Déjà, je lis et je regarde pas mal de choses, et puis je note vraiment tout ce qui me passe par la tête, même si ça n'a rien à voir, ça pourra me servir après. Dès que je peux, j'essaie de me faire des brainstormings : j'ai une scène dans la tête, et pour lui donner un peu plus de relief, je vais essayer de lui trouver un thème visuel, tout ça, dès que j'ai un peu de temps libre, en faisant les courses dès que je fais la queue, hop j'essaie de me poser des questions.

En fait, dès qu'une idée te semble sympa, tu la notes.

Tout à fait. Et ça m'arrive beaucoup dans le métro. C'est bizarre, mais c'est une source d'inspiration pour moi (rires). Typiquement, si je me mets devant une feuille blanche et que je me dis qu'il faut que je trouve une idée, je vais rien trouver. C'est vraiment quand je fais autre chose que ça vient.

Quelles sont tes sources d'inspiration ?

En BD européenne, il y a notamment deux auteurs qui m'inspirent particulièrement : François Shuiten (Les cités obscures) qui a fait tout une série sur des villes très surréalistes, avec des architectures assez incroyables, très vertigineuses, et Topi pour la manière dont il rend des effets de matière en noir et blanc. Au niveau manga, déjà le titre qui m'a fait aimer le manga, c'est Blame!. C'est une amie qui me l'a montré, et en le feuilletant je suis un peu tombé en arrière en me demandant « on a le droit de faire ça, c'est possible ? » (rires). Non mais c'est vrai, le fait d'avoir une histoire quasiment muette, avec très très peu de scénario mais vraiment passionnante rien que par les décors, l'ambiance, ça a vraiment été ma réaction à ce moment-là. Sinon, il y a des séries assez diverses, j'aime beaucoup Berserk de Miura, je trouve ça très bien au niveau du dessin, de la gestion de la lumière, et puis après des choses et d'autres, là par exemple je suis beaucoup One Piece, même si je ne m'en inspire pas beaucoup, ça donne des idées aussi.

Concrètement, comment s'est déroulée la réalisation du premier volume de Dreamseekers ?

En fait, au début, comme je débute dans le monde de l'édition, j'avais pas une organisation très rôdée. J'ai fait un truc que je ne referai plus : j'ai commencé un peu à écrire et dessiner la série comme elle venait, page par page, en sachant un peu où j'allais - mais quand même un peu à l'aveuglette. Alors que maintenant, pour le tome 2, je me suis pris quelques semaines où j'ai fait que du scénario, du brainstorming pour vraiment savoir où j'allais, et seulement quand c'était bon, approuvé par des amis, par l'éditeur, tout ça, je me suis attaqué au dessin. Du coup, le fait de compartimenter un peu le travail permet d'être beaucoup plus efficace finalement et c'est pour ça que ça va quatre fois plus vite.

Est-ce que tu peux nous décrire une de tes journées type lorsque tu travailles sur Dreamseekers ?

Ça dépend si je travaille chez moi ou si je vais travailler à ce qu'on appelle l'Atelier, un endroit où on se réunit avec des amis. Mais si je travaille chez moi, je me lève à 9 h, mettons que je commence à 10 h, et puis après c'est variable, je travaille tout l'après-midi, je fais un peu que ça quand même.

Dreamseekers 1 extraitsComment est-ce que tu qualifierais ton style graphique ? Parce que tu es publié dans une collection asiatique, mais tu es français. Donc au niveau de l'appellation de ce que tu fais, tu dirais que c'est du manga, que c'est inspiré manga, du franco-belge avec des inspirations manga... ?

Moi, je pense que je fais du manga. Peut-être que dans le premier tome, il y avait vraiment un mix des deux, mais dans le second je pense que ça se verra plus. C'est plus du manga avec des inspirations franco-belges que l'inverse. Enfin, c'est ce que j'essaie de faire en tout cas.

Si mes souvenirs sont bons, quand on s'est rencontrés à Japan Expo, tu nous as expliqué que tu n'avais pas trop l'habitude de faire des dédicaces et de dessiner à la main puisque tu travailles surtout par ordinateur. Tu peux nous en dire plus ?

En fait, je travaille tout de A à Z à la tablette graphique et Photoshop. C'est vraiment mon outil de travail et je ne pourrais pas vraiment en utiliser un autre. Si tu regardes les scènes où il y a beaucoup de noir par exemple, c'est des grandes passes noires où je reviens après avec du blanc, c'est un peu ma marque de fabrique. Ce qui est très bien avec la tablette et qui est unique avec cet outil, c'est qu'on peu passer en un clic d'une feuille blanche où on tient un feutre noir à un effet carte à gratter, et on fait un va-et-vient de l'un à l'autre sans problème. C'est cette souplesse qui fait que je ne travaille que sur ordinateur et que je ne pourrais pas travailler autrement.

C'est quoi le plus dur à dessiner dans Dreamseekers ?

Pour moi, c'est encore les personnages, leur trouver des poses dynamiques, c'est pas si évident. Par contre, le plus dur pour moi dans Dreamseekers, c'est plus au niveau du scénario que des dessins, c'est les dialogues. Je peux passer des heures et des heures à me demander ce que les personnages vont se dire. En général, quand je dessine une planche, j'ai une idée de ce qu'ils disent, mais il y a des modifications à faire. Je me dis en relisant quelques jours après que ça coule pas de source et je galère beaucoup sur les dialogues. Je dirais que c'est ce que je trouve le plus dur dans la bande dessinée, parce qu'il faut à la fois être concis pour ne pas ennuyer le lecteur, trouver le ton juste, que ce soit naturel, et il faut quand même raconter des choses. Il faut vraiment trouver le juste milieu.

IdaQuel est ton personnage préféré, et pourquoi ?

C'est pas évident du tout comme question. J'en ai plusieurs. J'aime beaucoup dessiner la commandante Ida : j'aime beaucoup faire ses cheveux, ses poses un peu hiératiques, tout ça. Là, dans le 2 j'aime beaucoup le chat, parce qu'il devient un personnage important et je me marre bien en faisant des planches sur lui. J'aime bien Trem aussi, je ne saurais pas trop expliquer pourquoi. Pour le tome 2 en tout cas, il y a deux personnages que je prends beaucoup de plaisir à dessiner, c'est le chat et Nilxt, la fille qu'on ne voit qu'à la fin du premier tome et qui devient beaucoup plus importante dans le 2.

Tu nous as parlé un petit peu du volume 2, est-ce que tu as des scoops à nous donner, sans trop en dévoiler bien sûr ?

Honnêtement, là comme ça, il y en a bien sûr, mais je ne saurais pas lequel donner. Je passe (rires).

Qu'est-ce que tu lis en ce moment comme BD ?

J'en parle sur mon blog, j'ai découvert il y a quelques jours par un copain un manga : Yokohama Kaidashi Kikou, que je trouve très bien, je suis à fond dedans. C'est pas encore sorti en France en fait. C'est pas connu du tout, même au Japon, c'est un auteur qui n'a rien fait d'autre avant je crois, mais j'adore. En gros, ça serait le scénario classique de la Terre post-apocalyptique, après un gros cataclysme, et c'est raconté dans un ton jamais vu pour moi. Au lieu d'avoir des bandes rivales qui s'affrontent, des armes secrètes enfouies, des trucs comme ça, ça raconte des tranches de vie des survivants qui essaient de vaquer à leurs occupations, de survivre, et c'est traité sur un ton très doux, très calme. On pourrait presque dire qu'il n'y a pas de scénario, qu'il ne se passe rien (rires), mais pourtant c'est très très agréable à lire. La narration me ferait presque penser à Blame!, dans le sens où il y a plein de scènes où il n'y a pas un mot, il y a juste un personnage qui marche ou qui roule, parce qu'il y a plein de motos ou de scooters dans des paysages. C'est très contemplatif.

Alors justement, on parlait de ton blog [http://dreamseekers.paquet.li]. C'est ton blog à toi ou c'est un blog dédié à Dreamseekers ?

C'est plus le blog dédié à Dreamseekers. C'est pas vraiment moi qui ai les clés.

Du coup, est-ce que tu penses te créer un blog perso, rien que pour toi ?

Euh, oui, mais pas dans l'immédiat, parce que celui-là me suffit pour l'instant, mais c'est quelque chose que je pense faire, et pas seulement un blog. Dès que j'aurai un peu le temps de me mettre à Dreamweaver par exemple, j'aimerais bien me faire un site. Mais ça, c'est un gros projet quand même.

Qu'est-ce que tu penses du phénomène « blog BD », où les dessinateurs proposent des strips régulièrement et qui sont très suivis ?

Dreamseekers 1 extraitsMoi je trouve ça très bien, ça permet un rapprochement entre l'auteur et les lecteurs. Je sais pas quoi dire de plus (rires).

Tu suis certains de ces sites ou des fanzines ?

Oui, celui de Maliki par exemple. Des fanzines, pas trop.

As-tu des projets en dehors de Dreamseekers ?

Oui, tout à fait. En fait c'est bizarre, c'est quelque chose que j'ai pas réussi à caser quelque part dans l'interview, mais il faut savoir que je fonctionne avec un atelier, des amis avec lesquels on forme un petit groupe, la Lune Verte - un nom bizarre je sais - et on crée vraiment une bonne émulation, comme on veut tous faire de la bande dessinée ou du manga. Il y en a deux qui ont sorti un titre chez Vents d'Ouest. Dans ce groupe, il y a un scénariste ; moi, dans le futur, ça me plairait bien de bosser avec lui. Donc, dans l'immédiat mon objectif c'est de me focaliser sur Dreamseekers, mais j'ai plusieurs cordes à mon arc.

Alors, avant-dernière question : qu'est-ce que tu dirais à quelqu'un qui ne connaît pas ton univers pour lui donner envie de lire Dreamseekers ?

C'est méchant comme question ça (rires). Euh... Je lui dirais d'imaginer un monde où on peut faire apparaître les rêves, ce à quoi on pense, ce qu'on aimerait... D'imaginer un monde où on peut faire apparaître ce qu'on veut en un clin d'oeil, d'imaginer ce que ça donnerait.

Et la toute dernière question, qui n'est pas vraiment une question, c'est ce qu'on appelle le mot de la fin chez nous. Tu racontes ce que tu veux, s'il y a une question que je n'ai pas posée, quelque chose dont tu as envie de parler, quelque chose que je n'ai pas suggéré, ou si tu as juste envie de dire une petite phrase...

Ça, c'est typiquement le genre de chose où j'ai un gros blanc (rires). Nan, sérieusement, je ne vois pas trop. Dans une heure peut-être que quelque chose va me venir à l'esprit, mais là, tout de suite, rien à faire.

Bon, eh bien je vais te laisser retourner à ton travail (rires).

Dreamseekers 2 projet de couverture

Yadana

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